La perspective d’un second tour, dans de nombreuses circonscriptions, entre l’extrême droite et la gauche agite le camp présidentiel, qui a fait de La France insoumise un épouvantail.
« J’ai une peur panique de ce qui va nous arriver », lâche un personnage de la Renaissance. Depuis l’annonce de la dissolution par Emmanuel Macron au soir des élections européennes, dimanche 9 juin, et l’organisation d’élections législatives anticipées, le camp présidentiel vit dans la peur de perdre des dizaines de sièges à l’Assemblée nationale. Coincés entre le Rassemblement national et la gauche unie sous les couleurs du Nouveau Front populaire, les partisans du chef de l’Etat redoutent les résultats du premier tour, organisé le 30 juin. Les macronistes le savent : la dynamique n’est pas de leur côté. , eux qui ont subi une lourde défaite aux européennes.
Même s’il est encore trop tôt pour anticiper le second tour, qui aura lieu le 7 juillet, la possibilité d’une élimination du candidat du bloc central est forte dans de nombreuses circonscriptions. Ce sera le cas « dans une nette majorité » entre eux « compte tenu du rapport de force », assure Mathieu Gallard, directeur de recherche chez Ipsos. Que feront les candidats du parti présidentiel dans cette configuration qui pourrait être inédite par son ampleur ? «Ils auraient dû régler ce sujet en trouvant une position en interne, mais il y a une incapacité à construire collectivement»observe Vincent Tiberj, sociologue et professeur à Sciences Po Bordeaux, qui note « incohérence » positions exprimées jusqu’à présent.
En l’absence d’une ligne claire décidée par Renaissance et ses alliés, chacun y va de sa déclaration personnelle. « J’ai dit que je n’ai jamais mis de signe d’égalité entre l’extrême gauche, même La France insoumise, et l’extrême droite du Rassemblement National ou de la Reconquête », ainsi affirmé l’ancien ministre et député sortant Clément Beaune, sur franceinfo, 15 juin.
« Je voterai toujours, je le dis très clairement, s’il y a un jour un second tour entre un candidat du RN et tout candidat, y compris de LFI, pour le candidat opposé au RN. »
Clément Beaune, député sortantsur franceinfo
L’ancienne ministre et députée sortante de Gironde, Bérangère Couillard, partage la position de son ancienne collègue du gouvernement. « J’appellerai toujours à voter contre l’extrême droite. C’est mon engagement premier », confie-t-elle à franceinfo. Mais désormais, la ligne « tout sauf le RN » est minoritaire au sein du camp présidentiel. Car si le parti de Jordan Bardella peut remporter les législatives, c’est aussi le cas du Nouveau Front populaire, au sein duquel La France insoumise – sous le feu des critiques depuis le 7 octobre – est la formation qui compte le plus de candidats. Lors de sa conférence de presse du 12 juin, Emmanuel Macron a également rendu coup sur coup le « deux blocs », « deux extrêmes ». « Le camp macroniste porte une responsabilité lorsqu’il dit que le RN est raciste et que la gauche est antisémite. Cela les met au même niveau même s’ils ne sont pas la même chose. » conteste Vincent Tiberj.
Résultat : chacun a une position différente sur l’attitude à avoir envers LFI. Marc Ferracci, député sortant et très proche du chef de l’Etat, distingue les personnalités au sein du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. « Si je dois trancher entre un candidat RN et, par exemple, Thomas Portes (député LFI sortant)qui a mis la tête du Ministre du Travail sur un ballon de football pour marcher dessus, je peux vous dire que j’irai à la pêche car l’incarnation ne me convient pas »a-t-il déclaré vendredi sur LCP.
De nombreux représentants Les membres du camp présidentiel refusent clairement de choisir entre un candidat LFI et un candidat RN. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui se représente dans son fief du Nord, a déclaré le 13 juin sur CNews qu’il ne voterait pas. « pas pour un candidat RN, ni pour un candidat LFI », en cas de duel. Même position du côté de la ministre Sabrina Agresti-Roubache, également candidate à sa réélection à Marseille. « Je n’appellerai à voter ni pour les candidats RN, ni pour les candidats LFI, qui ne cherchent pas des électeurs, mais des victimes »elle a assuré sur CActualités17 juin.
La veille, le RTLLa ministre Olivia Grégoire avait rejeté non seulement LFI mais plus largement les candidats du Nouveau Front Populaire : « Si la question m’était posée, je voterais blanc » Et l’ancien porte-parole du gouvernement a ajouté : « Le Front populaire, c’est le Nupes, on ne va pas se mentir, et voter pour le Front populaire, c’est voter pour Mélenchon. » Un raccourci car, à l’heure actuelle, les différents partis du Nouveau Front populaire n’ont pas désigné leur candidat à Matignon, ni même décidé comment résoudre cette question.
Les positions claires de ces ministres seront-elles encore tenables au soir du premier tour ? « Les candidats ne pourront jamais faire ni ni ni. Il faudra appeler au geste barrière en votant pour le Nouveau Front Populaire », anticipe un membre de l’équipe de campagne Renaissance. « Mais nous ne devrions pas déconner. LFI et le RN, ce n’est pas la même chose.
Les divisions au sein du camp présidentiel à ce sujet ne sont pas nouvelles. En juin 2022, lors des précédentes élections législatives, des divergences étaient déjà apparues sur la position à prendre en cas de duels entre LFI, membre du Nupes, et le RN. Si certaines voix s’élevaient pour réclamer un soutien clair aux candidats de gauche, LREM (ancien nom de Renaissance) s’est montrée réticente à donner des consignes de vote national. « À l’élection présidentielle En 2022, pour bloquer Marine Le Pen, ils ont demandé le vote républicain aux électeurs qui se sentent floués et déçus. »se souvient le chercheur Vincent Tiberj.
« Lors des élections législatives de 2022, la réciproque du front républicain a été rompue. »
Vincent Tiberj, chercheur et sociologuesur franceinfo
L’évolution est notable au regard des positions passées d’Emmanuel Macron à l’extrême droite, notamment au moment de son accession à l’Elysée. « Nous bâtissons toujours notre engagement politique sur l’indignation. Le mien date du 21 avril 2002. »il a expliqué en octobre 2016 à Figaro Magazineen référence au jour où Jean-Marie Le Pen s’est qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle. En avril 2022, interviewé par Le Figarole président sortant avait encore refusé de mettre un signe d’égalité entre les deux camps. « Je fais une distinction profonde, car ils sont issus de mouvements très différents. Mais, par rapport au champ républicain, ils apportent des réponses simplistes et des contrevérités qui cultivent les peurs.»il s’était qualifié.
Si le RN est toujours visé, le mouvement lancé par Jean-Luc Mélenchon paraît aujourd’hui bien plus dangereux qu’en 2022 aux yeux de nombreux cadres macronistes. « J’ai vu à quel point pendant deux ans ils ont foiré l’hémicycle, à quel point ils n’ont respecté ni les Français, ni l’institution, ni le mandat qu’ils avaient, ni leurs collègues », a estimé Yaël Braun-Pivet sur LCI vendredi. Le président sortant de l’Assemblée nationale « considéré » que LFI ne porte pas « les valeurs de notre République ».
Pour le premier tour, la coalition présidentielle a décidé de prendre la tête en choisissant de ne pas présenter de candidats dans environ 70 ans. circonscriptions. « Nous faisons ce choix soit parce que nous n’étions pas les mieux placés pour accéder au second tour, soit parce que nous nous rangeons derrière les sortants », justifie un cadre Renaissance. L’objectif est de faciliter la qualification du candidat jugé républicain au second tour, qu’il soit de gauche et opposé au Nouveau Front populaire, ou de droite et opposé au rapprochement entre Eric Ciotti et le RN.
Surtout, les cadres de la majorité, comme François Bayrou (MoDem), sur LCI, et Edouard Philippe (Horizons), sur BFMTV, refuser d’envisager l’élimination dans de nombreuses circonscriptions au soir du 30 juin. Et donc de prendre position pour un duel dont ils seraient absents. Le gouvernement est également sur cette ligne. «Je répondrai à la question du second tour au lendemain du 30 juin»soutient Prisca Thévenot, porte-parole du gouvernement.
« Arrêtons de sauter par-dessus le premier tour. Cela donne le sentiment qu’on abandonne !
Prisca Thévenot, porte-parole du gouvernementsur franceinfo
Pour éviter d’avoir à faire ce choix, la majorité espère une poussée de son électorat, afin d’atteindre la barre des 12,5% d’électeurs inscrits dans le plus grand nombre de circonscriptions possible et ainsi se qualifier pour le second tour. « A 70% de participation, il y a 300 triangulaires, ça peut tout changer », veut croire François Patriat, proche d’Emmanuel Macron. Face au RN et au Nouveau Front populaire, Renaissance et ses alliés auraient un argument tout fait pour tenter de limiter leur déclin au soir du second tour : défendre le camp du « raison » orienté vers « extrême » renvoyés dos à dos.