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Après neuf mois, les familles craignent le pire


EElles s’appellent Agam Berger, Eden Yerushalmi, Doron Steinbrecher, Naama Levy, Carmel Gat… Sur les seize femmes et jeunes filles encore détenues dans la bande de Gaza, quatre sont considérées comme mortes par l’armée israélienne. Pour les douze que l’on croit encore en vie, le 7 juillet a marqué leurs neuf mois de captivité. « D’habitude, neuf mois peuvent signifier l’arrivée de très bonnes nouvelles. Dans notre situation, on ne peut qu’imaginer le pire », désespère Orly Gilboa, la mère de Daniella. Sa fille, qui a eu 23 ans il y a trois mois, a été enlevée le 7 octobre 2023, en même temps que six autres jeunes femmes de la base militaire de Nahal Oz.

En mai dernier, leurs familles ont accepté de rendre publiques des vidéos de leur enlèvement, filmées par les terroristes eux-mêmes. On y voit les visages ensanglantés et effrayés des filles, suppliant les hommes du Hamas, qui leur donnent violemment des ordres en arabe. A un moment, l’un d’eux les désigne du doigt : « Ce sont des filles qui peuvent tomber enceintes. »

S’il ne fait plus aucun doute que des viols ont été commis le 7 octobre par des terroristes du Hamas, des otages libérés ont eux aussi raconté des violences sexuelles infligées à des jeunes femmes retenues à Gaza. Lors d’une conférence de presse organisée par le Forum des familles à l’occasion des neuf mois de captivité, plusieurs parents de jeunes femmes otages ont tiré la sonnette d’alarme. C’est le cas d’Orly Gilboa. Il y a quelques jours, la mère de Daniella a également autorisé la publication d’une vidéo de sa fille, filmée et diffusée par le Hamas en janvier dernier.

« Pensées sombres »

Dans les images de propagande, Daniella parle en hébreu, sur un ton très agressif, et critique durement le gouvernement israélien : « Où étiez-vous le 7 octobre, quand j’ai été arrachée de mon lit ? Où êtes-vous maintenant ? Pourquoi m’avez-vous abandonnée, moi qui servais dans des conditions difficiles dans la région frontalière de Gaza ? Pourquoi dois-je me sentir à nouveau abandonnée et rejetée par vous ? Ressaisis-toi et ramène-nous à la maison, tant que nous sommes en vie », s’emporte Daniella Gilboa.

« Dans cette vidéo, on croit voir une jeune fille forte, mais je connais ma fille et je vois à quel point elle est mal. Les psychologues qui ont analysé les images ont confirmé qu’elle est probablement dans un état psychologique grave. Sept mois après la diffusion de cette vidéo, on ne peut qu’imaginer que c’est bien pire », déplore Orly Gilboa. Concernant les violences que pourrait subir sa fille, la mère dit s’accrocher à son combat pour ramener sa fille en vie : « J’essaie de ne pas imaginer, de ne pas y penser, sinon je pleure toute la journée. Je dois rester forte pour elle ».

Simona Steinbrecher, mère de Doron, qui a eu 31 ans en captivité, a reçu une vidéo de sa fille, 107 jours après le 7 octobre 2023. « Sur les images, on la voit affaiblie, émaciée, mais forte d’esprit et de cœur », veut croire sa mère. « Savoir qu’elle est là seule et que je ne peux pas l’aider est insupportable. Nous avons peur pour nos filles et les déclarations d’une otage de retour nous ont d’autant plus inquiétées », confie Simona.

Shlomi Berger, le père de la jeune Agam, qui aura 20 ans le 6 août, dit se laisser parfois envahir par la peur en imaginant les horreurs que sa fille pourrait subir. « J’essaie de me déconnecter de ces pensées noires, de survivre pour elle », dit-il en sanglotant.

Des conditions de santé gravement menacées

Conscients des conséquences dramatiques que les violences sexuelles et les grossesses forcées pourraient avoir sur ces jeunes femmes, les médecins et psychologues israéliens se préparent à tous les scénarios. « Le traumatisme de la captivité, combiné aux abus sexuels, peut avoir un impact profond et durable sur le bien-être et la santé physique et psychologique. Cela peut inclure des symptômes de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression », explique le Dr Einat Yehene, neuropsychologue clinicienne et psychologue spécialisée dans la réadaptation post-traumatique.

Elle explique qu’ajouter une éventuelle grossesse à la captivité peut rendre le processus de guérison encore plus complexe : « Au-delà du choc, de la confusion et de la peur, les victimes peuvent éprouver des émotions conflictuelles à propos de la grossesse elle-même », explique la psychologue, qui ajoute que toute grossesse résultant d’un traumatisme peut également comporter des risques importants pour la santé.

« Étant donné les mauvaises conditions de vie en captivité, le manque d’exposition à la lumière, la mauvaise alimentation et le manque d’accès aux soins médicaux, les grossesses potentielles et la santé générale sont gravement menacées », explique-t-elle. Le Dr Yehene souligne également l’importance de protéger les otages qui pourraient revenir enceintes : « La grossesse est quelque chose de visible, qui peut les exposer, leur donner l’impression que leur traumatisme personnel est exposé aux yeux de tous. »

 » C’est trop long « 

Invitée à Genève il y a deux semaines pour s’exprimer devant le Comité des droits de l’homme, Meirav Gonen, dont la fille Romi, 23 ans, est otage du Hamas, s’est indignée du manque de réaction internationale face aux crimes sexuels commis. «Depuis le 7 octobre, le monde est confronté à la triste réalité des violences sexuelles commises ce jour-là et depuis, en captivité. Pourtant, malgré tous les témoignages de survivantes, le rapport complet des Nations unies, ces histoires n’ont pas été entendues (…) Les femmes ont subi des souffrances inimaginables et leur douleur n’est pas reconnue. Lorsque le corps des femmes est utilisé comme un outil politique, lorsque leur dignité est mise de côté, c’est une marque de honte pour nous tous», a-t-elle déclaré dans son discours.

Lors de la conférence de presse, Meirav Gonen s’est émue que certains membres des Nations unies remettent en cause – voire contredisent – ​​le rapport de l’ONU confirmant que des violences sexuelles ont été perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023. « Alors que nos filles sont toujours prisonnières du mal absolu, entendre de tels discours a été pour moi une épreuve supplémentaire », a-t-elle confié. Et d’ajouter : « Nous avons une obligation envers elles, envers tous les otages. Ils doivent sortir. Neuf mois, c’est trop long. » Selon les derniers rapports, 120 otages sont toujours détenus dans la bande de Gaza, 42 ont été confirmés morts.


Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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