François Amic estime que les prévenus qu’il a interrogés ne se seraient pas rendus au domicile des époux Pélicot s’ils avaient su que la victime était droguée. Pour lui, ils ont été forcément manipulés par le septuagénaire, qu’il qualifie de « pervers multi-cartes ».
« Ne donnez-vous pas l’impression d’avoir été manipulé par certains prévenus ? demande Antoine Camus. L’après-midi est déjà bien entamée, lundi 7 octobre, lorsque l’avocat de Gisèle Pelicot interroge François Amic, l’expert psychiatre venu rendre compte de l’interrogatoire des cinq accusés dont les profils sont étudiés cette semaine à Avignon par le tribunal correctionnel du Vaucluse.
Tout au long de cette 23e journée d’audience au procès pour viol de Mazan, ce dernier a relayé une position pour le moins explosive : il estime que les hommes qu’il a interrogés (dix accusés au total) ont tous été plus ou moins manipulés par Dominique Pelicot, soutenant le thèse principale de la soutenance. La grande majorité des 50 accusés assurent en effet que le septuagénaire les a trompés, leur promettant un « scénario libertin » sur le site Coco.fr, avant de se rendre compte, une fois sur place, que la situation était complètement différente. Se livrer à des actes sexuels sur l’inconscient Gisèle Pelicot.
« Dans ce type de relation avec l’expert, il y a toujours une possibilité de manipulation. Mais je crois ce que j’ai écrit : des éléments me laissent supposer que M. A. était dans un état de conscience altéré. »répond François Amic à la question d’Antoine Camus. « Monsieur A. », c’est Patrick A., 60 ans, qui présente un profil singulier dans la cohorte des accusés : l’homme se déclare homosexuel et affirme être venu entretenir une relation sexuelle avec Dominique Pelicot. Il croit avoir été drogué par cette dernière, affirmant ne pas se souvenir de tous les faits, à savoir : les pénétrations et tentatives de pénétration de sa part sur la victime et plusieurs actes sexuels avec Dominique Pelicot.
Le psychiatre donne raison au sexagénaire, déclarant à la barre que sa théorie « n’est pas vérifiable, mais plausible ». Son amnésie partielle des faits pourrait être liée « prendre des benzodiazépines », » avance François Amic, rappelant que Dominique Pelicot a administré du Temesta à sa femme, l’anxiolytique faisant partie de cette famille de médicaments prescrits pour lutter contre l’anxiété et l’insomnie.
« Connaissez-vous une molécule capable de provoquer des effets amnésiques de manière sélective ?
Antoine Camus, avocat de Gisèle Pelicotdevant le tribunal correctionnel du Vaucluse
« Je connais beaucoup de produits amnésiques : cela dépend de la molécule et du dosage utilisé »rétorque l’expert psychiatre.
Ses conclusions pourraient avoir des conséquences très importantes puisque, selon l’article 122-1 du Code pénal, l’accusé bénéficierait d’une légère altération de son jugement – pour avoir été sous l’emprise de substances toxiques – se traduisant par une réduction de sa peine. . C’est pour cette raison que le juge d’instruction a demandé une contre-expertise pour Patrick A., réalisée par une autre psychiatre, Olivia Ple, qui a abouti à des conclusions radicalement différentes.
Celui-ci, entendu ce lundi en visioconférence, estime que le sexagénaire a « intelligence normale, sans déficit intellectuel » et je pense qu’il « était conscient de ce qu’il faisait et l’ignorait sciemment pour obtenir des rapports sexuels avec M. Pelicot ». L’intéressé ayant notamment reconnu auprès de l’expert : « Je voulais tellement avoir une relation avec lui que j’ai fait n’importe quoi. »
Olivia Ple assure également qu’elle n’a pas détecté « aucun signe de manipulation » de Dominique Pelicot sur Patrick A. Pour son confrère François Amic, il apparaît cependant évident que l’homme a bien été berné par le principal accusé, « parce qu’il est venu pour une relation homosexuelle et qu’il commet un acte déviant sur sa femme, même s’il n’a pas d’antécédents de ce type ».
Le psychiatre est arrivé à la même conclusion pour un autre accusé : Didier S., 68 ans, qui a également fait part à Dominique Pelicot de son homosexualité, se retrouvant lui aussi à commettre des actes sexuels sur Gisèle Pelicot. Les faits reprochés remontent à janvier 2019 : cinq ans auparavant, l’accusé avait subi une ablation de la vessie et de la prostate en raison d’un cancer. Depuis, ce père de deux enfants, qui se définissait auparavant comme hétérosexuel, affirme avoir « une sexualité de remplacement et cherchait des partenaires masculins »» a relaté l’expert.
« A l’issue de son interrogatoire, je tiens à affirmer que Monsieur S. n’avait pas l’intention de violer. »
François Amic, psychiatredevant le tribunal correctionnel du Vaucluse
Et l’expert affirme : « M. Pelicot n’a dit à personne que sa femme était droguée », ce que l’intéressé nie catégoriquement. Son avocate, Béatrice Zavarro, rappelle également que « 15 des 50 accusés estiment ne pas avoir été manipulés » par son client. En effet, plusieurs d’entre eux affirment avoir été conscients dès le début de l’état d’inconscience de la victime.
L’expert n’hésite pas à émettre des hypothèses sur la personnalité de Dominique Pelicot, qui semble le fasciner, le qualifiant de « pervers multi-cartes », même s’il ne l’a pas évalué. « Les gens organisés de manière perverse, ce qui semble être le cas de M. Pelicot, peuvent manipuler toute une vie, notamment les violeurs »affirme-t-il sans hésitation.
La défense jubile. « Votre expertise a fait couler beaucoup d’encre, car vous avez osé, ô crime de lèse-majesté, invoquer le fait que la personne que vous avez interrogée avait été manipulée par une personnalité dont vous êtes accusé n’avez jamais vu. ‘, observe Stéphane Simonin, l’avocat d’un autre accusé, qui semble détenu pour s’être rendu à deux reprises au domicile des époux Pélicot. « Je te connais depuis quatorze ans et tu n’as jamais été favorable à la défense », ajoute sa collègue, Nadia El Bouroumi, qui représente un autre homme dont le profil est étudié cette semaine.
« Mais comme cela ne satisfait pas la partie civile, nous essayons de vous discréditer. »
Nadia El Bouroumi, avocatedevant le tribunal correctionnel du Vaucluse
Interrogé par ce dernier, François Amic réaffirme sa position : « Je ne pouvais pas croire que M. Pelicot ait informé ses prétendus complices que sa femme était droguée, sinon il n’aurait pas eu le succès extraordinaire qu’il a eu, avec un si grand nombre de coaccusés. » Pour le psychiatre, les hommes jugés dans ce procès « ne présentent pas une déficience intellectuelle suffisamment importante pour ne pas connaître les conséquences d’avoir des relations sexuelles sans le consentement de leur partenaire ». Comme si comprendre la notion de consentement était lié au niveau d’intelligence.