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Ashikaga, la première école du Japon


Son célèbre parc floral offre le spectacle magique de tunnels violets formés de milliers de glycines en fleurs, suspendus à des treillis au-dessus des têtes des visiteurs et illuminés à la tombée de la nuit. Pourtant, pendant plusieurs siècles, Ashikaga (150 000 habitants), à 75 kilomètres au nord de Tokyo, était surtout connue comme un lieu de pouvoir et de savoir.

Tout d’abord, le pouvoir, car au Moyen Âge, un clan de guerriers locaux réussit à fédérer une rébellion de seigneurs contre l’empereur, au point de remporter une bataille décisive en 1336. Issu d’une dynastie de samouraïs, Takauji Ashikaga (1305-1358) prend alors le titre de shōgun (« général »). Son clan règne alors pendant deux siècles sur le centre de l’archipel japonais.

Dans leur fief originel, ces chefs militaires créèrent au XVe siècle un nouveau type d’institution éducative, reconnue plus tard comme la première véritable école, au sens moderne du terme, fondée au Japon.

Le Japon entre traditions et modernité photographié par la communauté GEO

Un système éducatif redéfini

« À l’époque médiévale, l’éducation de l’empereur et de la famille impériale était assurée à la cour par des précepteurs », explique Gaétan Rappo, professeur d’histoire du Japon à l’université privée Dōshisha de Kyoto. « Il n’y avait que deux systèmes d’éducation : d’une part, la transmission du savoir au sein du cercle familial et, d’autre part, la formation dans les temples bouddhistes, pour les enfants des classes privilégiées et les futurs moines.

Mais à partir du XIIe siècle, les clans guerriers, qui gagnaient en puissance, voulurent s’assurer une légitimité culturelle en mettant l’accent sur l’éducation et en encourageant l’ouverture de lieux d’apprentissage.

Une institution dédiée aux études bouddhiques avait déjà été créée à Ashikaga au milieu du XIIe siècle (après l’ouverture d’une première école au IXe siècle). Mais en 1439, le samouraï Norizane Uesegi, assistant du shogun Yoshinori Ashikaga, repensa complètement les prémisses et le contenu du programme. Il reposait désormais sur les cinq valeurs cardinales du confucianisme : l’intégrité, la sagesse, la bienséance, la droiture et la bienveillance.

Au programme, taoïsme, médecine et divination

Norizane Uesigi fournit alors à l’école Ashikaga Gakkō (« Ashikaga ») des ressources matérielles et financières. Il offre des exemplaires des principaux textes confucéens traduits en japonais pour construire sa bibliothèque, encourage les familles aisées à faire des dons et alloue des rizières à l’établissement, pour assurer sa subsistance. Il recrute également un directeur d’école, un moine de Kamakura, étranger à la région, nommé Kaigen.

Ses élèves, exclusivement des garçons âgés d’une vingtaine d’années à leur arrivée, venaient de tout le Japon, notamment de l’île de Kyushu, pour y acquérir une formation spécialisée pendant plusieurs années.

L’interprétation du Yi King, l’un des plus anciens textes chinois

L’école Ashikaga proposait trois grands enseignements. Le premier, destiné principalement aux moines, s’appuyait sur l’étude du confucianisme, à travers les grands classiques chinois introduits au Japon au VIe siècle : les écrits de Confucius (551-479 av. J.-C.), les annales historiques, les textes littéraires et philosophiques, ainsi que les textes taoïstes. La deuxième spécialité était la médecine. La troisième, qui allait connaître un succès croissant, était la divination.

Basée sur le Yi King, le « Livre des Mutations », traité du 1er millénaire avant J.-C., cette pratique permettait de « lire » l’avenir en interprétant des combinaisons formées de 64 hexagrammes, symboles constitués de six lignes brisées ou continues.

« L’art divinatoire était utilisé à des fins militaires, pour prédire les moments propices au lancement d’une offensive ou à l’organisation de manœuvres, poursuit Gaétan Rappo. Il acquit une importance majeure au XVIe siècle, alors que le pays se trouvait plongé dans une quasi-guerre civile. Le pouvoir des shoguns était contesté par les gouverneurs locaux, et l’école, réputée pour la qualité de sa formation, fournissait des moines experts en divination aux plus grands seigneurs. »

Une réputation même en Occident

Le XVIe siècle marque son apogée. Le site comprend plusieurs dizaines de bâtiments : salles d’études, temples, réfectoires, dortoirs, réserves de bois et de nourriture…

Sa bibliothèque, qui comptait quelque 18 000 volumes, était l’une des plus riches du Japon. L’établissement, partiellement détruit par un incendie en 1530 puis reconstruit, aurait compté jusqu’à 3 000 étudiants, bien qu’aucune source écrite ne l’atteste.

La réputation de l’école Ashikaga parvint jusqu’aux oreilles des missionnaires jésuites qui débarquèrent au Japon au XVIe siècle. Le Navarrais François Xavier (1506-1552), l’un des principaux évangélistes en Extrême-Orient, la mentionna dans une lettre de 1549 comme la « plus grande université du Japon ».

Prospérité et déclin

Puis le prestige et l’influence du lieu déclinèrent durant la période Edo (1603-1868). L’apparition, au début du XVIIe siècle, de terakoya, « temples-écoles » ouverts aux classes populaires, et d’établissements privés organisant des séminaires, bouleversa le système éducatif, qui s’ouvrit plus tard, sous l’ère Meiji, aux influences occidentales.

Démantelé en 1872, l’Ashikaga Gakkō fut autrefois transformé en école primaire et bibliothèque. Détruit à nouveau par un incendie et reconstruit, le lieu fut déclaré « site historique national » en 1928.

Aujourd’hui, les derniers bâtiments au toit de chaume de cet établissement pionnier au Japon – y compris la bibliothèque et les jardins – ont été restaurés et peuvent être visités toute l’année.

Ce qui persiste dans le système éducatif japonais

Le système éducatif japonais contemporain, ultra-sélectif, axé sur la discipline et où l’avis de l’enseignant n’est jamais remis en question, préserve en partie le vieux modèle hiérarchique maître-disciple.

A l’université, la qualité des étudiants et des enseignants se mesure autant aux séminaires qu’ils ont suivis, avec quels professeurs – et à quelle période de leur carrière – qu’aux diplômes obtenus. Ce positionnement social et académique est déterminant pour leur avenir professionnel.

Cet article est tiré de GEO Histoire n°77, Plongez dans le Japon d’hier pour comprendre celui d’aujourd’hui, de septembre-octobre 2024.

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Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.

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