Ariane 6, la dernière fusée européenne ? Analyse du vol et perspectives d’avenir

Après le développement d’Ariane 5 dans les années 1990, l’Europe revient sur le devant de la scène aérospatiale avec Ariane 6. Ariane 6, qui a effectué son premier vol d’essai le 9 juillet 2024, met fin à une année de pénurie de capacités, durant laquelle l’Europe n’avait plus de lanceurs spatiaux et devait s’appuyer sur l’américain SpaceX. Une année de transition entre Ariane 5 et Ariane 6, qui doit rappeler que les États-Unis ont aussi connu leurs périodes de creux, comme les neuf années entre la navette spatiale et la première capsule Dragon de SpaceX, destinée aux vols habités.

Pour les passionnés, le lancement du 9 juillet avait tout d’un grand, très impressionnant, même pour un œil habitué aux lancements de Falcon 9 et autres tests de Starship. Après son compte à rebours final, c’est par sa capacité d’accélération qu’Ariane 6 a marqué les esprits. Preuve que les moteurs à poudre ont quelque chose de spectaculaire, et que Kourou en Guyane française, cœur des lancements spatiaux européens, reprend du poil de la bête face à Cap Canaveral en Floride, où SpaceX et Blue Origin s’affrontent.

Ariane 6 a décollé du Centre spatial européen de Kourou, en Guyane française, le 9 juillet 2024 © ESA

Les deux premières minutes du vol furent celles de la délivrance. Ariane 6 s’arracha de l’atmosphère avec ses deux boosters P120C et son moteur Vulcain amélioré. Un lancement sans encombre, rare pour un premier vol, et qui activa officiellement le calendrier des futurs vols commerciaux du lanceur européen. Certains y voient l’événement de la décennie, d’autres se souviennent du départ majestueux du télescope spatial James Webb, lui aussi propulsé par Ariane 5, le 25 décembre 2021.

Mais plus qu’un vol inaugural pour Ariane 6, le lancement du 9 juillet fait découvrir à l’Europe une nouvelle industrie spatiale, où les Etats-Unis sont en tête et où l’unité sera indispensable pour espérer pouvoir faire quelque chose du projet Ariane 6 en rebondissant sur d’autres projets innovants. Plusieurs startups sont dans les starting-blocks et ne demanderont qu’à être soutenues, à l’image de The Exploration Company, basée à Mérignac près de Bordeaux. La pépite française, fondée par Hélène Huby (ex-Airbus) s’est elle aussi lancée dans Ariane 6, mais tout ne s’est pas passé comme prévu.

Ce qui s’est bien passé sur Ariane 6

« Cela fonctionne comme sur des roulettes »conclut le YouTubeur spécialiste Hugo Lisoir des trois mises à feu des moteurs d’Ariane 6. P120C, Vulcan 2.1, Vinci… toutes les étapes du lancement se sont bien déroulées, à l’exception d’une étape finale, celle de la désorbitation, deux heures après le début du vol. Un processus important qu’il est regrettable de voir échouer, mais qui n’aura pas de conséquences sur les lancements futurs. Avant de s’y intéresser, rappelons quelques points sur lesquels Ariane 6 a coché toutes les cases.

Toutes les étapes du vol inaugural de la fusée Ariane 6, le 9 juillet 2024 © ESA

Cubes Sats en orbite basse

L’idée de ce premier vol d’essai était de démontrer les capacités de la nouvelle fusée Ariane 6 à décoller, respecter sa trajectoire initiale et déployer sa charge utile en orbite basse. Les deux boosters principaux ont ainsi fait l’essentiel du travail pour monter en altitude, pendant 2 minutes et 16 secondes. Le premier étage et son moteur Vulcain ont ensuite pris le relais jusqu’à la septième minute du vol, avant de se séparer de l’étage supérieur et de lancer le moteur Vinci peu avant 8 minutes de vol. Un premier effort suivi d’un deuxième pendant 20 secondes après 56 minutes, puis d’un troisième (raté) après 2 heures et 37 minutes.

A 580 kilomètres d’altitude, le dernier étage de la fusée a progressivement largué ses charges utiles sur une période d’une dizaine de secondes, 1 heure et 5 minutes après le décollage d’Ariane 6. Il s’agissait de « CubeSats », de petits modules issus en partie du secteur universitaire mais aussi de diverses entreprises privées. Des expériences portant notamment sur le comportement des matériaux et leur rayonnement thermique dans l’espace, l’exploration radio, le développement du Li-Fi (en remplacement du Wi-Fi), ou encore la prédiction des ondes scolaires en prévision des voyages interplanétaires.

47% de risque d’échec

A voir comment ces étapes se sont déroulées, tout semblait se dérouler sans problème. Pourtant, le directeur général de l’ESA (l’Agence spatiale européenne), Josef Aschbacher, indiquait en avril dernier que le vol inaugural d’Ariane 6 avait 47 % de chances de ne pas se dérouler comme prévu. Ariane 5, lors de son premier lancement le 4 juin 1996, avait explosé, 36 secondes après le décollage. Une raison pour les agences de ne pas emporter de charges utiles de plusieurs millions d’euros lors de ce type d’événement. D’ailleurs, cela n’empêche pas les lanceurs d’avoir de très longues carrières derrière eux. En près de 30 ans, Ariane 5 a réalisé 112 lancements.

Comparé à Ariane 6, le vol initial d’Ariane 5 s’est terminé par une explosion dès la première minute © ESA

Que s’est-il passé sur Ariane 6 ?

La première mission d’Ariane 6 ne se terminera malheureusement pas avec un bilan totalement vert. Elle sera plutôt jaune, avec un lancement partiellement réussi. La faute en revient à la dernière étape du vol, le troisième allumage du moteur Vinci, de l’étage supérieur. Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut d’abord comprendre ce que l’ESA cherchait à réaliser avec Ariane 6.

Processus de désorbitation

Dans la nouvelle loi spatiale européenne, ArianeGroup cherche à répondre aux objectifs de limitation des débris spatiaux. Ainsi, tout ce qui peut être ramené sur Terre ou désintégré dans l’atmosphère doit l’être. Avec Ariane 6, l’étage supérieur a donc dû bénéficier d’un ultime effort pour modifier la trajectoire de l’astre et réduire sa vitesse, afin de remettre le cap sur la Terre. Un troisième étage après un premier allumage pour gagner en vitesse, et un deuxième allumage pour ajuster la trajectoire. Ces étages étant espacés, il a fallu réaliser à chaque fois la procédure d’allumage, ce qui nécessite un APU (Auxiliary Propulsion Unit).

Mais dans le spatial, rallumer un moteur en situation d’apesanteur relève de la prouesse. Cela tient notamment au carburant, qui doit être placé au fond des réservoirs et ainsi reproduire un semblant de gravité. Pour cela, l’étage supérieur d’Ariane 6 a utilisé son APU, une sorte de petit moteur auxiliaire qui effectue une petite combustion qui est ensuite renvoyée dans les réservoirs pour créer de la pression grâce à la chaleur. Lors de son deuxième processus d’allumage, il s’est révélé défectueux, et n’a pas permis au moteur Vinci d’atteindre sa troisième poussée.

En orbite depuis 20 ans

En suivant le lancement en direct, les spectateurs ont pu constater l’anomalie en distinguant qu’Ariane 6 ne prenait pas la trajectoire prévue. Le module est resté en altitude, sans possibilité de retourner dans l’atmosphère pendant une longue période, potentiellement une vingtaine d’années. Martin Sion, PDG d’ArianeGroup, s’est défendu en indiquant qu’il n’y avait pas d’anomalie. « Il y a beaucoup d’étages supérieurs qui sont encore en orbite et qui mettent plusieurs années à revenir. Ce n’est pas une situation unique. »Malheureusement, les deux dernières charges utiles devaient être larguées après ce processus de désorbitation.

Parmi eux se trouvait Bikini, le module de la société française The Exploration Company. Il s’agissait d’une réplique de sa capsule, qui devait profiter de l’entrée dans l’atmosphère pour effectuer plusieurs tests de résistance de ses matériaux. Malheureusement pour elle, le programme a changé et elle devrait toujours rester en orbite autour de la Terre.

Jusqu’à son retour, nous n’aurons plus de nouvelles de l’étage supérieur car il ne devrait pas tenir longtemps en batterie. Son moteur ne sera plus disponible non plus, car l’ESA a confirmé qu’il avait éjecté le carburant de ses réservoirs, pour éviter tout risque d’explosion et des centaines de débris indésirables, sur une orbite déjà saturée. Une manœuvre appelée « passivation », qui était de toute façon prévue.

La fusée Ariane 5 (à gauche), Vega et Vega-C (au milieu), ainsi qu’Ariane 62 et Ariane 64 (à droite) © ESA

L’avenir d’Ariane 6

Un deuxième vol cette année, puis 8 vols en 2025

L’APU défectueux ne changera rien à la donne. L’ESA se réjouit de la mission, et ArianeGroup ne cesse de répéter qu’il n’y aura aucune conséquence sur le calendrier des futurs vols. Le deuxième vol d’Ariane 6 est d’ailleurs prévu avant la fin de l’année, au quatrième trimestre. Il s’agira d’un lancement qui ne nécessitera pas l’utilisation de l’APU de cette manière. Le client sera l’armée française, qui déploiera CSO 3, le troisième de la série CSO des satellites espions français.

L’an prochain, la fusée Ariane 6 va accélérer avec pas moins de 8 lancements programmés. Les trois premiers seront pour l’ESA, avec le déploiement de six satellites Galileo. Viennent ensuite les premiers vols pour des clients privés, avec Intelsat, Optus, Skyloom et Hellas Sat. Un autre vol institutionnel, pour le compte de l’ESA, est toujours prévu pour Galileo, avec le lancement de son premier satellite de deuxième génération, baptisé G2.

L’ambition d’ArianeGroup est simple : atteindre 10 à 12 lancements par an avec Ariane 6. Cela correspondrait à un lancement par mois depuis la base spatiale de Kourou, et la possibilité de franchir le cap du milliard d’euros de chiffre d’affaires par an avec ce nouveau lanceur. Quatre vols sont d’ores et déjà prévus pour 2026, et certains sont déjà prévus pour 2027, 2031 ou encore 2035.

Ariane 64 : la version à quatre propulseurs

Ces lancements ne seront pas uniquement réalisés par Ariane 6 dans la configuration que nous avons vue le 9 juillet dernier. En effet, le lanceur n’est pas seulement conçu pour emporter deux boosters. Il peut en avoir quatre, pour opérer des vols plus lointains ou avec des charges plus lourdes. ArianeGroup distingue ses deux configurations avec d’un côté Ariane 62 (deux boosters P120C) et Ariane 64 (quatre boosters P120C). Le premier vol d’Ariane 64 est prévu pour le lancement d’Intelsat, l’année prochaine. La fusée disposera ainsi de 1400 tonnes de poussée, contre 1300 tonnes auparavant sur Ariane 5.

Ariane 6 : la dernière fusée européenne ?

Étonnamment, Ariane 6 pose question sur l’avenir du spatial européen. Car au vu des ambitions de chaque pays, le constat est plutôt de voir une Europe de moins en moins unie, avec des pays qui se désengagent et des grandes puissances du secteur – la France et l’Allemagne – qui veulent avant tout penser à leurs emplois et à leurs usines. Ariane 6 sera donc cette transition, qui risque d’entraîner une séparation. Mais tout n’est pas noir non plus. Car le lanceur sera aussi une grande opportunité pour construire l’avenir.

Il suffit de regarder le projet de Starlink souverain. L’idée de construire un Internet par satellite pour l’Europe qui ne dépend pas des constellations américaines ou chinoises est un gros projet, qui offrirait tout un tas de contrats à de jeunes entreprises comme The Exploration Company.

La centaine de satellites qui seraient en jeu dans un tel projet serait en grande partie du ressort d’Ariane 6, mais on pourrait imaginer que l’ESA suive la stratégie de la NASA et laisse 30% de ses missions d’envoi de satellites à des entreprises en développement. Aux Etats-Unis, c’est ainsi que SpaceX, Boeing, Blue Origin peuvent obtenir des missions fréquentes, en plus de leurs activités avec des clients privés.

Comme souvent, l’enjeu pour l’avenir est avant tout financier. Le coût du projet Ariane 6 est estimé à 12 milliards d’euros (contre 6 milliards sur le plan initial). De telles sommes ne font que refroidir ses principaux financeurs, qui seront la France et l’Allemagne.

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Jewel Beaujolie

I am a fashion designer in the past and I currently write in the fields of fashion, cosmetics, body care and women in general. I am interested in family matters and everything related to maternal, child and family health.

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