Le regard doux et posé, Charles Kloboukoff est de ceux qui avancent obstinément. Il est rare dans les médias, brandir des étendards n’étant pas le style de la maison. Il suit son chemin selon ses valeurs, et il compte bien les transmettre, les mettre à l’abri, tout comme ceux qui lui sont chers. Le président-fondateur de la Compagnie Léa Nature – 2 000 salariés, 488 millions d’euros de chiffre d’affaires –, dont le siège est à Périgny près de La Rochelle, est en train de faire passer son capital à Ficus (Fonds de soutien aux initiatives citoyennes utopiques et solidaires), un fonds de dotation qui garantira que les futurs gérants de l’entreprise ne dévoieront jamais ses valeurs.
Comment vos enfants ont-ils réagi à l’idée que l’entreprise de leurs parents soit transmise à un fonds, et de ne pas la posséder ?
Au début, ils ont été surpris, mais ils n’ont pas de problème avec le fait de posséder un bien. Au contraire. Diriger une entreprise si importante peut être un fardeau. Ils hériteront de mes biens personnels, mais pas du groupe, dont la croissance servira à financer des actions solidaires via ce fonds de soutien. Il ne faut pas que la gestion soit une trop grande responsabilité pour les membres de la famille, qui, par exemple, n’auraient peut-être pas toutes les compétences nécessaires ou qui pourraient être sous influence pour voter une décision qui pourrait s’avérer néfaste. Cela s’est déjà vu dans des transmissions. Mes filles surtout – mon fils est encore un peu jeune – sont impliquées dans la gestion de Ficus [le fonds de dotation qui prend le contrôle de l’entreprise, NDLR] et dans le commerce international. Elles ont des idées et des envies.
Comment votre entourage a-t-il réagi ?
Au début, on m’a pris pour un fou ! Mais j’ai travaillé pendant sept ans à rechercher des idées, à m’inspirer d’autres modèles, en Suisse, au Danemark, en France, et nous sommes accompagnés par un cabinet spécialisé, Prophil.
Quelles seront les prochaines étapes dans la mise en place de cette évolution ?
En 2024, nous avons commencé à préparer la gouvernance pour superviser l’entreprise. En 2025, nous mettons en place un conseil stratégique extérieur pour challenger les destinées de l’entreprise. J’aurai besoin des regards des cinq directeurs qui m’accompagnent, et je vais compléter avec une ou deux autres personnes. On essaie aussi de développer l’actionnariat pour avoir un socle large, des compétences fortes et des gens impliqués.
« Finalement, je me sens vraiment beaucoup mieux depuis que j’ai fait ce choix »
Ce cheminement intellectuel a-t-il été difficile ou, au contraire, naturel ?
En fait, un peu des deux. Au début, je savais que je souhaitais faire évoluer l’entreprise dans cet esprit, mais je ne savais pas comment. En même temps, je trouvais un peu difficile d’accepter ce renoncement. Au début je nageais en pleine contradiction ! Finalement, je me sens vraiment beaucoup mieux depuis que j’ai fait ce choix.
Comment aimeriez-vous voir Léa Nature quand vous serez devenu vieux ?
(Rires) J’aimerais voir une entreprise emmenée par des gens bienveillants, efficients et résilients.