Un voyage officiel est comme une pièce de théâtre. Il y a les acteurs, des premiers rôles aux figurants. Les conseillers de l’Élysée assurent le récit. Les journalistes ont la responsabilité de planter le décor.
Généralement, le panel médiatique qui accompagne le président ne sait rien du pays hôte. Cela facilite le travail du « Château », où l’on travaille jusqu’à minuit pour « vendre » ce chef de l’Etat que l’on aime tant. D’autant que la priorité va aux chaînes de télévision censées donner une image flatteuse du déplacement présidentiel. Et autant être applaudi à l’étranger quand on est très impopulaire en France.
Des présences incongrues
Parfois, un grain de sable se glisse dans cette mécanique bien huilée. Les journalistes scrutent la délégation et discernent des figurants dont la présence est incongrue. Pourquoi inviter François-Marie Banier, le photographe condamné en appel en 2016 à quatre ans de prison pour abus de faiblesse contre la milliardaire Liliane Bettencourt ? Par quel mystère s’est-il retrouvé sur la liste de l’Élysée ? Mais, plus encore, c’est la présence de Yassine Belattar, l’humoriste controversé qui déchaîne les réseaux sociaux, commente CNews et Europe 1, à Paris. L’homme avait humilié Jean-Louis Borloo venu présenter son projet de banlieue à Emmanuel Macron et la polémique le fait sortir de l’oubli. Même si Macron n’a jamais cessé de le fréquenter, ce que l’Élysée n’accepte pas, affirmant que son invitation n’entraîne pas de soutien à ses idées.
« Un nouveau livre »
Le matin même, le Président, parfaitement maître de son art, émut les députés du Parlement de Rabat en rappelant le sacrifice des goumiers pour libérer la France. Puis en évoquant « l’ouverture d’un nouveau livre dans notre histoire commune ». Ahmed Dehy, député de Benslimane, petite ville proche de Casablanca où sera construit le plus grand stade d’Afrique pour la Coupe du monde 2030, m’a confié : « J’habitais à Montpellier. Non seulement j’aime la France mais je me sens française. »
Après avoir annoncé une multitude de contrats (22 lundi puis 18 ce mardi) orchestrés contre le bon sens dans une opacité totale sur les coûts et les modes de financement (sauf pour Alstom, Veolia et Engie, toujours dans le jeu, quel que soit le déplacement), le Président, reçu par Le Medef et la CGEM (le patronat marocain) ont lancé un communiqué vibrant : « Il faut réinventer le système international mais les financements privés doivent le soutenir plus rapidement ». Parce que tous ces merveilleux projets coûtent cher !
Cache ce Retailleau que je ne peux pas voir
Mais, au-delà de ces personnages sulfureux que le Président aime côtoyer, il y en a un dont l’Élysée se serait bien passé. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, pour qui « l’immigration n’est pas une opportunité ». A Rabat, la question des OQTF, que les Marocains remplissent au minimum (10 % sont effectivement exécutés), est un sujet embarrassant. Nous préférons affirmer que la coopération en matière de sécurité a toujours été excellente, même pendant les périodes de glaciation, et qu’elle a bien fonctionné pendant les Jeux olympiques. Emmanuel Macron a désamorcé le sujet dans la matinée au Parlement en suggérant une « coopération naturelle et fluide ». Bruno Retailleau, s’exprimant aux côtés de son homologue lors d’un point presse, s’est montré prudent en prônant « un échange d’expériences et de bonnes pratiques » en matière de surveillance des frontières, évoquant une « feuille de route pour travailler ensemble » et son engagement à venir sur place « autant de fois que possible ». selon les besoins ». Inutile de gâcher la fête des retrouvailles.