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Au cœur de l’UE, des armées d’interprètes dans l’ombre

Séance plénière au Parlement européen. Les votes se succèdent, les mains se lèvent à intervalles rapides, au rythme de l’appel en allemand : « Dafür ! » », « Dagegen ! » » ( « Pour « ,  » contre « ).

Surplombant l’hémicycle bruxellois, des dizaines d’interprètes s’affairent dans la pénombre de leurs cabines.

L’Union européenne est le principal employeur mondial de ces professionnels, omniprésents dans les coulisses des sessions parlementaires, sommets, auditions, conférences de presse… Ils sont 250 employés par le Parlement, auxquels s’ajoutent quelque 1 500 freelances pour l’ensemble des institutions.

Ces interprètes doivent fouiller dans des dossiers parfois complexes. Il faut aussi se tenir au courant de l’actualité, qu’il s’agisse de politique ou de sport, explique Zivile Stasiuniene.

« Les gens parlent souvent de football »sourit cette femme de 55 ans, qui interprète principalement vers sa langue maternelle, le lituanien, à partir de l’anglais, du français, de l’espagnol et du russe.

Pour elle, son travail consiste à construire des ponts entre les cultures, à transmettre le contexte et l’émotion en même temps que le message.

Un moment mémorable ? Première visite du président ukrainien Volodoyr Zelensky au Parlement européen après le lancement de l’invasion russe en 2022. « Le collègue qui devait jouer le président Zelensky a commencé à parler des horreurs de la guerre, il pleurait, on entendait des larmes dans sa voix »elle se souviens.

24 langues de travail

Agnès Butin, qui interprète vers le français depuis l’allemand, l’anglais et le croate, a été particulièrement émue par la dernière séance à laquelle ont participé les députés britanniques, fin janvier 2020, avant l’entrée en vigueur du Brexit.

Au cœur de l’UE, des armées d’interprètes dans l’ombre

« Ils ont commencé à chanter ‘C’est juste au revoir’, des écharpes de football ont été distribuées. C’était un moment très émouvant parce qu’on sentait que c’était réel. Ces gens souffraient vraiment, c’était un moment de grande fraternité”elle se souviens. « Tout le monde était vraiment solidaire, quelle que soit la nationalité, avec ces pauvres députés britanniques qui ont dû partir ».

Malgré le retrait du Royaume-Uni, l’anglais reste un lien pour les 27 pays de l’UE. Mais cette omniprésence n’empêche pas le besoin d’interprétation, bien au contraire, affirme Agnès Butin.

« Quand quelqu’un parle anglais et n’est pas anglophone, il y a beaucoup d’erreurs. Les gens n’ont pas forcément le bon vocabulaire. On est habitués, on suit les rencontres, on connaît le contexte général et on peut rectifier”elle explique.

L’eurodéputé français David Cormand (Verts) a pris des cours après son élection pour améliorer son anglais, mais considère le rôle des interprètes comme essentiel.

« Pour entrer dans le détail des textes juridiques, il est vraiment indispensable de pouvoir se comprendre, d’avoir la possibilité de s’exprimer dans sa langue maternelle »estime l’élu. « De la même manière, pour développer nos stratégies de groupes politiques, nous devons pouvoir échanger dans la langue dans laquelle nous sommes le plus à l’aise »il explique.

Au cœur de l’UE, des armées d’interprètes dans l’ombre

Au-delà, « La question de l’interprétation est une question démocratique centrale. Il s’agit de permettre à tous les citoyens européens d’avoir un accès égal au débat »souligne David Cormand.

Avec 24 langues de travail, et plus de 500 combinaisons possibles, les interprètes de l’UE utilisent un système de relais, consistant à passer par une langue intermédiaire.

Ainsi, dans le cas d’un discours en suédois ou en hongrois, les interprètes qui ne maîtrisent pas ces langues auront recours à une première interprétation de ce discours dans une langue qu’ils connaissent — par exemple l’anglais, le français ou l’allemand –, avant de le traduire. retourner dans leur langue cible.

La concurrence de l’IA ?

Ces professionnels, amenés à jongler avec quatre ou cinq langues, sur des sujets très variés et complexes, doivent être capables d’une concentration à toute épreuve et de l’endurance d’un athlète.

Au cœur de l’UE, des armées d’interprètes dans l’ombre

«C’est assez fatigant et exigeant»reconnaît Agnès Butin. « Il faut être bien préparé. Il faut aussi avoir une résistance naturelle au stress, sinon le stress prévaut et vous n’êtes pas capable de travailler correctement”.

Ensemble, les services de traduction et d’interprétation coûtent à l’UE environ un milliard d’euros par an, soit un peu moins de 1 % du budget communautaire.

Alors que l’intelligence artificielle supplante déjà partout le travail des traducteurs, son spectre plane inévitablement sur le métier d’interprète. Mais pas de trop inquiéter Agnès Butin et Zivile Stasiuniene.

« Pour l’instant, l’intelligence artificielle ne capte pas tout. Par exemple, l’humour »souligne Zivile Stasiuniene. « Pour rendre le discours plus vivant, il faut la touche humaine. Il n’y a pas de secret ».

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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