Aucune nouvelle classe d’antibiotiques n’a été mise sur le marché depuis plus de trente ans : le manque d’innovation est criant dans un domaine « déserté » par les groupes pharmaceutiques, faute de rentabilité suffisante.
Or, les infections bactériennes sont de plus en plus résistantes aux antimicrobiens, conséquence d’une surprescription et d’une mauvaise utilisation, ce qui complique la guérison. C’est le cas des bactéries « Gram positives », responsables notamment d’infections urinaires, de pneumonies ou encore d’infections à Staphylococcus aureus. Une personne meurt toutes les 25 secondes d’une infection par une bactérie résistante, selon une étude publiée en 2022 par The Lancet.
Pas assez d’investissement
Depuis plusieurs années, une grande partie des « Big Pharma » ont délaissé la recherche sur les antibiotiques, longue et complexe avec un risque élevé d’échec, au profit de l’oncologie ou des maladies rares, plus lucratives. « Le besoin est là, mais il n’y a pas assez d’investissement », constate Pierre Dubois, professeur d’économie à la Toulouse School of Economics (TSE).
Parmi le petit groupe d’entreprises de biotechnologie qui continuent la lutte pour trouver de nouveaux antibiotiques, « très peu parviennent à lever suffisamment d’argent pour investir dans la recherche et le développement », explique Frédéric Peyrane, secrétaire général de l’alliance Beam, qui vise à favoriser le développement de nouveaux traitements contre les infections résistantes aux médicaments.
Des ventes « pas énormes »
Quand un acteur réussit à développer un nouvel antibiotique, les ventes ne sont « pas énormes » non plus car les professionnels de santé souhaitent « réserver les antibiotiques innovants aux cas de deuxième ou troisième intention », autrement dit après que les antibiotiques courants se soient révélés inefficaces, explique Pierre Dubois. Cette utilisation parcimonieuse vise à ralentir le développement des résistances mais a pour effet pervers de limiter le retour sur investissement.
Un « paradoxe » pour l’industriel qui « doit développer de nouveaux antibiotiques mais ensuite ne pas les utiliser », constatait en juin la directrice des affaires publiques du laboratoire américain Pfizer, Catherine Raynaud, lors d’une conférence-débat sur l’antibiothérapie.
Le domaine des antibiotiques est particulier car les traitements récents ne remplacent pas les anciens, qui continuent de répondre à la majorité des besoins thérapeutiques. Or, maintenir ces produits matures « est compliqué car les prix baissent continuellement », note Catherine Raynaud, dont le groupe s’est fixé comme objectif de lancer deux à quatre nouveaux antibiotiques d’ici 2030.
De plus, la consommation d’antibiotiques est limitée dans la durée, contrairement aux traitements des maladies chroniques.
La question du paiement
« Ce n’est pas un secteur très attractif », reconnaît Frédéric Peyrane, estimant que 80% du portefeuille d’antibiotiques en développement est aujourd’hui aux mains de PME. Difficile de rentabiliser de nouveaux antibiotiques quand les profits des laboratoires pharmaceutiques sont calculés, dans le système de remboursement, sur le volume des ventes.
Ce qui conduit de nombreux experts à réclamer un autre modèle de paiement pour cette famille de médicaments et des incitations économiques pour encourager la recherche. La Grande-Bretagne a déjà mis en place un mécanisme d’abonnement avec les fabricants d’antibiotiques pour qu’ils approvisionnent à la demande, un peu à la manière du modèle de la vidéo à la demande (VOD). L’avantage pour l’entreprise est d’avoir des revenus garantis et, pour le système de santé, de pouvoir contrôler l’utilisation des antibiotiques pour ne pas alimenter le phénomène de résistance.
Au niveau européen, des discussions ont lieu sur la possibilité d’un transfert d’exclusivité qui permettrait aux laboratoires pharmaceutiques développant de nouveaux antibiotiques de prolonger d’un an la période d’exclusivité sur d’autres médicaments de leur portefeuille déjà sur le marché. « Celui qui remporte un bon d’exclusivité peut soit l’appliquer à un produit de son portefeuille, soit le vendre à un tiers », explique Frédéric Peyrane.
Pour Pierre Dubois, une autre solution serait que l’UE « accepte de financer ces recherches ». Mais dans les deux cas, estime-t-il, au final, « cela coûtera cher ».