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« Anatomie d’un génocide ». Le rapport de Francesca Albanese sur la situation à Gaza

Dans son rapport de mars 2024 présenté au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (ONU), Francesca Albanese présente les actes et les intentions qui pourraient caractériser un génocide en cours à Gaza. La question d’un génocide perpétré par des moyens militaires se pose une nouvelle fois, ainsi que celle de l’assistance militaire à Israël. En droit international, cette question n’est pas nouvelle puisqu’au Rwanda, la contribution de l’armée au génocide des Tutsi a déjà été attestée. En ex-Yougoslavie, le massacre de Srebrenica, considéré comme un acte de génocide, s’est également déroulé dans un contexte de conflit armé. Concernant Israël, le blocus de Gaza nécessitant le recours à la force militaire de l’État a été présenté en 2009 comme une participation potentielle à un crime contre l’humanité.1. Et la Convention internationale pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 précise clairement, dans son article I :

Les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime de droit international qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.

Un contexte menaçant

Suite à la publication de ce rapport, plusieurs Etats occidentaux ont relayé les accusations portées par Israël contre la personne du rapporteur spécial. Le ministre israélien des Affaires étrangères et le ministre de l’Intérieur estimaient en février 2024 que leONU devrait publiquement désavouer son «  propos antisémites » et renvoyez-le définitivement2. Et le Quai d’Orsay a cru bon d’affirmer lors du point presse du 26 mars 2024 que

Mme Albanese ne s’engage pas dans le système des Nations Unies. Nous avons eu l’occasion par le passé de nous inquiéter de certaines de ses prises de position publiques problématiques et de sa contestation du caractère antisémite des attentats terroristes du 7 octobre.

Dans ce contexte menaçant, le rapporteur spécial n’est pas isolé parmi les experts indépendants du Conseil des droits de l’homme duONUresponsable de «  mandats thématiques  » ou «  mandats par pays « . Ils ont publié collectivement plusieurs déclarations relatives au risque de génocide depuis le début de l’offensive israélienne contemporaine. Très récemment, c’est le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhri, qui a mis en garde contre la volonté délibérée d’infliger la famine aux Gaza3.

Créé en 1993 par la Commission des droits de l’homme (aujourd’hui Conseil des droits de l’homme), le mandat du rapporteur spécial sur les territoires palestiniens occupés (qui fait partie du «  mandats par pays « ) vise à y examiner la situation des droits de l’homme et à formuler des recommandations auONU. Plusieurs intellectuels de haut niveau, comme les professeurs sud-africains John Dugard (2001-2008), l’Américain Richard Falk (2008-2014) ou le Canadien Michael Lynk (2016-2022) se sont succédé dans ces fonctions. Ils ont progressivement avancé la réflexion sur l’apartheid et invité les États à saisir la Cour internationale de Justice (CIJ) d’une demande d’avis sur la situation. Cette demande a abouti et a donné lieu à des audiences fin février 2024 devant la Cour. L’indépendance des experts du Conseil des droits de l’homme et la solidité de leurs rapports ont souvent suscité des oppositions. En décembre 2008, elles ont abouti à l’arrestation puis à l’expulsion par Israël de Richard Falk.4.

L’inculpation par Israël des rapporteurs spéciaux sur les territoires palestiniens occupés accompagne désormais un discours israélien visant à discréditer l’ensemble deONU, son secrétaire général, et même ses juges. Nous savons que leUNRWAl’agence deONU dédié aux réfugiés palestiniens, a également été spécifiquement visé, ce qui a conduit à affaiblir son fonctionnement et à affaiblir encore davantage la population de Gaza. Dans son rapport, Francesca Albanese appelle également les Etats à continuer à financer l’agence (§ 97, g).

L’UNRWA est également implicitement renforcée par la dernière ordonnance du CIJ, largement centré sur la question de la famine. Privilégiant la voie terrestre pour acheminer l’aide humanitaire, la Cour ordonne à Israël de

prendre toutes les mesures nécessaires et efficaces pour garantir sans délai, en étroite collaboration avec les Nations Unies, que la fourniture par toutes les parties intéressées des services de base et de l’aide humanitaire requise d’urgence (…) notamment en augmentant la capacité et le nombre des points de passage terrestres et les garder ouverts aussi longtemps que nécessaire5.

Dans la requête qu’il a récemment déposée devant le CIJ concernant Gaza, le Nicaragua accuse l’Allemagne, pour complicité de génocide, de fournir du matériel militaire à Israël, mais aussi de suspendre son financement duUNRWA. Les audiences se tiendront, dans cette autre affaire, en avril 2024.

«  Des preuves exceptionnellement présentes »

L’offensive actuelle sur Gaza est considérée par Francesca Albanese comme pouvant caractériser trois des actes de génocide énumérés par la Convention de 1948 (article IIa), b) et c)) : le meurtre de membres du groupe, l’atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale et la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence destinées à entraîner sa destruction physique totale ou partielle.

Les faits sont précisément et utilement rappelés, dont les chiffres considérables de plus de 30 000 morts, 12 000 disparus (sous les décombres) et 71 000 blessés graves (§§ 21-45). L’offensive israélienne s’illustre également par les souffrances infligées aux enfants, qui peuvent être interprétées comme un moyen de détruire le groupe ciblé (§ 33). Quant à l’intention de détruire le groupe, propre au crime de génocide, elle peut être directement prouvée au regard des déclarations de hauts responsables israéliens, parfaitement comprises sur le terrain (§§ 50-53). Donc, «  la preuve directe de l’intention génocidaire est exceptionnellement présente « . Il s’agit d’un élément essentiel pour la qualification de génocide, qui dispense du recours à des preuves circonstancielles. En effet, en l’absence de preuves directes, la jurisprudence internationale refuse généralement de qualifier de génocide alors que les actes de violence peuvent être «  raisonnablement expliqué » autrement que par l’intention de détruire le groupe.

C’est dans ce contexte que le rapport de Francesca Albanese examine la «  jargon » humanitaire (§ 60) utilisé par Israël pour justifier ses opérations. Nous nous trouvons en présence d’un discours israélien flou, où la justification des attaques par les catégories du droit des conflits armés risque désormais de brouiller l’identification du « intention de détruire » ce qui fut officiellement déclaré dès les premiers mois de l’offensive. Se référant explicitement à la procédure engagée devant le CIJ par l’Afrique du Sud, Francesca Albanese note : «  Pour sa défense, Israël a affirmé que sa conduite était conforme au droit international humanitaire. « . Mais en réalité, «  Israël a invoqué ce droit comme un « camouflage humanitaire » afin de légitimer la violence génocidaire qu’il déploie à Gaza. » (§ 7). C’est l’intérêt du travail de Francesca Albanese de l’exposer et d’œuvrer à la déconstruction des prétentions juridiques d’Israël en vertu du droit de la guerre.

LE «  camouflage humanitaire »

La dernière partie du rapport est donc intitulée de manière significative «  Camouflage humanitaire : déformer les lois de la guerre pour cacher l’intention génocidaire « . Le rapporteur estime que

sur le terrain, cette distorsion du droit de la guerre (…) a transformé tout un groupe national et son espace habité en une cible militaire susceptible d’être détruite, révélant une conduite des hostilités » éliminationniste « . Cela a eu des effets dévastateurs, coûtant la vie à des milliers de civils palestiniens, détruisant la vie à Gaza et causant des dommages irréparables. Illustre un plan d’action clair dont nous ne pouvons que déduire une intention génocidaire.6.

Plusieurs notions du droit relatif à la conduite des hostilités tel qu’instrumentalisé par Israël sont précisément analysées : l’accusation d’usage de boucliers humains ou d’usage militaire d’installations médicales par l’adversaire (A et E), l’extension de la notion d’objectif militaire ( B), l’exploitation de la notion de « dommages collatéraux » (C), ordres d’évacuation et désignations de zones de sécurité (D). L’exemple des évacuations semble, avec le siège et le ciblage systématique des hôpitaux, assez spécifique à l’offensive actuelle. Concernant les ordres d’évacuation, on assiste à la transformation d’une exigence du droit de la guerre (précautions avant l’attaque) en instrument de persécution et d’affaiblissement de la population. Cela a d’ailleurs été vite compris par les organes duONU, puisque la résolution de l’Assemblée générale du 26 octobre 2023 a appelé à l’annulation du premier ordre d’évacuation du nord de Gaza. Le thème de la perfidie (la conduite traîtresse étant une violation grave du droit de la guerre) apparaît ainsi dans les développements du rapport de Francesca Albanese, puisque les zones désignées comme sûres pour les civils déplacés et les couloirs humanitaires permettant leurs déplacements ont fait l’objet de bombardements et d’attaques ( §§ 79 et 81).

Le rapport contrecarre donc utilement une approche déjà évidente dans le travail du procureur de la Cour pénale internationale (IPC). Cette approche consiste à représenter l’offensive comme une opération militaire où l’armée israélienne s’efforcerait de respecter les exigences des lois de la guerre dans une situation de conflit urbain complexe – mais finalement classique. Or, s’il s’agissait de respecter ce droit relatif à la conduite des hostilités, la règle de précaution dans l’attaque devrait s’appliquer en ce qui concerne la configuration de l’espace dans lequel se déroule l’offensive, c’est-à-dire un zone restreinte, fermée, très densément peuplée, où les objectifs militaires sont essentiellement souterrains en raison du blocus imposé depuis 2007. Selon cette règle :

ceux qui décident d’attaquer doivent (…) s’abstenir de lancer une attaque susceptible d’entraîner des pertes accidentelles en vies humaines parmi la population civile, des blessures à des civils, des dommages à des biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, ce qui être excessif par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu7.

Ajoutons qu’au vu des objectifs affichés par les dirigeants israéliens, il serait également possible d’invoquer la règle qui criminalise le simple fait de déclarer un refus de voisinage.8.

Il ne faut pas non plus oublier que le droit des peuples à l’autodétermination, qui inclut le peuple palestinien, impose à l’État colonial ou occupant de promouvoir l’émancipation, ce qui remet en question le principe même de l’offensive israélienne. . À cet égard, le rapport de Francesca Albanese s’appuie sur des travaux historiques récents pour comparer la situation des territoires occupés au colonialisme de peuplement (§ 12). La qualification de génocide doit certainement être comprise dans ce contexte, souligne Francesca Albanese, c’est-à-dire en situant l’offensive contemporaine dans une histoire de déplacement et d’effacement du peuple palestinien (rapport, §§ 10-14).

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Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
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