Anouk Aimée, inoubliable dans Lola et Un homme et une femme, est morte
Connue principalement pour son rôle aux côtés de Jean-Louis Trintignant dans Un homme et une femme, l’actrice était courtisée par les plus grands réalisateurs. Elle est décédée à l’âge de 92 ans, a annoncé sa fille.
C’était elle. C’était Lola. Dans le film de Jacques Demy (1961), elle chantait en basque de dentelle noire, portait un haut-de-forme et un fume-cigarette. Anouk Aimée était hôtesse dans un cabaret. Ses talons claquaient sur les pavés de Nantes. La ville a été filmée par Raoul Coutard. Le noir et blanc se mariait bien au passage Pommeraye. Des marins américains en uniforme ont sauté d’un carrousel au ralenti. L’une d’elles pensait qu’elle était « la plus belle fille que je connaisse ». Nous ne pouvons pas lui en vouloir. Et Lola, qui ne s’appelait pas Lola, attendait un certain Michel parti aux Etats-Unis, lui laissant un fils. Elle croyait au véritable amour, au seul, au premier. Elle est décédée ce mardi matin à son domicile parisien, a annoncé sa fille Manuela Papatakis sur Instagram.
Elle portait si bien son nom, qui n’était pas le sien. Elle s’appelait Françoise Dreyfus et elle a été rebaptisée Anouk Aimée à 13 ans pour le tournage de son premier film, La Maison sous la mer (1947), de Henri Calef. Son personnage portait ce prénom et c’est Prévert qui a trouvé son nouveau nom de famille. Juste ça. L’avenir lui appartenait.
Avant, elle avait fait ses études universitaires à Morzine avec Roger Vadim. Il lui avait montré comment skier. Elle voulait devenir pharmacienne ou danseuse classique. Cela aurait été une erreur. Mais nous connaissons des gens qui seraient tombés malades rien que pour pouvoir lui acheter des médicaments. Il valait mieux se retrouver devant la caméra d’Alexandre Astruc (Le rideau déchiré1952, Mauvaises rencontres1955).
Dans La belle vie (1960), c’est une riche oisive qui conduit une décapotable et rend fou Mastroianni. Elle seule peut accueillir une prostituée romaine sans perdre une once de son élégance. Fellini lui dit : « Le temps vous traite comme un gentleman. » Dans Huit et demi, (1963), elle boude sans qu’on sache pourquoi. Elle incarne la femme du réalisateur en pleine crise existentielle. Ses cheveux courts et ses lunettes la font ressembler à une intellectuelle sartrienne. Cette Luisa prend des tranquillisants pour dormir. Le couple se dispute dans des lits jumeaux.
C’est dedans Un homme et une femme (1966) que Jean-Louis Trintignant traverse la France entière en Ford Mustang pour la rejoindre à Deauville. Anne, scénariste et veuve, habite au 14, rue Lamarck. Elle lui envoya un télégramme qui se terminait ainsi : «Je t’aime. » La manière de résister ? Lelouch donne même son numéro de téléphone. Elle sourit, plaçant ses doigts devant sa bouche, s’enveloppant dans un manteau en peau de mouton. La musique de Francis Lai l’accompagnait sur le quai de la gare Saint-Lazare. Les planches du Calvados ont mené à tout : Palme d’Or à Cannes.
Dans Boutique de modèles (1968), une sorte de suite en couleur de Lola, elle apparaît toute en blanc dans un parking de Los Angeles. Elle conduit une Mercury, parcourt Sunset Boulevard avec son sac à main, pose en nuisette rose pour des photos minables (20 $ la demi-heure). Elle était là, intacte, le visage parfois marqué par une sourde détresse.
À l’écran, la gravité ne lui était pas étrangère. En un quart de seconde, son humeur pourrait changer. Sa beauté était si évidente qu’elle en était intimidante. « Le métier m’a choisi », a-t-elle admis. Le travail avait du nez. Rien ne lui faisait peur.
Elle est apparue au générique de Péplums (Sodome et Gomorrhe1961), était une call-girl à Le rendez-vous (1969) de Sidney Lumet, a prêté ses traits au Justine (1969) de «Quatuor d’Alexandrie« . Son physique a dérouté certains, d’où ces embardées au-delà de nos frontières. « Je ne dois pas répondre à la femme française typique. Un seul regret : refuser L’affaire Thomas Crown. Il faut dire que la bourde est de taille. Le rôle a été conçu pour elle.
Elle voulait rencontrer Groucho Marx. C’était fait. Un jour, Fred Astaire l’applaudit. Elle n’arrivait pas à y croire, tout lui semblait si naturel. Jean Genet, qui lui a écrit le scénario Manquer, a été témoin de son mariage avec Nikos Papatakis. Lorsqu’elle épousa Albert Finney (un autre de ses maris était le chanteur Pierre Barouh), elle arrêta de travailler, s’installa à Londres, enfila les vêtements de femme au foyer et commença à cuisiner. « Je pense que j’ai vraiment réalisé que j’adorais ce métier lorsque j’ai arrêté. » Sept ans d’interruption quand même.
Le saut dans le vide lui vaut un prix d’interprétation à Cannes (1980). Ces récompenses ne l’ont pas beaucoup impressionné. « Pour gagner, il faut être capable de perdre. »
Lire aussiJean Seberg, Marlon Brando, Anouk Aimée… Quand le cinéma inspire la littérature
Il a été réalisé par Jacques Becker, André Delvaux, Bertolucci, Jerzy Skolimowski, Robert Altman. Il y avait en elle une dilettante. Le trac la tourmentait. Cela ne l’a pas empêché de se produire au théâtre Lettres d’amour avec divers partenaires, Cremer, Trintignant, Noiret, Weber, Delon, Depardieu. C’est avant de monter sur scène, un soir de 1990, qu’elle apprend le décès de Jacques Demy. Alexa de Peter Gurney a dû réfléchir tout au long de la performance de Lola, qui a déclaré « Bientôt bientôt » et j’ai souri dans ton dos.
Elle était une muse. Ungaro lui a dédié un parfum. Henry Miller avait griffonné son adresse sur son calendrier. Elle était à part. Elle pleurait à EToffert à tout le monde L’ami a trouvé, transporté autour d’un volume de Salinger. Elle aimait « Rouge bordeaux, fleurs blanches, films noir et blanc ». Nous l’avons revue dans Les plus belles années d’une vie (1969), qui a bouclé la boucle de l’histoireUn homme et une femme.
Anouk Aimée vivait à Montmartre avec ses chiens et chats, non loin du célèbre 14, rue Lamarck où un Trintignant exalté réveillait la concierge en arrivant de Monte-Carlo. Anne Gauthier ne marchera plus sur la plage à marée basse. «Je vivais sur un nuage.» Elle sera chez elle partout. Une Mustang avec le numéro 184 sur la porte la rejoindra sûrement là-haut.