Divertissement

Arthur Teboul et Baptiste Trotignon nous enivrent de poésie

Hier soir à La Rochelle, le chanteur de Feu ! Chatterton et le pianiste de jazz ont réinterprété le répertoire français, de Barbara à Higelin, dans une scénographie sobre, au pouvoir évocateur remarquable. Récit.

Arthur Teboul, lors de son concert du 11 juillet aux Francofolies où il partageait la scène avec Baptiste Trotignon.

Arthur Teboul, lors de son concert du 11 juillet aux Francofolies où il partageait la scène avec Baptiste Trotignon. Photo Antoine Monégier/Francofolies

Par Léa Bucci

Publié le 12 juillet 2024 à 15h08

PASPas de bruit ni de fureur. En ce deuxième soir des Francofolies de La Rochelle, le grand théâtre de La Coursive offre un refuge aux rêveurs, loin de la grande scène du port, fiévreuse du soleil et de la prestation surchauffée de la chanteuse Santa. Seuls de larges halos oranges percent l’obscurité de la scène nue. Deux silhouettes s’avancent : Baptiste Trotignon, assis au piano à queue ; Arthur Teboul, au micro.

Un peu raide dans son costume noir, un pupitre à sa droite, le chanteur se présente devant la salle comble avec l’humilité d’un débutant – ce qu’il n’est plus depuis longtemps. On le connaissait dandy électrique et rock, se hissant en sueur sur les épaules de la foule lors des concerts qu’il donne avec ses potes de Feu ! Chatterton. Il y a une dizaine d’années, le groupe a fait ses débuts aux Francofolies, rappelle-t-il au public. Aujourd’hui, Arthur Teboul n’a plus qu’un seul compagnon de jeu, un jazzman hors pair, et un répertoire de reprises piano-voix.

Une palette d’émotions

Leur récital commence ainsi par la fin… d’une histoire d’amour : Je ne peux plus dire que je t’aime, de Jacques Higelin. D’une phrase à l’autre, les doigts de Baptiste Trotignon virevoltent sans interruption jusqu’aux premières notes de Mec jaloux – qu’Arthur Teboul traduit en français par « Je ne suis que jalousie ». Débarrassée de la solennité pop de John Lennon, la pièce se pare d’arrangements jazzy et sonne d’autant plus sincère. Les premiers applaudissements nourris rassurent le chanteur : « Tu es si chaleureux ! » Le plébiscite est tout aussi immédiat La rue mature, de Nino Ferrer, une bossa nova menée de main de maître par Baptiste Trotignon. On pourrait presque voyager dans un bar enfumé de Rio de Janeiro, au fond de cette  » Rue (où nous sommes) jamais été là ».

Le talent du duo réside dans ce pouvoir d’évocation. La ville s’endormait, de Jacques Brel, Arthur Teboul redevient le poète mélancolique de Feu ! Chatterton. Pas pour longtemps : le voilà transformé en chanteur vantard et charmant sur la Chemin de fer panoramique, de Serge Gainsbourg. Il est aussi le romantique souffrant deil n’y a pas d’amour heureux (Georges Brassens), à douleur contenue dans un fil de voix. Ou, une fois la veste tombée, révélant une chemise à motifs, le protagoniste excentrique et grinçant de la Le goudron par Brigitte Fontaine. Moqueur, le chanteur, sans doute enhardi par la liberté de la Libellule, se permet quelques bavardages : « ‘On va voir brûler la ville gonflée’… Ça finit toujours mal ! Non, attends, ça s’arrange peut-être… ‘Mon frère est un raté parce qu’il est mort’. C’est censé être un moment joyeux dans la série, ça promet d’être bien ! » Mais le rire aurait-il la même force sans l’existence des larmes ? Dans ce grand écart, Arthur Teboul rappelle Le bateau ivre, par Arthur Rimbaud : parfois « plus léger qu’un bouchon » dansant sur les vagues, parfois une vieille âme qui sait « les cieux éclatant d’éclairs, et les trombes d’eau. / Et les courants et les ressacs. » Mais un bateau qui s’enivrerait de poésie, comme le recommandait Charles Baudelaire.

Quelques heures plus tôt, en plein jour, dans le cadre des Folies littéraires, le chanteur et auteur venait de discuter poésie avec Didier Varrod, directeur de la musique à Radio France. Arthur Teboul possède deux recueils écrits en écriture automatique. L’un, intimiste, au titre explicite, Le déversoir (2023); l’autre, L’adresse (2024), écrit lors de rencontres dans un atelier poétique éphémère à Paris. À La Rochelle, une bourrasque s’est invitée au milieu de l’échange, laissant le public trempé. Mais respectueux du calme lorsque l’artiste prend la plume pour improviser quelques lignes. Aussi ne fut-on guère surpris que sa prose débute par les mots suivants : « Terriblement dérangé par le bruit qui n’était pas »…

Baptiste Trotignon et Arthur Teboul sur la scène des Francofolies de La Rochelle.

Baptiste Trotignon et Arthur Teboul sur la scène des Francofolies de La Rochelle. Photo Antoine Monégier/Francofolies

Ce soir, dans le vacarme tout aussi inexistant du théâtre La Coursive – hormis les battements de mains des spectateurs – il réitère. Tandis que Baptiste Trotignon façonne en temps réel des boucles de notes cristallines ou écrase ses pédales dans la basse, le poète-chanteur s’assoit et écrit. Le texte qu’il livre parle de retrouvailles, d’élan collectif – comme en écho à cette période politique incertaine. « Nous ne nous inventons pas maîtres des causes, nous participons comme nous pouvons »… L’humour n’est jamais loin : « Sous nos pieds, nous tous, d’abord sous le pied nu de mon voisin qui tousse. » Cet appel à être ensemble, « C’est un cliché. Mais les lieux communs sont souvent les moins fréquentés », Arthur Teboul le souligne. Il est sans doute habité par Göttingen, de Barbara, avec ceci « la vérité du moment » qu’il attribue à la poésie. « Les enfants sont les mêmes/À Paris ou à Göttingen » : nous avons frissonné.

Outre la théâtralité quelque peu attendue de La Chanson des Vieux Amants, de Jacques Brel, le duo livre encore de beaux moments. La noyée, de Serge Gainsbourg, comme si c’était une évidence. Est-ce ainsi que vivent les hommes ? de Léo Ferré, devenu un tango implacable sous les doigts de Baptiste Trotignon. Après une heure et demie à déployer une palette d’émotions aux nuances innombrables, Arthur Teboul et Baptiste Trotignon quittent la salle sous une standing ovation. On pense à un vers de Louis Aragon : le poète a toujours raison.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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