« Au cœur du collège, un an à Jean Vilar » sur M6 montre la difficile prise en charge du harcèlement scolaire
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La série documentaire « Au cœur du collège, une année à Jean Vilar », en six épisodes, est diffusée à partir du 21 avril sur M6.
ÉCOLE – La séquence, publiée par M6 sur les réseaux sociaux en guise de teaser, a fait réagir, à tel point que la chaîne l’a supprimée. Mais on n’en est encore qu’au début de la série documentaire » Au coeur du collège, une année à Jean Vilar », diffusé à partir de ce dimanche 21 avril. Dans le premier épisode, on voit un professeur d’histoire-géographie, suppléant, face à une classe de 3e. En pleine classe, un adolescent nommé Duygu, présenté dans le reportage comme un « personnage fort « OMS » s’emporte très vite », interpelle un autre étudiant.
Raphaël se moque ouvertement de son prénom. « Chien, chien, chien », affirme-t-il en riant, suivi d’un « chien chien « . La jeune fille a réagi en criant. Le professeur intervient en s’adressant non pas à Raphaël, mais à Duygu : » Vous devez comprendre qu’il n’est pas nécessaire de réagir. » Mais le jeune homme continue encore plus, sous les rires de ses camarades : « Duygu, tu es fou « , » Chien chien « . Le professeur finit par prendre les cahiers de correspondance des élèves, dont celui de Duygu.
« Il me cherche depuis la rentrée et c’est moi qui le prends ! » », s » Duygu indigné, visiblement au bord des larmes. » Se détendre un peu », rétorque alors l’enseignante, qui finira par envoyer la jeune fille au CPE pour qu’elle « descend sous pression ». Elle s’adresse ensuite à la classe : « Les garçons, j’aimerais que vous arrêtiez de la chercher, car elle s’en va rapidement. » Et là, que récolte-t-on ? Elle est obligée d’aller à l’école pour se calmer. Et au final, qui est puni ? « , elle demande.
« Il y a des garçons qui me cherchent, mais c’est juste pour s’amuser »
Sur les réseaux sociaux, où seul cet extrait – et non le reste du documentaire – a été diffusé pour la première fois, des commentaires ont dénoncé le fait que c’était la jeune fille et non le jeune homme qui était envoyée dans la vie scolaire. « Son professeur la punit, même si elle est victime de la situation », tweete un internaute. » C’est complètement lunaire. On sent clairement que Duygu est en détresse psychologique et c’est elle qui se fait expulser de la classe… », s’indigne un autre sur X.
Cette scène montre les difficultés que peuvent rencontrer les personnels éducatifs à faire la part des choses entre les disputes et le harcèlement. Et surtout sur l’attitude à adopter dans ce type de situation. Dans la suite du documentaire, Duygu décrit d’abord cet épisode comme « petite dispute entre amis « .
« Il y a des garçons qui me cherchent, mais c’est juste pour s’amuser », nuance-t-elle, estimant que Raphaël parfois « exagérer les choses « . Lors de l’entretien avec le CPE, ce dernier lui fait encore répondre à un questionnaire « PHARe » (programme de prévention du harcèlement scolaire à l’école).
» Je pensais que ça allait s’arrêter »
Duygu rapporte alors « remarques sur son corps » de Raphaël depuis quelques semaines. » Mais pourquoi ne nous avez-vous pas alerté avant ? », demande le CPE. » Je pensais que ça allait s’arrêter », répond Duygu, les larmes aux yeux. La suite de la série documentaire, diffusée sur M6 du 21 avril, montre que cela ne s’arrêtera pas là. Un autre adolescent, Jassim, lui commente son poids lors d’un cours : « Vous êtes gros « , » Quand tu marches, tu brises le sol », dit-il en gonflant les joues.
Duygu finira par sangloter dans un coin de la salle du collège. C’est un surveillant, alerté par ses amis, qui finira par prendre en compte l’incident et prévenir le CPE. Une véritable mise au point va être faite dans son bureau, où elle reçoit les deux jeunes. Face caméra, Jassim admettra que Duygu est son « meilleur ami « . Les deux adolescents sont en larmes devant le CPE, qui recadre fermement le jeune homme et lui fait prendre conscience de ses actes et de ses propos.
À la suite de ses propos inappropriés répétés et malgré les avertissements, le jeune Raphaël fera finalement l’objet d’une procédure disciplinaire. Alors qu’avec Duygu, ils sont « amis », selon l’ensemble du corps enseignant et les protagonistes eux-mêmes. Plusieurs séquences montrent les adolescents s’amusant, riant ensemble, se disant qu’ils s’aiment.
Le protocole pHARe
Le protocole pHAre, déployé dans les collèges et les écoles primaires en 2020, est un dispositif de lutte contre le harcèlement scolaire. Destiné au personnel enseignant, il indique la procédure à suivre et les choses à mettre en place pour sortir les élèves de la spirale de la violence. Ce » méthodologique étape par étape » est décrit dans ce document.
Mais elle n’est pas assez connue dans les établissements, faute de formation suffisante, comme le soulignent les professionnels interrogés par HuffPost au moment du décès du jeune Lucas, 13 ans, victime de harcèlement et d’homophobie, en janvier 2023.
« Souvent, c’est de l’auto-formation à travers des visios et des vidéos, un peu à la manière des mooks, Olivier Raluy, secrétaire national CPE du SNES-FSU, nous l’expliquait alors, en poste dans un collège REP+ à Clermont-Ferrand. Ce sont des modules préparés par le ministère, qui ne sont pas mal réalisés, mais qui ne sont pas au niveau d’ambition que l’on aurait pu espérer sur ce sujet. »
Plus d’un élève par classe
Pour Guislaine David, secrétaire générale et porte-parole du SNUipp-FSU, qui représente les enseignants et professeurs des écoles, ces formations ne permettent pas de débattre sur le fond. « Ce qui est important, c’est l’échange entre pairs, le partage d’expériences sur certaines situations, les apports des chercheurs. Il n’est pas mis en œuvre et il manque »a-t-elle souligné.
La sociologue Johanna Dagorn, membre de l’Observatoire international de la violence scolaire, a parlé de « saupoudrage ». « Il n’y a pas de travail de fond, d’après ce que me disent les équipes, c’est assez sommaire »a ensuite dénoncé la chercheuse, qui connaît bien le sujet, puisqu’elle a été chargée de la lutte contre les violences sexistes au sein de la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire de 2012 à 2014.
Selon les résultats d’une grande enquête nationale, menée en novembre 2023 et publiée le 12 février, 5% des écoliers du CE2 au CM2, 6% des collégiens et 4% des lycéens sont considérés comme victimes de harcèlement. Ramenés à une population de plus de douze millions d’élèves, ces pourcentages révèlent un phénomène important : en moyenne, plus d’un élève par classe est concerné.
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