Au Sénégal, la double peine des victimes de viol
Des témoignages à glacer le sang. À Dakar, Rufisque ou Touba et partout au Sénégal, ces jeunes filles – de 13, 15 ou 18 ans – violées par un professeur ou un ami de la famille se retrouvent enceintes, sans possibilité d’avorter. Or, l’avortement est interdit au Sénégal, même en cas de viol, au mépris des engagements du pays. Combien sont-elles ? « Les chiffres ne sont que des estimations, car aucune enquête n’est menée. Mais si vous lisez la presse sénégalaise, des viols, des avortements clandestins ou des infanticides, c’est tous les jours… » témoigne Fatou Sow, sociologue féministe sénégalaise.
Une chose est sûre : le niveau d’alerte est atteint. C’est le signal d’alarme lancé par un rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), publié le 26 septembre. Un travail mené en lien avec quatre associations sénégalaises partenaires de la fédération.
« Il y a une résistance sociale à cela »
Selon son auteure, Alice Bordaçarre, responsable du bureau des droits des femmes et de l’égalité des genres, « Nous avons entrepris ce rapport parce que les défenseurs des droits de l’homme sur le terrain nous ont alertés. Il est important de dire qu’en dix ans, la situation s’est aggravée. »
Dix ans après un premier rapport sur le sujet et vingt ans après que le Sénégal a ratifié le Protocole de Maputo en 2004, « le grand texte africain sur les droits des femmes »« Nous sommes très préoccupés par la situation des droits de l’homme au Sénégal », affirme Alice Bordaçarre. Malheureusement, le constat est accablant : le Sénégal ne respecte pas cet engagement.
« Les femmes sont obligées de poursuivre leur grossesse lorsqu’elle résulte d’un viol, ou risquent leur vie en ayant recours à des avortements non médicalisés et finissent en prison après avoir avorté. »résume le rapport. « Il y a une résistance sociale à cela. Le débat est ouvert, mais nous n’arrivons pas à faire décider par les autorités que les femmes ont le droit de disposer de leur corps. »analyse Fatou Sow.
Pas de chiffres officiels sur la question des violences sexuelles
Au-delà d’une société sénégalaise où la question du viol, de l’avortement – et souvent de la sexualité en général – est taboue, la responsabilité première revient aux autorités du pays. En matière de violences sexuelles, il n’existe tout simplement pas de chiffres officiels, pas d’enquêtes.
Le rapport de la Fidh évoque un chiffre pour 2019 de plus de 1.200 viols par an, mais sans fournir de source. « C’est un minimumcroit Alice Bordaçarre. Il n’existe pas de chiffre sur le nombre de plaintes enregistrées, et pourtant on sait qu’une minorité de victimes parviennent à porter plainte… »
Plus grave : l’avortement est puni, via l’article 305 du Code pénal, de deux ans de prison. Même en cas de viol, donc. « 20 % des femmes incarcérées au Sénégal le sont pour cette raison. Les victimes de viol qui ont dû avorter sont mises en prison ! » souligne l’auteur du rapport.
Les autorités ne se montrent pas du tout coopératives
Les autorités ne se montrent pas coopératives et tiennent souvent des propos culpabilisants à l’égard des femmes. En décembre 2023, le ministère de la Femme, de la Famille et de la Protection de l’Enfance a clairement déclaré : « Nous n’allons pas avancer sur le protocole de Maputo. Ce n’est pas le moment. Il y a d’énormes enjeux qui risquent de déstabiliser notre société. L’enjeu est de consolider l’équilibre sociétal et de faire en sorte que les filles ne fassent pas n’importe quoi. »
Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement en mars, la seule prérogative du ministère est la famille. Les femmes sont exclues. « Les droits des femmes sont loin d’être sa priorité »souffle Fatou Sow.
Ces dernières années, plusieurs affaires sordides ont cependant secoué la société sénégalaise. En 2019, trois affaires de viol, dont deux ayant abouti à un meurtre, ont forcé l’État à réagir : une loi a été adoptée en 2020 pour criminaliser le viol, jusque-là considéré comme un simple délit. « Les sanctions sont sévères… quand elles sont appliquées »témoigne Fatou Sow.
Des attentats financés par la droite trumpiste ou la Russie
Au contraire, une véritable offensive réactionnaire s’attaque, comme ailleurs, aux droits des femmes. « Les fondamentalismes, les nationalismes et l’extrême droite »Le rapport pointe du doigt. Il cite l’ONG islamiste et fondamentaliste Jamra, qui s’en prend aux féministes dans un délire complotiste mêlant franc-maçonnerie, homosexualité et théorie de la « dépopulation africaine ». D’autres attaques sont financées par l’extrême droite trumpiste ou la Russie.
« Il est dangereux de défendre les droits des femmes au Sénégal »déclare Alice Bordaçarre. Malgré cela, « De nombreuses associations et collectifs féministes se sont constitués récemment »rappelle Fatou Sow, qui témoigne de la vitalité du mouvement : « J’ai confiance, car les gens poussent et le débat existe, y compris au sein de la communauté musulmane. »
Elu le 25 mars 2024, le nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, a dissous l’Assemblée nationale le 13 septembre et convoqué des législatives anticipées afin d’obtenir une majorité pour le gouvernement, dirigé par Ousmane Sonko. Jusque-là, la Chambre était dominée par les députés de l’APR, la coalition de l’ancien président Macky Sall. A deux jours de la date limite de dépôt des candidatures, les principaux partis ont acté leur stratégie. L’APR a formé une alliance avec le PDS, le parti de l’ancien président Abdoulaye Wade (2000-2012). Le parti du nouvel exécutif, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), concourra seul et part favori. Les 165 députés sont élus selon un système hybride qui mêle liste majoritaire et représentation proportionnelle plurinominale.
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