Vous étiez en convoyage à bord de votre Ocean Fifty Solidaires en Platoon lorsque vous avez croisé un bateau naufragé. Pouvez-vous nous le dire ?
Nous revenions de Med Max où nous étions arrivés à Saïdia (Maroc) et nous avons pris la mer dimanche soir en direction de Sainte-Maxime pour la prochaine course. Et au petit matin, dans le trafic maritime, nous étions en stand-by pour assurer notre passage parmi les cargos. Et Laurent (Groumelon) qui était de quart aperçoit un bateau qui ne ressemble pas à ce qu’on devrait croiser. Il sort les jumelles et constate que le bateau se comporte bizarrement : un jour il est haut et une fois il est bas. Il s’est rendu compte qu’il s’agissait de personnes tantôt assises, tantôt debout au point d’agiter leur gilet de sauvetage pour attirer notre attention.
À ce moment-là, que décidez-vous de faire ?
Nous décidons donc évidemment de nous détourner. Lorsque nous arrivons à proximité, ils sont 16 à bord et un corps flotte à côté. Cela faisait quelques jours que le jeune homme était décédé. Nous avons compris qu’il s’agissait d’un homme diabétique de 22 ans qui n’avait plus d’insuline. Il y avait son grand frère à bord qui nous a dit qu’ils dérivaient depuis cinq jours.
Quelles sont les premières choses que vous mettez en place ?
Ils sont très inquiets de savoir si nous allons arrêter. Nous discutons et ils comprennent que nous allons rester avec eux. Cela les calme. Ils n’ont jamais essayé de monter à bord. Ils ont compris que nous étions là pour les soutenir. Nous leur donnons de l’eau et de la nourriture. Primonial, le bateau de Sébastien Rogues, est également en livraison à quelques milles de là. Ils ont été prévenus et ils se sont également détournés pour venir apporter de l’eau et de la nourriture. On sentait que ça leur manquait. Nous alertons alors le MRCC (centre de coordination de sauvetage en mer), qui a envoyé un canot de sauvetage espagnol de type SNSM.
Que se passe-t-il ensuite ?
Il s’est écoulé 2h30 entre le moment où nous étions avec eux et le moment où tout le monde était sain et sauf à bord du bateau. Et récupérez le bateau en remorque. C’était un petit bateau d’à peine 6 m de long, avec une coque en plastique. Nous n’avons rien fait de remarquable, nous avons juste eu la chance d’être au bon endroit au bon moment.
Dans quelles conditions avais-tu ?
Nous avons également eu cette chance. Les conditions étaient très calmes, mer d’hydrocarbures, bonne visibilité. C’était la nuit et il y avait un peu de mer, on ne les aurait pas vus. Il est même fort probable qu’avec leurs cinq jours de dérive, la flotte de course, les Med Max, soient passées assez près à une dizaine de milles. Nous aurions peut-être pu les croiser la première fois mais comme il faisait nuit et qu’il y avait de la mer, nous n’avons rien vu.
Combien y avait-il à bord ?
Nous n’avons pas pu découvrir exactement quelle était leur histoire ni depuis combien de temps ils étaient partis. On ne sait pas non plus depuis combien de temps ils sont en panne. Nous avons compris qu’ils étaient tous algériens. Sauf un, c’était leur première tentative. L’un d’eux était déjà allé en France. Ce qui était assez fou, c’est qu’ils nous ont offert de l’argent en guise de remerciement. Il voulait nous donner quelque chose. Ils étaient prêts à nous donner la boussole dont ils disposaient pour se guider… ils étaient dans une ultime gratitude.
Est-ce une expérience émotionnelle très forte ?
Ce sont des sentiments assez ambigus qui se mélangent entre le fait d’avoir eu la chance de rencontrer ces personnes et de leur apporter de l’aide. On se dit qu’entre-temps, quelqu’un est mort… Ce qui est choquant, c’est que cela se passe à un carrefour maritime. Nous sommes au sud d’Almeria, nous quittons la mer d’Alboran où le trafic va soit vers l’Italie, soit vers la France, soit vers l’Espagne, soit vers le canal de Suez… Nous recevons des félicitations mais il n’y a pas lieu de ne pas en avoir. Lorsqu’il y a un accident de voiture sur le bord de la route, nous nous arrêtons.
En tant que coureur à travers les mers, cela vous est-il déjà arrivé ?
Personnellement, il y a quelques années, je suis tombé sur un bateau vide près de Tarifa. Mais mon boat capitaine, Laurent, cela lui était déjà arrivé il y a une dizaine d’années dans le même secteur. Nous avons eu la chance de transformer ces naufragés en survivants et non en disparus, hormis ce jeune homme.
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