Nouvelles locales

Après la censure gouvernementale, les députés face aux inquiétudes des électeurs

Entrant dans un café du centre de Chalonnes-sur-Loire, Stella Dupont, députée (non inscrite, ex-Renaissance) du Maine-et-Loire depuis 2017, lunettes rondes et long manteau bleu, ne passe pas inaperçue. « On ne comprend pas la censure du gouvernement, il va falloir s’expliquer» appelle Edith, 73 ans, assise à une table avec une tasse de thé. La France ne trouve pas d’argent et les députés s’en moquent. C’est triste d’en arriver là. »

La députée rappelle, comme plusieurs habitants rencontrés ce jour-là, qu’elle n’a pas voté pour la motion de censure contre le gouvernement de Michel Barnier, mercredi 4 décembre. Non qu’elle l’ait soutenu, mais elle n’a pas voulu plonger le pays dans une « instabilité ». Dans cette circonscription rurale de 128 115 habitants, bordée par la Loire, où les vignes nues s’étendent sur des hectares, ce n’est pas tant le vote de leur élu qui anime les débats ; Les habitants s’inquiètent de la suite.

« Stratégies et compromis politiques »

« Pouvons-nous savoir comment cette histoire va se terminer ? »lui glisse un habitant. « Il va falloir s’y tenir pour trouver un gouvernement ! »» dit Élodie, 59 ans, appuyée sur son caddie. Pour ce retraité, la censure est le résultat de « stratégies et compromis politiques. Quand nous sommes intéressés, les représentants ne parlent jamais de l’intérêt de la population.»

« Les citoyens sont en colère. Ils doivent partager leur opinion. » concède Stella Dupont, les mains jointes autour d’un chocolat chaud. Au milieu des stands du marché, les habitants partagent leurs prédictions sur le futur premier ministre. Ils parlent surtout de leurs craintes : l’augmentation de la dette, la crédibilité de la France à l’international, les licenciements à l’usine Michelin de Cholet… « Le blocus du pays est mal perçu par les habitants de toutes tendances politiques »assure Stella Dupont.

Beaucoup ont suivi en direct son discours lors de l’examen de la motion de censure. Stella Dupont a appelé à « un rassemblement républicain de modérés », de la droite républicaine aux communistes. « Il serait souhaitable que les députés construisent une majorité centrale et que nous puissions voter des lois sans les extrêmes », plaide Gérard, casquette noire et verre de muscadet à la main.

Cet ancien chef d’équipe au ministère de la Défense, macroniste convaincu, regrette cependant les prises de position de son député. « Elle ne m’a pas convaincu, on dirait qu’elle suit la direction du vent. » L’ex-socialiste, qui a rejoint La République en marche jusqu’à la nomination du gouvernement Barnier en octobre 2024, explique avoir rejoint un « bloc de social-démocratie, dans un esprit de compromis ». Sans renier ses idéaux en matière de justice fiscale, en luttant par exemple pour l’impôt sur les superprofits. Plusieurs habitants lui demandent si elle accepterait un poste ministériel. Elle le réfute catégoriquement.

La journée continue, les poignées de mains s’enchaînent. A la caserne de Soulaines-sur-Aubance, on fête la Sainte-Barbe. Cérémonie officielle, décorations, une vingtaine de pompiers sont alignés. « Nous traversons une grave crise institutionnelle » déplore un conseiller départemental, qui félicite ensuite la solidarité manifestée par les pompiers. Et abordez : « Certains, au plus haut niveau, pourront s’en inspirer. »

« Je ne comprends plus ce qui se passe »

Le député socialiste d’Indre-et-Loire Laurent Baumel s’y est également côtoyé tout le week-end, sillonnant les marchés de la partie la plus rurale de sa circonscription, où le vote RN est devenu majoritaire dans la plupart des petites communes. Malgré la colère et l’inquiétude, il ne voit pas de montée de l’antiparlementarisme : « Depuis le début de cette législature, les gens se montrent plutôt bienveillants envers leur député. Ils sont conscients qu’ils ont eux-mêmes créé une situation dans laquelle aucune majorité ne se dégage. »

C’est ceint de son écharpe tricolore qu’il s’est présenté samedi après-midi à la caserne des pompiers de Sainte-Maure-de-Touraine, qui fêtait également la Sainte-Barbe. Avec d’autres élus de petites communes, Jean-Jacques Roy, le maire (sans étiquette) de Maillé, 590 habitants, a profité de cette cérémonie pour « faire le point » sur la situation politique avec son adjoint. Inquiet de la censure gouvernementale, cet agriculteur, élu maire en 2022, espérait que Michel Barnier ne brandirait pas immédiatement l’article 49.3. « J’aurais aimé qu’il laisse les discussions avoir lieu et que les députés trouvent un consensus. En attendant, nous, les maires, en voyons aussi les conséquences. Les gens ne savent plus où va le pays. » note le conseiller.

Résignée, une retraitée – souhaitant rester anonyme – a du mal à cacher son trouble. « Je ne veux plus voter. À quoi ça sert ? Je ne comprends plus ce qui se passe. A l’Assemblée nationale, ils ne sont d’accord sur rien. Je me demande aussi ce que font les socialistes avec les rebelles. »

Jeudi soir, Laurent Baumel s’est présenté aux côtés de son homologue écologiste Charles Fournier, élu de la première circonscription de Tours, et Lucie Castets. En réunion dans une salle commune du Sanitas, un quartier populaire du centre-ville de Tours, celle qui a été propulsée durant l’été comme candidate du Nouveau Front populaire (NFP) au poste de Premier ministre a attiré les foules.

Jeanne est venue après s’être laissée emmener « sans enthousiasme » par un groupe d’amis militants. L’instabilité politique embarrasse cet étudiant de 22 ans sensible aux questions écologiques et sociales : « Je saluerais la démission de Michel Barnier si je n’étais pas sûr qu’à terme le RN ne sortirait pas vainqueur de ce tournant. Chez mes parents, à la campagne, la grande majorité des gens ne votent plus pour la gauche, comme ici à Tours, mais pour Marine Le Pen. Je ne crois pas vraiment au chaos en ce moment. Demain, si le RN prend le pouvoir, on aura tout perdu. »

«  Les gens là-haut n’écoutent pas les électeurs »

A Marseillan, petite commune de l’Hérault à quelques kilomètres de Sète, le député Rassemblement national (RN) Aurélien Lopez-Liguori est en terrain conquis. Samedi soir, il inaugure le marché de Noël. « Normalement, à cette heureexplique-t-il à un petit groupe d’habitants au milieu de la foule, nous sommes à Paris pour voter le budget. Mais là, puisqu’il y a eu la motion de censure… »

L’élu, qui a obtenu plus de 56% des voix dans cette commune aux dernières élections législatives, déambule d’un chalet à l’autre. Veste matelassée, col bien mis, jean foncé et chaussures en cuir, le député, qui ne porte pas l’écharpe tricolore, salue poliment les habitants qu’il reconnaît, envoie un baiser aux plus intimes. Comme Danièle, 80 ans.

Créatrice de céramique et de porcelaine, elle vend ses œuvres dans l’un des chalets. « Je suis pour le Rassemblement National » » se vante-t-elle, rejointe par son mari, Maurice, 74 ans, ancien militaire. « Les gens là-bas n’écoutent pas les électeurs. Nous avons voté, mais cela ne sert à rien. Ils s’en moquent. Ce qui me dérangeajoute-t-elle, c’est que La France insoumise fait partie de ce vote de censure. Ces gens disent n’importe quoi ! »

L’errance continue. Sur l’un des stands les plus bruyants, on se réchauffe avec des gobelets de vin chaud. Aurélien Lopez-Liguori serre la main de Kevin, 36 ans, venu avec sa femme et son bébé. Après avoir parlé de « poussettes » – le député s’apprête à redevenir père – la politique entre dans la conversation. Entrepreneur dans l’immeuble, Kevin s’y intéresse  » beaucoup  » et suit l’élu RN sur les réseaux sociaux. Mercredi, il a été informé du vote sur la motion de censure. « D’un côté, c’était prévisible, mais de l’autre, c’est aussi un saut dans l’inconnu.« , s’inquiète-t-il auprès du député qui répond : « L’économie de notre pays est catastrophique, mais la motion de censure n’aggravera pas les choses. »

« Peut-être, mais ça fait peur aux gens, témoigne le jeune entrepreneur spécialisé dans la rénovation de maisons privées, on le ressent sur les chantiers. C’est un moment nécessaire, il faut passer par là pour changer les choses, mais je me demande s’il ne faudrait pas redissoudre l’Assemblée. »

Impossible avant juin prochain, selon la Constitution. « Alors une auto-dissolution comme le proposait un autre député ? « , il interroge. « Pour les élus qui ont gagné de justesse, c’est risqué. Mais surtoutadmet l’homme politique d’extrême droite, tant qu’il y aura un front républicain, cela n’arrivera pas.»

New Grb1

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
Bouton retour en haut de la page