Au Sahel, silence, exil ou prison pour les voix critiques
Partez en exil pour continuer à vous exprimer ou restez dans votre pays mais murez-vous dans le silence. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, hommes politiques, acteurs de la société civile et militaires ayant quitté leur devoir de réserve sont contraints d’appliquer la même stratégie de survie depuis la prise de pouvoir des putschistes qui ont tous trois suspendu les activités des partis après leur coup d’État perpétré entre Août 2020 et juillet 2023. Ceux qui ont osé critiquer ces régimes de l’intérieur ont payé un prix élevé : celui de leur liberté.
Mercredi 29 mai, Guy Hervé Kam, connu pour avoir été l’une des figures de l’insurrection populaire de 2014 au Burkina Faso, n’a profité de sa liberté que quelques minutes après son enlèvement par les services de renseignement fin janvier. Le soir même, après avoir été relâché dans un terrain vague proche de son domicile, l’avocat, qui fut l’une des dernières voix à s’opposer publiquement à la junte, fut de nouveau kidnappé par un « groupe d’hommes armés » affirmant « se présenter à une brigade de gendarmerie », » a alerté le mouvement Serve and not serve yourself (SENS) qu’il dirige.
Le même Un traitement a été réservé le même jour au lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana, ancien chef de l’unité d’élite des « Green Mambas », incarcéré à plusieurs reprises depuis janvier 2022, à la suite d’accusations de « tentative de déstabilisation ».
«Atteinte au crédit de l’Etat»
Si leur sort reste inconnu, d’autres voix contestataires ont été volontairement exposées, voire humiliées, devant leurs compatriotes. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Ablassé Ouedraogo, 70 ans, a été arrêté fin décembre 2023 à son domicile par la police puis envoyé au front pour trois mois. Le leader du parti Le Faso Autre a été libéré en mars puis s’est exilé au Canada. Au Burkina Faso, depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, le régime s’est transformé en une machine répressive infernale qui n’entend pas rendre le pouvoir aux civils. Samedi, la junte a prolongé son pouvoir pour cinq ans à l’issue de réunions nationales organisées sur une journée et en l’absence de ses opposants.
Au Mali voisin, les voix dissidentes sont soumises à peu près aux mêmes conditions. Lundi, Boubacar Karamoko Traoré, un leader de la société civile, a été arrêté par les services de renseignement trois jours après avoir critiqué la gestion arbitraire du pouvoir par la junte du colonel Assimi Goïta. Il doit comparaître le 1euh juillet pour « atteinte au crédit de l’État ».
Fort de près de cinq décennies d’engagement politique et de lutte pour l’instauration de la démocratie dans son pays, Oumar Mariko a dû se résoudre à mener le combat depuis son exil. C’est dans un café de banlieue parisienne que le président du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (SADI) raconte sa fuite en mai 2022 pour s’échapper. » la traque orchestrée par les putschistes.
Le 2 avril de la même année, il dénonce le massacre de 500 civils commis fin mars. par l’armée malienne et des mercenaires russes du groupe de sécurité privé Wagner à Moura, dans le centre du pays. Immédiatement, « des partisans du régime ont lancé des appels sur les réseaux sociaux pour me faire arrêter, voire fusiller », il a dit. Deux jours plus tard, trois véhicules, avec à leur bord des hommes armés en civil et en treillis, sont arrivés à son domicile. Heureusement, « l’éternel adversaire » n’était pas là. » À partir de ce moment-là, je ne suis plus rentré chez moi et je me suis caché. » fuyant d’abord par la route vers la Côte d’Ivoire, devenue terre d’asile pour tous ceux qui ont rompu avec leurs autorités.
Gouvernement symbolique
Désormais, Oumar Mariko tente tant bien que mal de poursuivre son combat en organisant des rencontres en ligne avec ses militants depuis la France, autre pays ennemi des putschistes sahéliens. Mais l’opposant sait que la marge de manœuvre dont disposent les acteurs politiques pour s’opposer à une junte qui n’a pas hésité à laisser mourir en détention l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga est faible.
Face à cet horizon démocratique bouché, des personnalités politiques en exil ont annoncé samedi avoir formé un gouvernement « civil de transition », « le seul légitime » pour gouverner le Mali. Le premier ministre de ce gouvernement symbolique, le magistrat contestataire Mohamed Cherif Koné, fait partie de ceux qui ont appelé à manifester le 7 juin à Bamako contre la vie chère et les coupures d’électricité qui empoisonnent le quotidien des Maliens depuis des mois.
L’armée les autorisera-t-elle ? A Bamako comme à Ouagadougou et Niamey, seules les manifestations organisées par des partisans du pouvoir sont désormais autorisées. Depuis l’apparition des putschistes, les citoyens ont peu protesté, par crainte de représailles, mais aussi par désaffection à l’égard du personnel. homme politique qui incarnait une démocratie qui n’était pas synonyme d’amélioration des conditions économiques.
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Symbole de ce ras-le-bol, les coups d’État fomentés dans ces trois pays ont été largement applaudis, tant par les citoyens que par les opposants. Ainsi, au Niger, Moden-Fa Lumana, dont les dirigeants ont été incarcérés à de nombreuses reprises sous le pouvoir des présidents élus Mahamadou Issoufou et Mohamed Bazoum (entre 2011 et 2023), a d’abord salué le coup d’État. perpétrée par le général Abdourahmane Tiani en juillet 2023. Depuis, le parti joue la carte de la discrétion, tout comme le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et l’Union pour le progrès et le changement (UPC) à Ouagadougou. , les principaux groupes d’opposition au régime déchu de Roch Marc Christian Kaboré.
« Retiré sur les réseaux sociaux »
A Niamey, seuls les proches de Mohamed Bazoum osent encore protester pour exiger la libération du président déchu, toujours détenu avec son épouse au palais présidentiel. Et comme au Burkina Faso et au Mali, seuls ceux basés à l’étranger peuvent s’exprimer librement.
« La vie politique s’est repliée sur les réseaux sociaux car il est désormais interdit d’exprimer des opinions politiques contraires dans nos pays », regrette Chékaraou Barou Ange. Exilé dans un pays voisin, l’ancien conseiller spécial du président nigérien se rend dans les pays où la diaspora est forte pour « dites aux gens qu’il ne faut pas se mentir devant les putschistes, pointer du doigt les failles de leur gouvernance, leurs mensonges et leurs échecs », dit-il au téléphone.
Cependant, face à la répression orchestrée par ces trois militaires, réunis depuis septembre 2023 au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), « Les opposants savent au fond que le changement ne viendra pas des politiques mais de l’armée », analyse un ancien ministre de la région, désormais en exil. Selon lui, le seul atout est la patience. « Il faut attendre que des militaires plus raisonnables viennent mettre fin au pouvoir de ces juntes et que la mise en place d’une transition civile conduise au retour de la démocratie », il a dit. Un scénario qu’a connu le Mali au début des années 1990 mais qui paraît aujourd’hui très incertain.