Des témoignages de femmes de plus de 45 ans fusent un peu partout sur internet pour faire la lumière sur ce phénomène naturel qui marque l’arrêt des règles et qui provoque de nombreux symptômes souvent négligés et mal traités.
La décoration est un peu kitsch, dans un mélange de rose pâle et de rouge vif. Confortablement assise sur un canapé capitonné, Maïtena Biraben, ancienne présentatrice du « Grand Journal » de Canal+ et cofondatrice du média en ligne Mesdames, reçoit l’actrice Julie Gayet dans une ambiance propice à la confiance, avec une vue imprenable sur la Tour Eiffel. « Comment vas-tu ? »» demande l’animatrice avec un sourire aux lèvres. Face à elle, l’actrice de 52 ans répond en riant : « J’ai du mal avec la ménopause ! On ne m’a pas préparée à ça (…) C’est assez fou. Je me dis : ‘Pourquoi on n’est pas préparé ? Pourquoi on n’en parle pas ?’ ‘ »
C’est justement pour « en parler » qu’est organisée vendredi 18 octobre la Journée mondiale de la ménopause. Cette période de la vie, qui concerne toutes les femmes, se définit comme l’arrêt des règles depuis plus d’un an sans cause identifiée, entre la âgés de 45 et 55 ans, rappelle l’Inserm. Comme Julie Gayet, 87 % des femmes éprouvent au moins un symptôme de la ménopause autre que l’arrêt des règles, comme les bouffées de chaleur, selon cette même source. Ou d’autres signes moins connus, comme des sueurs nocturnes, une sécheresse vaginale, des infections urinaires plus fréquentes, une sensation de fatigue, des difficultés à dormir ou une sensation de brouillard cérébral.
Même si 14 millions de Françaises sont concernées et 500 000 femmes entrent en ménopause chaque année, selon un rapport du Sénat de 2023, le sujet reste parfois tabou. « Nous ne pouvons plus le dire à personne. »regrettait Julie Gayet en juillet, remerciant Maïtena Biraben d’avoir fondé Mesdames, un média numérique qui donne la parole aux femmes de plus de 45 ans. « L’idée est de raconter l’histoire vraie de cette période de la vie, qui n’est racontée qu’à travers le prisme de la perte »a confié la star de la télé à Monde lors du lancement de ses médias au printemps 2024. « C’est un âge qui n’est raconté que dans le sens privé. Tu n’es plus jolie, tu es vieille. Tu ne peux plus avoir d’enfants, tu ne te sers à rien, rentre chez toi et meurs dans le long tunnel qui te mène en silence. » à mort. Non ! »a-t-elle également grondé sur franceinfo.
Podcasts, réseaux sociaux, bandes dessinées, livres… Dans le sillage de leurs sœurs cadettes, qui ont libéré la voix sur les menstruations, la dépression post-partum ou les violences gynécologiques, les femmes ménopausées défont peu à peu les liens qui les empêchent de parler ouvertement de leur intimité. Pour Sophie Kune, directrice d’une agence de stratégie digitale, tout a commencé en 2015, lorsqu’elle a été placée en ménopause artificielle. « Je n’en avais jamais entendu parler »elle se souvient. En faisant des recherches sur Internet, elle « Je ne suis tombé que sur des pages très médicalisées, avec des images de femmes plus proches des personnes âgées que de la ménopause. Je me suis dit que j’étais malade. »
Avide d’échanges plus intimes sur la question, elle a décidé de créer le compte Instagram menopause.stories, dans le but de relayer les témoignages de ces femmes en plein bouleversement hormonal et de répondre à leurs questions. « Depuis un peu moins de sept ans, on assiste effectivement à un développement très important des productions culturelles, médiatiques et sociales sur la ménopause »observe la sociologue Cécile Charlap, seule française dans sa discipline à avoir étudié cette période de la vie et auteur deIdées fausses sur la ménopause. « C’est complètement nouveau. Avant cela, à part les travaux médicaux, on ne voyait rien. »
« De nombreuses nouvelles ressources émergent, mais les représentations sociales mettent du temps à évoluer. »
Cécile Charlap, sociologuesur franceinfo
Blandine Grosjean a vécu ce tabou de plein fouet. Retour en 2017, juste avant la vague MeToo. Son documentaire Sexe sans consentement est diffusé sur France Télévisions et connaît un grand succès. Elle décide alors de s’attaquer à un autre problème féminin : la ménopause. « J’ai fait toute mon enquête avec des livres et des enquêtes anglo-saxonnesse souvient le producteur de Ménopauseun documentaire diffusé en 2019. En France, il n’existait qu’une littérature paternaliste, qui ne parlait que des traitements hormonaux. » Elle décide alors de donner la parole aux premiers concernés, non sans difficulté. « J’ai eu beaucoup plus de mal à recueillir les témoignages de femmes ménopausées que de victimes de viols.elle se souvient. Après la diffusion de Sexe sans consentementJ’étais invité partout, à des conférences, des festivals… Alors qu’après Ménopausecertainement pas. »
Jusqu’en 2017, la ménopause était effectivement abordée sous un angle médical, faisant abstraction de ses conséquences sur la vie des femmes. « Pendant des siècles, on a cru que le sang menstruel permettait d’évacuer les résidus toxiques du corps des femmes : ne plus avoir ses règles, c’était garder la toxicité à l’intérieur et devenir soi-même toxique »analysait le philosophe Camille Froidevaux-Metterie en 2019 dans un entretien avec Madame Figaro. Puis au XIXème siècle, lorsque la médecine a abordé le sujet, la ménopause « a été immédiatement défini comme une pathologie et associé à une série d’inconvénients physiques et psychologiques ».
Cette vision très médicalisée de la ménopause, qui a continué à prédominer tout au long du XXe siècle, n’a pas forcément contribué à faire progresser la recherche médicale ni à sensibiliser les professionnels de santé. « La formation initiale des médecins est très mauvaise dans ce domaine »déplore Anna Gosset, gynécologue au CHU de Toulouse. C’est pourquoi sa collègue Isabelle Héron, à la tête de la Fédération nationale des facultés médicales de gynécologie, organise des rencontres dédiées aux soignants pour qu’ils apprennent à mieux soigner leurs patientes. « Nous avons pris conscience de la nécessité de ces rendez-vous, car des études françaises ont montré que seulement 6 % des patientes bénéficiaient d’un traitement hormonal, alors que 80 % des femmes ménopausées pourraient en bénéficier. »explique le gynécologue.
Il faudra donc attendre le XXIème siècle pour que les choses changent dans les pratiques médicales et les laboratoires. « Il existe de plus en plus de littérature scientifique sur ce sujetsalue Anna Gosset, Il y a aussi de plus en plus de recherches sur les maladies cardiovasculaires, alors que les femmes sont encore sous-traitées par rapport aux hommes. » Le praticien se réjouit également de l’arrivée imminente d’un nouveau traitement non hormonal contre les effets indésirables de la ménopause sur le territoire français : ce « Cela faisait très longtemps qu’il n’y avait pas eu de tels progrès. »
Malgré ces progrès, il reste encore difficile pour certaines femmes de communiquer avec leur entourage, tant sur le plan privé que professionnel. Dans une enquête réalisée au printemps et dont les résultats n’ont pas encore été rendus publics, la sociologue Cécile Charlap a interrogé des femmes ménopausées sur les conséquences de leurs symptômes dans leur vie professionnelle. Si 44 % des femmes ayant répondu ont déclaré avoir rencontré des difficultés pour travailler à cause de ces désagréments liés à la ménopause ou à la périménopause, 37 % d’entre elles en ont caché les effets à leur supérieur ou à leurs collègues.
« En France, il y a un gros retard par rapport au Canada, à la Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, dans la prise en compte de la ménopause au travailexplique le chercheur. Outre-Manche, « La recherche montre que la ménopause est parfois l’une des raisons pour lesquelles les femmes quittent leur emploi parce que les conditions sont trop difficiles. » Un constat partagé par la psychosociologue Laurence Haurat, auteur de La révolution de la ménopause. Lors de ses consultations, ses patients disent qu’il est toujours « très compliqué » de « sortir un fan lors d’une réunion »ou même simplement « demande à ouvrir la fenêtre car tu as une bouffée de chaleur ».
C’est pour briser ces derniers tabous que la présentatrice Claire Fournier, également à l’initiative d’un podcast sur la ménopause, « Hot inside », encourage toutes ses amies et collègues à parler ouvertement de leurs bouffées de chaleur ou de leurs insomnies. . « Il y a encore une femme sur trois qui le cache à son entouragele journaliste s’indigne. Je me dis que si j’en parle, cela incitera d’autres à en parler aussi et qu’au bout d’un moment, cela deviendra un sujet comme un autre. D’autant que la ménopause n’est pas vécue de la même manière par toutes les femmes. « La ménopause n’est qu’une étape dans la vie d’une femme »souligne l’essayiste Elise Thiébaut, auteur de C’est mon heure : andropause, ménopause et autres aventures climatiques. « Il ne s’agit pas d’un déclin, mais d’une régénération. »