Au Japon, un élevage d’escargots de Bourgogne unique au monde
Toshihide Takase produit des escargots de Bourgogne au Japon, une espèce considérée comme impossible à élever. Son savoir-faire, développé en autodidacte pendant quatre décennies, intéresse aujourd’hui beaucoup la France.
Farcis au beurre ail-persil et cuits au four, les escargots « à la bourguignonne » sont un monument de la gastronomie française depuis le XIXème siècle.
Mais les escargots de Bourgogne (helix pomatia) sont protégés depuis 1979 en France, car menacés d’extinction. Ils sont donc collectés en Europe centrale et orientale puis exportés, principalement vers la France, premier marché mondial.
Des éleveurs d’escargots existent également en France, mais ils se concentrent sur une autre espèce plus facile à produire, l’helix aspersa (le « petits gris » Et « gros-gris »), et ne représentent que 5 % du marché national.
« L’escargot de Bourgogne n’a jamais vu la Bourgogne, c’est ironique mais c’est vrai »William Blanche, coprésident de la Fédération nationale des héliculteurs et éleveur près de Besançon (est de la France), a déclaré à l’AFP.
La pomatie « est connu pour être impossible à élever (…) car il ne supporte pas la promiscuité et sa croissance est longue, entre deux et trois ans »se souvient un industriel français du secteur préférant garder l’anonymat.
« Ils m’ont traité d’idiot »
M. Takase, 76 ans, affirme cependant avoir réussi à raccourcir la période de croissance des pomatia à seulement quatre mois, comme l’aspersa française.
Rien ne le prédestinait à devenir un expert dans ce domaine si atypique au Japon, où les escargots sont rarement consommés et considérés comme nocifs pour les cultures.
Ses autres secteurs d’activité n’avaient rien à voir non plus avec les gastéropodes : son «laboratoire de développement des escargots» à Matsusaka (centre du Japon) se trouve derrière une bruyante métallurgie, première entreprise créée par ce multi-entrepreneur aujourd’hui à la retraite.
Sa vocation lui est venue en 1979. « Ma sœur était venue en France et m’avait apporté des conserves d’escargots en souvenir » dit-il à l’AFP. «Mais ce n’était pas bon et ça sentait mauvais. »
Après cette expérience décevante, il se lance le défi fou d’élever des escargots de Bourgogne : « Je pensais que moi seul pouvais le faire »explique cet homme obstiné et fier d’avoir prouvé le contraire à tout le monde : « Ils m’ont traité d’idiot ».
Il dévore la littérature sur le sujet, rencontre des hélicoptères en France et investit une petite fortune. Après sept ans de démarches administratives, il obtient un permis d’élevage au Japon et le droit d’importer 100 spécimens de pomatia de France : « J’étais vraiment ému, mon cœur battait à tout rompre »il raconte, prétendant être « le seul au monde » pour les élever.
« Un coup marketing monstrueux »
Il affirme avoir désormais la capacité d’en produire 600 000 par an. Ses escargots vivent paisiblement dans des plateaux disposés sur des étagères métalliques coulissantes, dans un sol savamment préparé et riche en humus où il ajoute de la poudre de coquilles d’huîtres, pleine de calcium : » Ils aiment « .
L’éleveur a mis » vingt ans « pour développer une poudre alimentaire spéciale pour ses escargots, à base de soja et de maïs, riche en vitamines et en calcium.
L’hygiène est au cœur de son élevage : mangeoires et abreuvoirs sont remplacés tous les trois jours et lavés à la main. « Les escargots aiment la propreté »explique M. Takase, qui surveille également en permanence le niveau de température et d’humidité.
Il souhaite désormais transmettre sa méthode aux éleveurs français, contactés via l’ambassade de France au Japon, et réfléchit également à des partenariats commerciaux avec des fabricants français. Mais de nombreuses questions demeurent.
« Si demain on savait cultiver la pomatia, pourrions-nous faire une transition ? Nos consommateurs, habitués à un autre type d’escargot, seraient-ils partants, et à quel prix ? » demande M. Blanche, bien que séduit par l’idée de visiter l’élevage de M. Takase.
De telles installations soignées, entièrement en surface, impliquent des coûts élevés : six autres personnes travaillent toute l’année avec M. Takase, qui, en vente directe, facture près de 60 euros (9 900 yens) pour 30 escargots.
« C’est très cher, environ quatre fois le prix des escargots des fabricants français et environ le double des prix des éleveurs français »constate l’industriel interrogé par l’AFP.
Et « il faut que ça ait du goût »prévient-il, doutant pour le moment qu’une pomatia d’élevage soit aussi savoureuse qu’une pomatia sauvage ayant « un goût prononcé de sous-bois ».
«Je rêverais d’avoir un escargot de Bourgogne française»confie pourtant cet entrepreneur. « Le coup marketing serait monstrueux. »