C’est une honte, un non-sens politique, et pourtant inexorablement, la décision des pays membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) d’organiser la COP29 à Bakou avance, jour après jour, sur le chemin de sa réalisation. A ce stade, rien ni personne ne semble pouvoir remettre en cause le lieu de cet événement choisi à Dubaï en décembre 2023, lors de la COP28. Hormis les votes d’un certain nombre de collectivités territoriales françaises (dont Paris et les régions Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts de France, Sud), aucun gouvernement n’a, pour l’instant, manifesté une volonté salutaire de boycotter l’événement. Les raisons ne manqueraient pourtant pas. Elles tiennent pour la plupart à l’antinomie entre les objectifs de la COP en matière de climat, d’écologie, de promotion de la concertation comme moyen de résoudre solidairement les problèmes, et le caractère profondément antiécologique, violent et autoritaire de cette pétrodictature. Des voix commencent certes à s’élever pour dénoncer l’imposture qui risque de permettre à un État spécialisé dans le greenwashing de se présenter comme un champion du climat. Patrick Galey, enquêteur senior sur les énergies fossiles chez Global Witness, dénonce ce pays de ne pas « respecter le strict minimum », à savoir rendre publiques ses émissions liées au « torchage de gaz », chose qu’il s’abstient de faire depuis 2018. Mais, au-delà des incohérences écoresponsables de la tenue de la COP29 à Bakou, le plus grave réside sans doute dans l’exploitation cynique que cet État « polluant, mais non payant » a fait de l’écologie, pour mener son opération de nettoyage ethnique contre les Arméniens du Haut-Karabakh. Commettre un crime contre l’humanité, voire un génocide selon le terme employé par Luis Moreno Occampo (premier procureur de la CPI), au nom de l’environnement, personne n’y avait encore pensé ! C’est pourtant ce qu’a pratiqué le président azerbaïdjanais en envoyant ses nervis et soldats déguisés en militants verts en décembre 2022 pour fermer le corridor de Latchin, seule ouverture du Haut-Karabakh sur le monde extérieur. Ce blocus (totalement illégal), qui a coupé du monde, ramené la population locale au Moyen-Âge et l’a affamée pendant neuf mois, sous le regard complice des « forces d’interposition russes », a créé les conditions de son exode. Il ne restait plus qu’à porter le coup militaire final. Ce que Bakou a fait le 19 septembre 2023. Bilan : plusieurs centaines de morts et au moins 100 000 Arméniens chassés « comme des chiens », comme l’avait promis Ilham Aliev.
Face à cette situation choquante, pourtant peu dénoncée, l’Azerbaïdjan n’aurait-il pas dû être le dernier pays à être choisi pour accueillir la COP 29 ? Il a pourtant été mis sous le feu des projecteurs, moins de trois mois après avoir récolté les fruits de ses abominations. Plus dramatique encore, cette farce pour les droits humains, en principe indissociable de l’écologie, n’aurait sans doute pas été possible sans le consentement d’Erevan. C’est en effet le gouvernement du démocrate pro-européen Pachinian qui a accepté, lors de la COP28 à Dubaï, de lever son veto à l’organisation de la COP29 à Bakou, en échange de la libération de 31 prisonniers de guerre arméniens. Totalement affaiblie militairement par la défaite que lui ont infligée l’Azerbaïdjan et la Turquie à l’automne 2020, isolée du monde, en dissidence avec Moscou sans être réellement protégée par l’Occident, l’Arménie a consenti à cette accordavec un couteau sous la gorge. Et ce, alors qu’il y a encore au moins 23 prisonniers arméniens en Azerbaïdjan, et que ce pays occupe 150 km2de son territoire souverain, connu sous le nom d' »Azerbaïdjan occidental ». Un cadeau royal pour l’agresseur, qui se voit ainsi adoubé interlocuteur légitime par ceux qu’il tient sous sa coupe. Les membres de la COP qui bénéficient des mannes pétrolières azerbaïdjanaises n’en demandaient pas tant pour perpétuer leur relation décomplexée avec ce régime peu recommandable.
A quelques mois de cet événement scandaleux ironiquement programmé pour le 11 novembre, la question n’est pourtant pas tant d’accabler les autorités arméniennes, mais de s’interroger sur l’attitude de ces Etats qui ont préféré prendre pour argent comptant la parole d’un gouvernement qui parle un pistolet sur la tempe.
Cette situation est bien sûr inquiétante pour l’avenir de ce qui reste de l’Arménie, qui pourrait être écourté si elle devait s’écrire à Ankara et à Bakou. Elle est aussi inquiétante pour les démocraties, qui en s’alignant sur les paroles d’un pays otage, risquent de perdre leur âme.
Dans ce contexte, aucune raison digne de ce nom ne saurait justifier la tenue de la COP29 à Bakou. Et si les « intérêts de l’Arménie » devaient servir d’alibi à un tel effondrement éthique, que ce soit au moins sur une base réelle : la signature par la COP d’un traité de paix reconnaissant l’intégrité territoriale de l’Arménie, sa souveraineté, le droit au retour en toute sécurité des réfugiés du Haut-Karabakh, conformément à un arrêt de la CIJ, et la libération préalable des 23 prisonniers de guerre arméniens restants, dont les 3 derniers présidents du Haut-Karabakh et le philanthrope universaliste Rouben Vardanian. Autant de conditions que l’Arménie n’est pas actuellement en mesure de poser, mais qu’il faut défendre à sa place, non seulement parce qu’elles relèvent de la justice élémentaire, mais aussi parce qu’elles correspondent au respect du droit international. Sachant, de plus, que même dans ces conditions, ce serait donner la part belle à l’Azerbaïdjan qui verrait en fin de compte Ses crimes ont été récompensés, avec le retour du Haut-Karabakh sous sa tutelle. Objectif atteint, même si Aliev et Erdogan devront encore attendre – combien de temps ? – la réalisation de tous leurs objectifs concernant la poursuite du génocide de 1915.