« Je reconnais les actes, mais aucune intention de viol. » A la barre, jeudi 24 octobre, ces quelques mots de Patrice N. sonnent comme un refrain familier, répété des dizaines de fois depuis le début du procès pour viol de Mazan, avec quelques nuances. « Dans mon esprit, elle se réveillera après les actes », assure cet électricien de 55 ans, qui peine à reconnaître la pénétration orale imposée à Gisèle Pelicot, malgré une vidéo sans équivoque, filmée en gros plan, et diffusée à l’audience.
« Je reconnais les faits, mais pas l’intention »» déclarait Florian R. une heure avant, au même micro, devant le tribunal correctionnel du Vaucluse. Dans les vidéos diffusées à la demande de la partie civile et du procureur de la République, ce chauffeur-livreur de 32 ans utilise une feuille d’essuie-tout après les pénétrations infligées à la femme inconsciente, le corps en partie recouvert par une couette. « Je me suis essuyé, mais je n’ai pas éjaculé », assure-t-il. « Vous savez que pénétrer dans un corps sans consentement est un viol surprise ?demande Antoine Camus, l’avocat de la victime. « Non, je ne savais pas. Je suis venu pour un jeu consensuel entre trois personnes », répond l’accusé.
Gisèle Pélicot « n’attendez rien de ces individus », a déclaré Stéphane Babonneau, son autre avocat, à la presse le matin même. « La plupart ne peuvent même pas prononcer le mot viol. » a-t-il souligné, rappelant toutefois que plusieurs accusés (15 sur 51) doivent encore être entendus à l’issue de cette huitième semaine d’audience. « Peut-être pouvons-nous avoir une lueur d’espoir »dit-il.
Ce « briller » apparaît en début d’après-midi, lorsque Abdelali D. passe à la barre, reconnaissant immédiatement les faits reprochés, contrairement à l’écrasante majorité de ses prédécesseurs. « Est-ce que M. Pelicot vous a dit qu’il avait chargé la dose (anxiolytiques) ? »demande le président. « Oui, il m’a dit qu’elle n’allait pas se réveiller. »reconnaît timidement l’accusé de 47 ans, assis sur une chaise. Lourdement handicapé, suite à un accident vasculaire cérébral en 2019 qui a paralysé la partie gauche de son corps, il est à ce titre le seul accusé à s’être rendu plus d’une fois à Mazan pour comparaître libre, après un an de détention provisoire.
Les faits le concernant se sont déroulés en janvier et mars 2018 : il est poursuivi pour être venu à deux reprises à Mazan et atteste avoir su dès les premiers échanges sur le site Coco que la victime dormirait. Sur les vidéos, on le voit tenter de pénétrer la victime, mais n’y parvient pas, en l’absence d’érection. Dominique Pelicot insiste lourdement. « Prends-le, tu ne risques rien je te le dis »lui assure le retraité à voix basse. Son acolyte y parviendra lors de sa seconde venue.
Stéphane Babonneau pense pouvoir lui soutirer quelques explications. « Vous avez reconnu les faits de viol, ce qui nous permet d’avoir avec vous une discussion qui peut être différente de celles que nous avons eues à plusieurs reprises, sur le banc des accusés »souligne l’avocat.
« En fait, le dilemme pour moi est là : même maintenant, je ne sais pas pourquoi je suis allé là-bas. Ce n’est pas un contexte auquel je suis habitué. Je n’ai pas de réponse à vous donner »explique Abdelali D. « Vous ne savez pas ce qui vous a attiré vers une femme endormie après toutes ces années ?« , dit Stéphane Babonneau. « Je ne sais pas », rétorque l’accusé, laconique. Les espoirs de la partie civile sont déçus.
« Y a-t-il une attirance pour les corps des femmes endormies dans vos fantasmes sexuels ? » » tente à son tour l’avocat général. « Non, pas du tout, clairement pas », il se défend. L’homme, décrit dans son enquête de personnalité comme « introverti et modeste », souffre d’alcoolisme chronique et n’exerce plus aucune activité professionnelle depuis 2015. Sa compagne estime qu’il présente « un complexe d’infériorité », lié notamment, selon elle, à cette perte d’emploi. Au total, son interrogatoire a duré moins d’une heure, sans qu’Abdelali D. ne semble disposé à fournir une quelconque analyse de ses actes.
Le constat s’avère être le même pour Jean-Luc L., entendu après lui. Ce père de quatre enfants, âgé de 46 ans, est placé en garde à vue pour s’être également rendu à deux reprises à Mazan, en février 2018 et mars 2019. Les vidéos le concernant ont été classées sous le pseudo « Jean-Lucasiat » sur le disque dur de Dominique Pelicot.
Il explique y être revenu une seconde fois « peur » de son interlocuteur. Ce dernier lui aurait envoyé une vidéo des premiers viols le concernant, dont son épouse aurait été témoin. « On s’est disputé. J’ai failli la perdre. J’avais peur qu’il poste sur internet ou sur les réseaux », raconte-t-il d’une voix hésitante, parfois à peine audible, depuis sa loge. « Était-ce une forme de chantage ?lui demande le président. « Le chantage, je ne sais pas, mais c’est la peur que j’ai »répond Jean-Luc L.
Stéphane Babonneau note qu’il a reconnu les faits de viol lors de sa garde à vue, mais rappelle qu’il a déclaré à la police : « Je pensais que ce n’était ni interdit, ni puni par la loi. » L’avocat lui demande de commenter cette déclaration. « Je ne sais pas quoi dire », dit simplement l’accusé.
« Vous êtes en détention depuis longtemps et il y a encore beaucoup de questions auxquelles vous ne pouvez pas répondre. » note l’avocat général. « J’ai du mal à parler, je ne connais pas les mots »explique Jean-Luc L. Originaire du Vietnam, cet homme frêle a émigré avec sa mère et sa sœur en Thaïlande, entassés dans un bateau de fortune, lorsqu’il était enfant. À leur arrivée, ils restent quatre ans dans un camp de réfugiés. « Un mètre carré par personne. Nous avons dormi dans une moustiquaire. Il y avait des rats. C’était dur », il se souvient.
Lorsqu’il a 9 ans, sa famille émigre en France, dans le Val-de-Marne, à Créteil, puis dans le Vaucluse, à Cavaillon. « J’étais en CM2. Je ne connaissais même pas le français. J’ai redoublé chaque classe : deux fois en sixième, deux fois en cinquième ». « J’ai passé un CAP, je n’ai pas réussi. Mais mon patron m’a embauché. Je suis resté vingt et un ans dans l’entreprise. »dit ce travailleur du miroir.
« C’est un peu maintenant ou jamais si on veut comprendre ce qui s’est passé »persévère l’avocat général. Quelques secondes s’écoulent en silence. Et l’audience continue, sans lui. On interroge Dominique Pelicot à ce sujet : il valide sa version. Ensuite, nous entendons le témoignage d’un autre accusé. Le rythme est effréné, il n’y a pas de temps pour le silence.
Avant Abdelali D. et Jean-Luc L., un autre accusé avait reconnu être venu en connaissance de cause : Jérôme V., qui s’est rendu au domicile Pelicot pas moins de six fois, entre mars et juin 2020. Très verbeux lors de son interrogatoire du 3 octobre. , cet homme de 46 ans a ainsi développé une véritable analyse autour de ses actes, assurant avoir bien compris « le caractère immoral et illégal ».
Cet homme chez lequel l’expert psychiatre n’a pas décelé « aucune empathie pour la victime »avance cette explication effrayante :« J.« Je n’y suis pas retournée parce que le ‘mode viol’ me convenait, mais parce que je n’arrivais pas à contrôler ma sexualité. » expliquant avoir été la proie de « une dépendance sexuelle qui (L’)l’a rendu détestable. « Pourquoi ne pas y aller une septième, huitième fois ? »» a demandé un évaluateur. « Plus on avançait, plus les choses allaient mal en termes de sédation. Et j’essayais de sortir (depuis l’emprise) par Dominique Pélicot. Heureusement, il ne m’a plus recontacté, car je ne sais pas si j’aurais pu lui dire non. » a-t-il admis.
« Vous êtes d’une sincérité assez désarmante dans vos explications très détaillées », a souligné Antoine Camus. L’homme qui était employé chez un marchand de légumes au moment de son interpellation a même tenté de fournir des précisions sur le mode de fonctionnement de Dominique Pelicot, déclarant que le septuagénaire avait, à plusieurs reprises, proposé aux hommes de venir voir discrètement son épouse, à la maison ou dans les lieux publics, avant d’agir.