Le mollet potelé et le pied mignon de La renommée Les fleurs ont retrouvé leur teint rosé. Elles se détachent sur le ciel bleu pâle agrémenté de nuages crémeux. L’ensemble de la fresque, exécutée par Giambattista Tiepolo pour la Villa Contarini de Mira, en Vénétie, rayonne à nouveau de sa fraîcheur originelle. Découpée, transportée et installée en 1895 au musée Jacquemart-André à Paris, elle décorait le plafond du salon de thé. Les années avaient laissé une couche triste et brunâtre masquant ses teintes délicates.
« Cette souillure a terni sa beauté et sa puissance théâtrale.assure Pierre Curie, conservateur de l’établissement. Voyez maintenant comment, grâce au travail de l’atelier Arcanes, sa création en trompe-l’œil donne l’illusion d’une brèche qui nous attire vers le firmament !» Impression renforcée par la galerie de personnages disposés autour de cet éther où dodus putti (des nourrissons nus) gambadent les ailes déployées. Même ce petit singe impertinent dont la queue dépasse du corbeau en stuc pour narguer le spectateur…
L’oeuvre d’un couple d’esthètes
Très apprécié des visiteurs, le salon de thé du musée resplendit désormais de haut en bas, avec ses peintures murales, son sol et le magnifique ensemble de tapisseries de la tenture d’Achille, œuvre bruxelloise du XVIIIe siècle.et siècle, qui ont également bénéficié d’une restauration complète. « Quand on rénove une pièce, il faut le faire de A à Zplaide Pierre Curie. « On ne peut pas présenter des œuvres nettoyées au public dans un cadre délavé, ni l’inverse ! »
Royaume d’un couple d’amateurs d’art suffisamment fortunés pour assouvir leurs désirs, le musée, installé dans un luxueux hôtel particulier construit en 1869, porte le nom de ses fondateurs : la peintre Nélie Jacquemart et l’homme politique et collectionneur Édouard André. Il est la propriété de l’Institut de France depuis 1912.1 qui, en association avec la Drac d’Île-de-France, a financé sa restauration. Seule la fresque de Tiepolo a fait l’objet d’un mécénat privé complémentaire. Le budget global s’est élevé à 6,5 millions d’euros.
Merci aux photos originales
Une partie importante a été consacrée au fumoir. « Quand un morceau de plafond est tombé, on s’est dit qu’il fallait intervenir.explique Pierre Curie. Encore une fois, tout a été refait… » Tout, à commencer par, placé au centre dudit plafond, un tableau provenant du Palazzo Grimani, à Venise, dont le cadre en bois a été remplacé par un nouveau, en aluminium, beaucoup plus léger.
Les rideaux et le revêtement des sièges sont également neufs : « Il nous restait un rideau d’origine ainsi que des photos d’époquepoursuit le conservateur, qui nous a convaincu d’habiller la pièce en rouge, une couleur profonde qui lui donne un aspect précieux et chaleureux. » Silencieux mais attentifs, quelques portraits anglais du XVIIIe siècleet siècle nous rappellent que le couple Jacquemart-André n’était pas seulement passionné par l’art italien : ces tableaux de Reynolds, Gainsborough et Lawrence en sont la preuve.
Captivé par l’atmosphère cossue mais intime du fumoir, l’œil doit s’habituer à la lumière vive du jardin d’hiver. Les innombrables couches de poussière qui obscurcissaient les verrières ont disparu, laissant entrer la lumière extérieure. Elle illumine le marbre et le bronze doré du magnifique escalier à double révolution, lui aussi parfaitement choyé. Au passage, les équipes techniques ont pu confirmer la solidité d’une architecture composée de bois et de pierre cernée d’acier. « Nous avions peur d’éventuelles faiblesses, mais ce n’était pas le cas », admire Pierre Curie.
Tiepolo, encore lui
Disposée en hauteur comme un décor de théâtre, une autre fresque de Tiepolo – encore lui ! – qui avait déjà reçu tous les soins des restaurateurs en 1998, brille de cette clarté nouvelle. Elle appartient, comme celle du salon de thé, au cycle relatant le passage à Venise d’Henri III, fils de Catherine de Médicis, lorsqu’il rejoint Paris pour succéder à son frère Charles IX sur le trône de France. On ne se lasse pas de la profusion des personnages, du naturel spirituel de leurs attitudes, du bleu éclatant d’une robe, du panache du nouveau roi au port tout à fait galant.
Lorsque Nélie Jacquemart et Édouard André recevaient leurs amis dans l’enceinte de l’hôtel du boulevard Haussmann, ils les accueillaient probablement sur les marches menant au jardin. Ce dernier n’a pas échappé aux rénovations : plus de gravier dans les allées mais de beaux pavés formant des motifs appelés queues de paon. « J’utilise toujours de vieilles photos, nous avons redessiné les parterres, notamment ce grand cercle de plantes placé en plein centre, Pierre Curie, qui salue la chance qui a permis à ses équipes de « procurez-vous deux vieux candélabres en bon état. Ils rejoignent les quatre déjà en place pour éclairer le jardin une fois la nuit tombée. »
Pour sa réouverture, le musée Jacquemart-André peut s’enorgueillir de son lustre retrouvé. Si l’exposition de la rentrée (lire ci-contre) promet d’attirer les passionnés, nous ne saurions trop leur conseiller de prolonger la découverte par une balade paisible dans les salles et galeries. Ils y rencontreront des tableaux, sculptures et objets de décoration collectionnés avec amour par un couple d’esthètes qui a souhaité les honorer d’un écrin élégant. Digne de leur raffinement.
1. Depuis 1996, l’Institut de France a confié à Culturespaces la mission de valoriser et d’animer le patrimoine du musée. Elle gère notamment le salon de thé et la boutique, qui a également été réaménagée pour mieux attirer les acheteurs.
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