Il y a deux ans, plus de 6 000 soldats français étaient déployés en Afrique. Alors que Jean-Marie Bockel, envoyé spécial d’Emmanuel Macron pour le continent, doit remettre son rapport en juillet 2024, la présence militaire française pourrait, dans les prochains mois, être réduite au strict minimum.
Pour décrire l’ampleur du déclin envisagé, il faut avoir quelques chiffres en tête : au Sénégal et au Gabon, les effectifs passeraient de 350 soldats actuellement à une centaine. En Côte d’Ivoire, de 600 à 100, et au Tchad, que l’on disait exclu du redéploiement, ils connaîtraient le même sort : il ne resterait plus que 300 soldats au camp Kossei contre 1 000 aujourd’hui.
Les attaques informationnelles, notamment d’origine russe, ont rendu l’armée française « radioactive ». Pour changer la situation, les officiers supérieurs disent : « réduire la visibilité et l’empreinte au sol « .
Paris doit s’adapter à un contexte très volatile, insiste Jérôme Pigné, président du Réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel : « La présence militaire française en Afrique de l’Ouest et du Centre est encore aujourd’hui de 3 000 hommes. Et là, on va parler d’une baisse drastique de ces chiffres, c’est un vrai changement de paradigme. Concernant aujourd’hui la présence française en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Tchad et au Gabon, il y aura véritablement un avant et un après. Aujourd’hui, seul Djibouti est épargné par cette dynamique. »
Et l’expert continue : « Il me semble important de rappeler le contexte dans lequel se déroule cette manœuvre, un contexte extrêmement volatile sur le plan sociopolitique et sécuritaire dans la bande sahélo-saharienne, qui s’accompagne notamment d’une montée du sentiment anti-français. , également une recomposition du paysage géopolitique et une augmentation de la présence et de l’empreinte des concurrents stratégiques. Je pense à la Chine historiquement, mais dernièrement, c’est vrai qu’on parle aussi beaucoup de la Russie et de la Turquie. Enfin, le dernier élément est le retour d’une guerre de haute intensité sur le continent européen, et c’est donc à la lumière de tous ces éléments qu’il faut comprendre, analyser la redéfinition de l’empreinte française sur le continent africain. »
L’objectif est de baisser le drapeau sur les camps historiques français, c’est une remise en cause de ce que les militaires appellent « la couche de permanence » en Afrique. A l’exception de la FFDJ, les Forces françaises à Djibouti – 1 500 hommes y sont stationnées. Cette force contribue à la sécurité du territoire djiboutien et participe à la sécurité en mer Rouge. Cette présence militaire est clairement orientée vers l’Indo -Pacifique.
Pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, s’agit-il d’un départ ou d’une nouvelle approche ?
Il ne s’agit en aucun cas de brûler les ponts, affirment des officiers supérieurs français. Les objectifs restent inchangés, le soutien aux pays partenaires dans la lutte contre le terrorisme et l’expansion des trafics, la formation des armées régionales, la stratégie d’accès et de partenariat ne disparaissent pas mais ne nécessitent pas non plus une présence significative et dans la durée. « Ce sera au cas par cas », souligne Jérôme Pigné, « Il y aura nécessairement une approche qui devra être pragmatique. On parle beaucoup d’un système à la carte, en fonction aussi des intérêts, de la situation sécuritaire évidemment, de la situation politique des pays partenaires. J’ai évoqué le Sénégal, le Tchad, le Gabon et la Côte d’Ivoire, mais il ne faut pas les considérer comme un tout homogène. Cette semaine, le président Emmanuel Macron rencontre le président du Sénégal pour la première fois parmi les quatre pays que j’ai cités. Le mot hostile est peut-être un peu fort, mais on entend une volonté de repenser la coopération avec des partenaires comme la France. Mais évidemment, il faudra que la France réfléchisse à une stratégie peut-être moins visible évidemment, mais aussi au cas par cas car tous les partenaires n’attendent pas la même chose. Aujourd’hui, le Tchad, le Gabon et la Côte d’Ivoire sont encore relativement très favorables à la coopération, au partenariat militaire avec la France, ce sera peut-être moins le cas demain avec le Sénégal. ».
C’est pourquoi le Commandement Afrique, qui sera créé en septembre prochain, au sein de l’état-major général des armées, sera basé à Paris. Dans les bases ouest-africaines, les effectifs militaires français continueront à varier en fonction des besoins. Mais à l’avenir, ces points d’ancrage ne seront plus les camps français à proprement parler.