Anne-Laure Delattre, économiste : « Le Nouveau Front populaire entend préparer la croissance à long terme »
Comment caractérisez-vous le programme du Nouveau Front Populaire (NFP) ?
Il s’agit d’un programme qui commence par augmenter les recettes de 90 milliards d’euros pour redresser les comptes publics et engager des dépenses publiques en faveur de la transition écologique, de l’éducation, de la santé, du bien-être.
Il s’agit de préparer une croissance à long terme, en nous remettant sur la trajectoire d’un grand pays ayant accès à une éducation de haut niveau et à un système de santé efficace. Ce programme intervient après de nombreuses années de coupes dans la protection sociale et les services publics. Il a un effet réparateur.
Est-ce un programme « matraquage de la classe moyenne », comme le déplore Gabriel Attal ?
Certainement pas. La moitié de ces recettes proviennent des revenus et du patrimoine des ménages aisés, grâce à l’impôt sur la fortune, une nouvelle progressivité de l’impôt, et la taxation des successions en or. Actuellement, le système fiscal est injuste. Les plus riches ne paient pas de droits de succession alors que les Français moyens le font.
Il est aussi tout à fait possible de taxer les transactions financières, d’instaurer une taxe écologique au kilomètre parcouru sur les produits importés. Il y a le désir et le besoin de réparer le sentiment d’injustice et d’inégalité, en redistribuant. Les données sur les inégalités de revenus et de richesse le justifient. Dans les urnes, l’extrême droite se nourrit de ces inégalités et injustices.
Ce programme est-il compatible avec les critères budgétaires du programme de stabilité de l’Union européenne ?
Si Bruxelles a sanctionné la France, c’est en raison de sa trajectoire de dépenses publiques. La majorité des pays ont commencé à réduire leur déficit, pas nous. La raison est simple : le gouvernement a continué à baisser les impôts sans réduction équivalente des dépenses et sans compensation sociale ou écologique.
Ce pari a échoué et a été sanctionné par Bruxelles. Le déficit public est la seule chose qui intéresse la Commission. Cependant, le programme NFP propose de nouvelles recettes.
Les 25 milliards de dépenses prévus pour les deux premières semaines ne vont-ils pas automatiquement augmenter le déficit en attendant les recettes ?
Il s’agit en partie d’une question de « canalisation », d’enchaînement entre dépenses et recettes. Le Trésor sait très bien comment faire cela. Et il est possible de trouver rapidement de nouvelles recettes. Une solution budgétaire peut rapidement rétablir l’impôt sur la fortune, les successions dorées et les transactions financières intrajournalières.
Dans une note pour Terra Nova, nous estimons les nouveaux revenus possibles à 90 milliards d’euros dans un scénario moyen et jusqu’à 120 milliards dans la fourchette haute.
Comment être sûr que toutes ces dépenses publiques créeront réellement de la valeur ?
Toutes les mesures de pouvoir d’achat ne concernent pas les dépenses publiques, comme l’augmentation du salaire minimum. Mais il existe aussi des mesures concernant le point d’index des fonctionnaires, les aides au logement… Ces revalorisations ont deux effets. À court terme, ils augmentent les revenus de ceux qui n’ont ni épargne ni patrimoine et leur permettent de consommer. Mais la mesure relative au salaire minimum devra être mise en œuvre lentement.
Car, si les grandes entreprises et les entreprises exportatrices ont les moyens d’absorber les + 14 % du Smic, ce n’est pas toujours le cas des petites entreprises ou des artisans. Cela doit se faire dans la bonne entente, avec des aides ciblées.
Ce choc des dépenses publiques ne va-t-il pas se diriger vers les importations de biens de consommation, creusant ainsi encore davantage le déficit commercial ?
Peut-être à court terme, en raison de l’effet de rattrapage de la consommation. Mais notre défi est de résoudre notre problème de compétitivité de l’innovation, de trouver de nouvelles parts de marché dans des secteurs à forte valeur ajoutée. Cela ne peut se faire qu’en augmentant nos dépenses en matière d’éducation, de formation et de recherche.
Emmanuel Macron pensait qu’en baissant les impôts, les entreprises utiliseraient une partie de l’augmentation de leurs marges pour innover. Cette politique a échoué, mais il ne l’admet pas. A tel point que le programme de Gabriel Attal pour ces législatives renouvelle ce qui a déjà été tenté et a conduit à une spirale incontrôlable du déficit public.
Quant à celui du Rassemblement national, la xénophobie et les discriminations envers les non-Français sont censées générer des économies pour financer les dépenses. Nous sommes confrontés à un déclassement. Les pays ont pris ce virage social-démocrate en augmentant considérablement les dépenses publiques pour investir dans les transitions écologiques et numériques qui modifient les villes, les campagnes et les modes de consommation. C’est le cas des États-Unis et de l’Europe du Nord. D’autres ont choisi une tendance autoritaire, comme l’Italie ou l’Argentine.
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