au poste frontière détruit de Masnaa, l’exode continue
« Vous pouvez toujours rouler 2 kilomètres. » Au dernier check-point libanais, l’officier fait un geste machinal en direction du profond cratère qui a englouti l’autoroute, devant lequel se retrouvent les véhicules tentant de rejoindre la Syrie voisine. Après une série de frappes israéliennes visant la zone autour du poste frontière de Masnaa le 4 octobre, la principale route vers la capitale syrienne est devenue impraticable. Des milliers de déplacés, pour la plupart syriens, continuent néanmoins de l’emprunter, bien décidés à passer coûte que coûte pour échapper aux bombardements israéliens. Une décision qu’ils prennent en urgence, beaucoup s’étant établis dans les régions pauvres du sud Liban, dans la banlieue sud de Beyrouth ou dans la plaine de la Bekaa : les régions les plus férocement attaquées par l’armée de l’air. Plus de 300 000 personnes, Syriens et Libanais, ont traversé la frontière syrienne au cours des deux dernières semaines.
Épuisée, Roqya scrute d’un regard perdu le chemin qui reste à parcourir, dimanche 6 octobre au matin. La première étape doit l’emmener jusqu’aux premiers fourgons qui, venus de Syrie et contre 20 dollars (18 euros), viennent récupérer ces naufragés pour les transporter jusqu’au poste syrien, à 4 kilomètres de là. A ses pieds se trouvent ce qui reste de onze années de sa vie passée au Liban : des matelas et quelques sacs. Au petit matin, après un nouveau bombardement, cette Syrienne d’Alep a décidé de prendre la route avec ses six enfants depuis Gazieh, une ville située à une quarantaine de kilomètres au sud de Beyrouth. « Des immeubles et des maisons entières se sont effondrés sous les grèves, il fallait partir, sinon on allait mourir »décrit-elle. « Je dois rejoindre ma belle-famille. Je ne sais pas comment nous allons y parvenir ni ce que cela va nous coûter.dit-elle, redoutant la deuxième partie du voyage qui l’attend. Ouvrier agricole, Ahmad, son mari, a choisi de rester au Liban. Il ne peut pas retourner dans un pays qu’il a fui pour échapper au service militaire.
Ils sont des centaines à marcher péniblement sous un soleil de plomb, poussette sous le bras ou tirant des valises à roulettes qui tremblent à travers les rochers. Les vieillards sont portés à bout de bras pour surmonter les obstacles ; un réservoir d’oxygène passe de main en main ; plus loin, des adolescentes portent leurs deux chats dans une boîte.
« La guerre nous a envoyé au Liban, elle nous renvoie en Syrie », constate, fataliste, Ali, la cinquantaine, qui s’épuise à porter une dizaine de valises de l’autre côté. Lui aussi a pris rapidement la route au petit matin depuis Ouzaï, dans la banlieue sud de Beyrouth. Il y vivait avec sa famille depuis 2014. « Nous sommes restés jusqu’au bout, mais les frappes aériennes étaient trop puissantes. » Il n’est cependant pas question aujourd’hui de retourner à Al-Boukamal, leur ville d’origine à l’est de la Syrie. « contrôlé par les Iraniens » et où ils avaient déjà tout perdu, précise-t-il. Un nouvel exil, le troisième en dix ans, les attend.
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