Au Bangladesh, les rues de Dhaka saisies par la fièvre de la contestation : Actualités
Après la « révolution » de l’été, le « printemps » de la contestation. La chute du régime autocratique de Sheikh Hasina au Bangladesh a apporté un vent de liberté dans les rues de Dacca, théâtre quotidien de manifestations en tout genre.
Début novembre, le centre de la capitale bangladaise est plein. Pas moins de trois rassemblements de protestation concentrés sur moins d’un demi-kilomètre ce jour-là, et au moins trois manifestants solitaires.
Assis sur un matelas, Mahbubul Haque Shipon, 47 ans, a arrêté de manger depuis quatre jours et réclame le limogeage du président Mohammed Shahabuddin, dit « Chuppu », un proche de l’ancien Premier ministre déchu.
« Je manifeste dans l’intérêt national », a-t-il proclamé, un drapeau enroulé autour du cou, « je ne bougerai pas tant que Shahabuddin Chuppu n’aura pas été démis de ses fonctions ».
Autour de lui, la guerre des mégaphones bat son plein. Dans un brouhaha assourdissant, des employés du cadastre réclament d’être payés par le gouvernement et des fidèles dénoncent un acte de vandalisme visant une mosquée.
Et un peu plus loin, un maître soufi autoproclamé dénonce en silence la « discrimination » à l’encontre des adeptes de son courant de l’islam.
Après les années de direction de l’ancien régime, le grand bazar des revendications ne faiblit pas.
Cheikh Hasina, 77 ans, a régné d’une main de fer sur le Bangladesh (1996-2001 puis 2009-2024), accusé d’avoir exécuté, kidnappé ou emprisonné des centaines d’opposants politiques.
– « Liberté enlevée » –
Sa fuite, le 5 août, après des semaines de manifestations sévèrement réprimées, et l’arrivée au pouvoir du gouvernement provisoire dirigé par le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus ont été accueillis avec soulagement.
Le 8 novembre, des centaines de milliers d’opposants à Mme Hasina sont descendus dans les rues de Dacca pour célébrer sa chute.
Au milieu de la marée de slogans, de tambours et de pancartes, Aminul Islam Amin, 50 ans, se réjouit de sa liberté retrouvée.
« Avant, nous ne pouvions pas organiser une réunion sans l’intervention de la police », se souvient ce militant du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP). «Ils sont venus m’arrêter chez moi. Et j’ai interrogé mon père de 76 ans et mon fils de 9 ans.
« Cette manifestation est l’expression spontanée d’une liberté qui nous avait été retirée sous l’ancien régime », reconnaît Zahir Uddin Swapan, l’un des dirigeants du BNP à l’origine du rassemblement.
Malgré le renforcement des militaires, la police peine à contrôler le flux des manifestations, même si elles sont soumises à leur autorisation.
« Certains respectent les règles, d’autres non », regrette, fataliste, un officier. « Nous encourageons les gens à s’exprimer mais nous souhaitons aussi éviter qu’ils ne perturbent la vie des habitants. »
« En moyenne, nous avons deux ou trois grands défilés par jour, qui créent d’importants embouteillages dans la ville », renchérit un haut responsable de la police, Khondokar Nazmul Hossain.
Cette agitation ravit les commerçants. « Nous ne vendons généralement des drapeaux que le jour de la fête nationale. Aujourd’hui, la demande monte en flèche », Arup Sarkar se frotte les mains.
– « Droits fondamentaux » –
Souvent débridées, les propos de certains peuvent prendre une tournure violente et inquiétante.
La police est intervenue pour empêcher une foule de s’emparer de l’Académie nationale des beaux-arts ou des islamistes qui voulaient attaquer le siège de deux journaux.
« Les libertés d’expression ou de manifestation sont des droits fondamentaux, mais pas si elles empiètent sur celles d’autrui », rappelle Abu Ahmed Faizul Kabir, responsable de l’ONG de défense des droits humains Ain O Salish Kendra.
Jusqu’à présent, le gouvernement provisoire n’a fait qu’une seule exception à sa tolérance à l’égard des manifestants : le parti de l’ancien Premier ministre a été formellement interdit de tout rassemblement.
Des dizaines de ses partisans ont également été arrêtés pour leur rôle présumé dans la répression menée par l’ancien régime.
« La Ligue Awami, dans sa forme actuelle, est un parti fasciste » et Sheikh Hasina « un meurtrier de masse et un dictateur », a justifié le porte-parole de Muhammad Yunus, Shafiqul Alam.
Très politique, cette interdiction ne fait pas l’unanimité au sein de la société civile.
« Nous avons des lois qui répriment l’incitation à la haine. Ils sont réglementés », note Shishir Mohammad Munir, avocat à la Cour suprême, la plus haute instance judiciaire du pays.
« Mais il faut aussi rappeler que les libertés d’expression et de réunion constituent des droits fondamentaux à protéger à tout prix », prévient-il.