C’est ce qu’on appelle être une victime collatérale. Alors que les pays membres de l’Union européenne viennent de donner leur feu vert à l’imposition de droits de douane supplémentaires sur les véhicules électriques « made in China », ce patriotisme économique n’est pas du goût de tout le monde. Dans le Sud-Ouest, les filières armagnac et cognac attendent une réponse politique et commerciale de la Chine, marché très important pour les deux filières.
» Nous constatons, une fois de plus, que nos demandes de report du vote et de solution négociée ont été ignorées. Les autorités françaises nous ont abandonnés. Nous ne comprenons pas pourquoi nos filières Armagnac & Cognac sont ainsi sacrifiées. Nous espérons cependant que le bon sens prévaudra. Le dialogue doit se poursuivre pour parvenir à une solution négociée afin d’éviter une surtaxe sur nos produits qui pourrait les exclure du marché chinois. » précise l’Office National Interprofessionnel de l’Armagnac contacté par La Tribune.
Colère et agacement sont les deux mots qui résument parfaitement l’état d’esprit de ces professionnels qui œuvrent au rayonnement de la France à l’export. A Cognac, la position de la France est même perçue comme une rupture. « Les autorités françaises nous ont abandonnés. Nous ne comprenons pas pourquoi notre secteur est ainsi sacrifié. »répète le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), d’habitude peu habitué aux réprimandes envers l’État et nouvelle preuve qu’il forme un front unique avec son homologue de l’Armagnac. Après une rencontre avec Michel Barnier, l’industrie espérait en effet un coup de force politique qui pourrait retarder le vote sur les véhicules électriques.
« La France accepte clairement le fait de n’avoir même pas tenté de repousser les délais pour laisser une marge de négociation. La France ne cherche pas à défendre le seul secteur franco-français inutilement pris en otage sur un dossier qui concerne toute l’Europe. Aujourd’hui, on peut le dire, nous n’avons aucun soutien de nos autorités », l’Union des Vignerons (UGVC) s’est adressée jeudi à ses adhérents.
Menace pour le secteur ou simple revers ?
Selon les représentants des filières Armagnac et Cognac, les autorités chinoises ont lancé début janvier une enquête préliminaire antidumping contre les spiritueux européens, en prévision des droits de douane supplémentaires appliqués par l’Europe sur les voitures électriques. Chinois. Preuve que lee président chinois Xi Jinping n’a pas oublié la bouteille d’Armagnac offerte par Emmanuel Macron lors de son déplacement en France en mai dernier, dans les Pyrénées, à l’occasion du soixantième anniversaire des relations diplomatiques entre Pékin et Paris.
« Les délibérations préliminaires des autorités chinoises ont abouti à une liste d’entreprises qui seront surtaxées si ces délibérations deviennent définitives. Après la décision de l’Europe, c’est ce que nous craignons. La Chine nous remboursera ! Nous avons une cinquantaine de maisons d’Armagnac qui exportent en Chine et qui sont potentiellement concernées par ces futures surtaxes », peste Olivier Goujon, directeur de l’interprofession, interrogé par La Tribune.
Au cours de cette enquête approfondie des autorités chinoises, les producteurs d’Armagnac, mais aussi de Cognac, ont été obligés de répondre à des questionnaires et de justifier clairement de leurs pratiques commerciales dans le pays asiatique. S’ils sont jugés coopératifs, alors la surtaxe ne serait « que » de 34,8 %. Dans le cas contraire, la surtaxe s’élèverait à 39 %. Seule la moitié des exportateurs de spiritueux principalement produits dans le Gers ont été jugés coopérants. Un véritable coup dur pour un secteur dans lequel la Chine n’est ni plus ni moins que le deuxième marché d’exportation, derrière les Etats-Unis, en valeur et le troisième en volume.
Quant au cognac, avec 30 millions de bouteilles achetées chaque année, la Chine est devenue le deuxième marché derrière les États-Unis. Le vote de l’Union européenne va déséquilibrer cette relation commerciale puisque l’enquête antidumping lancée par le gouvernement chinois en début d’année vise les trois plus grandes maisons de cognac : Hennessy, Martell et Rémy Martin. Si ses conclusions étaient appliquées, les marques prestigieuses subiraient les mêmes surtaxes que l’Armagnac. Une guerre commerciale se profile, dont les victimes seraient les vignobles embourbés dans la crise. Les ventes aux États-Unis ont déjà plongé de -40% entre 2022 et 2023 pour le cognac, et les exportations mondiales de -20%. Jusqu’à présent, le marché chinois avait résisté.
L’Armagnac, quant à lui, est dans une tout autre situation. Sa demande et sa consommation augmentent, tout comme ses ventes à l’exportation. Pour preuve, en 2024, 700 hectares de vignes supplémentaires ont été consacrés à sa production (pour un total de 2 400 hectares en 2023). Par ailleurs, l’industrie estime que la production cette année avoisinera les 18 000 hectolitres d’alcool pur, contre 16 000 en 2023, malgré un marché chinois dont l’accès est déjà perturbé.
« Depuis le lancement de l’enquête antidumping de la Chine, nos exportations d’Armagnac vers la Chine ont diminué de 25 % sur le seul premier semestre 2024. On sent déjà que le marché se ferme, cela va complètement détériorer nos relations et mettre à mal le travail mené depuis 15 ans pour promouvoir nos AOC et le respect mutuel », s’inquiète Olivier Goujon.