Au Portugal, l’amertume des jeunes diplômés face au dilemme de l’émigration
« Rester à Lisbonne, c’est faire passer l’amour de sa ville, de son pays et de sa famille avant sa carrière. C’est savoir que nous aurons sans doute un travail qui ne sera ni stable ni bien payé, et qui nous permettra plus de survivre que de vivre. » Devant les portes de l’université IADE, au bord du Tage, à Lisbonne, Aurelio Antonosciuc explique froidement dans un anglais parfait ce qui est pour lui un simple constat. Autour de cet étudiant de 21 ans, en dernière année de licence design, quatre amis s’accordent. « C’est facile de trouver un emploi à Lisbonne, mais pas facile de trouver un bon travail »ajoute Carolina Queiros, 18 ans, à la fois étudiante en communication et photographe. « La question pour nous tous est de savoir ce que nous sommes prêts à sacrifier »continue-t-elle.
Ces jeunes ont déjà eu des dizaines de fois cette conversation sur leur avenir au Portugal. Entre amis ou en famille. Pour eux, le besoin d’émigrer n’est pas une hypothèse improbable : c’est une évidence. Non seulement ils ne voient pas suffisamment d’opportunités professionnelles pour les jeunes formés à l’université, dans un pays qui reste très dépendant du tourisme et de ses emplois précaires, mais ils ont tous des proches qui ont déjà fait leurs valises et leur ont montré le chemin.
« J’ai un cousin qui est parti il y a cinq ans travailler dans le tourisme en Suède, et un autre à Londres, il y a deux ans, dans la finance. Un de mes amis est consultant à Munich et un autre est ingénieur informaticien à Zurich : il gagne 4.000 euros par mois, alors qu’ici il n’aurait pas plus de 1.500 euros, explique Francisco Lencastre, 20 ans, étudiant en gestion à l’école de marketing ISEG, située à deux pas de l’Assemblée de la République. Pour ma part, autant que possible, j’essaierai de rester. J’aime trop mon pays pour le quitter. »
» En retard «
Près de 2,1 millions de personnes nées au Portugal vivent hors du pays, dont 1,5 millions l’ont quitté au cours des vingt dernières années, soit 15% de la population, selon les estimations de l’Observatoire de l’émigration, qui dépend du Centre de recherche et d’études sociologiques de l’Institut Universitaire de Lisbonne (ISCTE). Près d’un quart des Portugais âgés de 15 à 39 ans vivent à l’étranger. Des chiffres qui font de la petite république ibérique le pays avec le taux d’émigration le plus élevé d’Europe, et le huitième au monde. Entre 2012 et 2016, en pleine crise économique, plus de 100 000 personnes ont émigré par an, avec un pic à plus de 120 000 en 2013. Et près de 65 000 personnes partent encore chaque année à la recherche d’un avenir meilleur ou tentent l’aventure de l’expatriation.
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