Vers géants, escargots… La vie pullule sous la croûte terrestre, au fond des océans… Cette découverte scientifique inattendue sur la dorsale Est-Pacifique ouvre de nouvelles perspectives de recherche et confirme la nécessité de prendre des précautions en matière d’exploitation minière des fonds marins. .
Il existe un véritable écosystème sous les fonds marins. C’est ce qu’a découvert une équipe internationale de chercheurs après avoir exploré la dorsale Est du Pacifique, au large des côtes de l’Amérique centrale. Ils ont eu l’idée de gratter la croûte terrestre sous-marine locale, d’origine volcanique, à l’aide d’un robot télécommandé du Schmidt Ocean Institute. Quelle ne fut pas leur surprise de retrouver des escargots, des vers tubicoles (qui vivent dans un tube qu’ils construisent), des géants de près de 46 cm, des mollusques, des bactéries chimiosynthétiques…
La découverte a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature (https://www.nature.com/articles/s41467-024-52631-9). Elle a été saluée par la communauté scientifique.
Pierre Chevaldonné chercheur à l’IMBE, l’Institut méditerranéen de la biodiversité marine et continentale du CNRS rappelle ainsi à La 1ère.fr, que ces écosystèmes, à des milliers de mètres sous la mer, sont encore mal connus. Même si on les étudie depuis longtemps :
Lorsque vous prenez un appareil photo sur les fonds marins, vous n’êtes pas obligé de vous arrêter à ce que vous voyez. Car au-delà de ce que l’on voit, sous les fonds marins, il peut y avoir des cavités, des systèmes souterrains, invisibles à l’œil nu, qui abritent cette faune un peu particulière. On savait déjà que l’on pouvait trouver des micro-organismes (microbes, etc.) sous les fonds marins, mais ici, la découverte, ce sont des macro-organismes !!…
Pierre Chevaldonné chercheur à l’IMBE, l’Institut Méditerranéen de la Biodiversité Marine et Continentale du CNRS
Pour Jyotika Virmani, directrice du Schmidt Ocean Institute, nous avons « un une nouvelle preuve que la vie existe dans des endroits incroyables.
Comment les animaux peuvent-ils évoluer dans des cavités (environ 10 cm de hauteur) à 2500 m de profondeur, sous une pression 250 fois supérieure à celle de la surface et dans l’obscurité ? ?
En fait, ils vivent presque sous les bouches hydrothermales, également appelées monts hydrothermaux, ou bouches hydrothermales, ou fumoirs.
Depuis les années 1970, on connaît l’existence de vers, de moules et d’autres êtres vivants à proximité de ces protubérances qui résultent des mouvements des plaques tectoniques.
Ces mouvements provoquent la montée du magma. Résultat : l’eau de mer infiltrée dans les fissures et crevasses volcaniques s’échauffe à proximité de ce magma. Il est ensuite recraché sous forme de geysers de fluides gazeux chargés en composés chimiques, notamment de l’hydrogène sulfuré.
En sortant dans l’océan froid à moins de 2°C, les minéraux dissous vont s’agréger (précipiter), formant ces sortes de cheminées qui continuent d’émettre le fluide chaud. Celle-ci se mélange immédiatement à l’eau de mer, favorisant la vie localement.
cela créera un environnement de température légèrement intermédiaire (NDLR : 25°C au lieu de la recherche mentionné ici) qui sera extrêmement enrichi en sulfure d’hydrogène, ce qui plaira grandement à certaines bactéries qui s’y développeront. Et ces bactéries elles-mêmes plairont grandement à un certain nombre d’organismes, qui les hébergeront notamment dans leur organisme sous forme de symbiose (NDLR : par exemple, à l’intérieur des vers, les bactéries utiliseraient des minéraux pour produire des sucres et d’autres molécules). Ces animaux eux-mêmes, ils seront mangés par d’autres animaux. Et ainsi se crée dans ces lieux une sorte de chaîne alimentaire qui est presque déconnectée. d’après ce que nous savons en surface, nous vivons dans des zones éclairées par le soleil. Donc des systèmes de chaînes alimentaires quasiment indépendants de la lumière, du soleil et de la photosynthèse.
Pierre Chevaldonné chercheur à l’IMBE, l’Institut Méditerranéen de la Biodiversité Marine et Continentale du CNRS
Ces sources hydrothermales sont aussi à l’origine de la vie terrestre selon les scientifiques.
L’équipe internationale étudiait le cheminement des larves tubicoles qui s’établissent rapidement sur de nouveaux champs de cheminées hydrothermales après une éruption. Monika Bright, professeur de biologie marine à l’Université de Vienne, membre du groupe, considère, comme ses confrères, que « LLes larves (…) peuvent être transportées avec de l’eau froide depuis les profondeurs de la croûte, où cette eau se mélange au fluide des cheminées, avant d’être expulsées à la surface et de s’y installer.
Force est en tout cas de constater que la faune des fonds marins et celle de son sous-sol sont liées.
C’est en retournant des roches pour prélever des échantillons que les océanologues ont découvert qu’il y avait en dessous des cavités peuplées d’animaux. Ces cavités, comme celles où l’eau s’infiltre vers le magma, sont en fait d’origine volcanique, liées à des coulées de lave très visqueuses, explique Pierre Chevaldonné. :
« Ces coulées de lave vont durcir en surface (NDLR : seulement). Et quand le magma se retirera progressivement, quand la lave se retirera de ces coulées, ce qui restera, ce qui restera du fait du refroidissement, de la couche superficielle, c’est une sorte de tunnel. Et donc tout un tas de cavités seront créées sur ces sites d’éruption. »
Après la découverte de la dorsale Est-Pacifique, on peut s’interroger. Pourrait-on découvrir une faune similaire dans le sous-sol marin des territoires français d’outre-mer ? ? Ce n’est pas impossible mais c’est peu probable. Même s’il existe des zones volcaniques dans ces régions. Hormis quelques cas particuliers, ce type de situation semble concerner uniquement les dorsales océaniques.
Les chercheurs auteurs de l’étude n’hésitent pas à affirmer que « l’étude de la biosphère sous-marine pour la vie animale vient de commencer » (cCertains scientifiques affirment même que des millions d’espèces sous-marines sont encore inconnues, alors que par exemple comprendre leur adaptation aux conditions extrêmes pourrait faire progresser la science, notamment la médecine). La découverte d’habitats animaux dans le sous-sol de la croûte, dont l’étendue est inconnue, augmenterait donc l’urgence de protéger les fonds marins contre d’éventuels impacts humains, comme ceux de l’exploitation minière en haute mer. .
Il est vrai que les fonds marins contiennent du manganèse, du cobalt et du nickel (utilisés dans la fabrication des batteries), notamment sous forme de galets, nodules polymétalliques, dans le Pacifique Sud. Pierre Chevaldonné tire la sonnette d’alarme face à des projets d’exploitation très controversés :
Qu’est-ce que ça représenterait (NDLR : comme un risque), c’est venir gratter le fond de la mer avec une sorte de bulldozer aspirateur. Et puis tout ce qui remonterait à la surface, serait trié en surface, car évidemment nous n’avons pas besoin de la boue sous-marine, nous avons juste besoin des nodules. Et un énorme panache de limon serait alors rejeté au milieu de l’océan. Ce sont toutes sortes de choses extrêmement nocives pour la faune. ! Ce sont des perturbations gigantesques ! Et qui se pratiquerait sur des surfaces tout aussi gigantesques !
Cependant, ces écosystèmes profonds auraient besoin de beaucoup de temps pour atteindre leur maturité. Ils se remettraient très mal des perturbations qui pourraient leur être causées. Leur protection pourrait donc devenir un enjeu majeur dans les années à venir. Des découvertes scientifiques récentes et futures pourraient permettre de mieux le mesurer.