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Alerte sur la dette française

Du rouge vif à l’écarlate. Pour les finances publiques, 2024 est une année terrible. Les mauvaises nouvelles continuent sur le double front de la dette et du déficit. Et sont souvent inattendus, ce qui représente un facteur d’inquiétude supplémentaire pour les observateurs, également préoccupés par l’instabilité politique. Avec une dette publique qui s’élevait à 112 % de la richesse nationale (PIB) en juin, selon le chiffre révélé par l’Insee le 27 septembre, la France accuse un trou de 3 228,4 milliards d’euros. Cela représente une augmentation de 69 milliards d’euros en trois mois et de 127 milliards en un semestre. La dette moyenne de la zone euro s’élève à 88,7% du PIB…

Le déficit budgétaire continue également de croître. Annoncé à 4,9% pour 2023 dans la loi de finances, il a dû être corrigé à la hausse à 5,5% en début d’année. Quant à celui de 2024, estimé à 4,4% dans le budget approuvé fin 2023, il a subi une triple révision : de 5,1% au printemps, puis de 5,6% durant l’été, le déficit devrait désormais, selon le ministre. des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, cette semaine, atteignent ou dépassent le seuil des 6 %. En cause, comme au début de l’été, une double déception : des recettes fiscales inférieures aux prévisions (impôt sur les sociétés et TVA) et des dépenses bien supérieures aux prévisions (l’indexation des pensions de retraite a coûté 18 milliards d’euros depuis l’an dernier).

Alerte sur la dette française

Dette au sens de Maastricht, en milliards d’euros. Une augmentation d’un billion depuis 2017 (Crédits : © LTD)

Sans surprise, l’écart se creuse entre la France et ses voisins, puisque le déficit moyen des 20 pays membres de la zone euro s’élevait l’an dernier à 3,6% du PIB. Paris dépasse également les limites fixées par Bruxelles en la matière, avec un plafond à 3% du PIB. Confronté à une procédure disciplinaire depuis l’été, comme six autres Etats, dont l’Italie, le nouveau gouvernement a obtenu un délai des autorités européennes pour transmettre son plan de correction de trajectoire des finances publiques. Remise de la copie le 31 octobre (au lieu du 20 septembre), près de trois semaines après la présentation du projet de loi de finances 2025.

La dette publique française continue de gonfler, pression maximale sur le gouvernement

« Quand ça se dévisse, ça peut être brutal »

Ces multiples dérives pèsent sur la « signature financière » de la France, considérée depuis plusieurs décennies comme un « pays cœur » de la zone euro, certes moins bien noté que l’Allemagne, mais néanmoins perçu comme l’un des plus sûrs par les investisseurs. « Ce statut est désormais remis en question » » déclare un ancien analyste principal chez Standard & Poor’s, la première des grandes agences de notation. A l’appui de ce jugement sévère, l’évolution de l’écart de taux d’intérêt (le « spread », en langage de marché) enregistré entre la France et l’Allemagne : moins de 0,5% au début de l’année, il est passé à 0,8% ces derniers jours. . Pire, depuis le début du mois, l’écart entre le taux national et ceux des pays dits « périphériques » – Portugal, Espagne et Grèce – s’est quasiment inversé.

La France, qui empruntait déjà plus cher que le Portugal depuis juin, se finance cette semaine à un coût plus élevé que l’Espagne pour ses OAT (équivalents bons du Trésor) à cinq ans, pour la première fois depuis dix-huit ans. Ou encore la Grèce, pays à l’épicentre de la crise de la dette souveraine en 2012. Le spread franco-italien se rétrécit sensiblement, alors que l’Italie est le pays où les taux d’intérêt sont les plus élevés d’Europe. Premier impact tangible, l’augmentation du coût de la dette, qui complique l’équation : de 34,7 milliards d’euros en 2017, il passera cette année à 52,8 milliards. La Cour des comptes le situe à 83 milliards d’euros en 2027, car les effets de la baisse des taux décidée par la BCE ne se feront pas sentir avant plusieurs années.

Vers un déficit public d’environ 6% du PIB en 2024, selon une nouvelle estimation

Si la plupart des experts rejettent l’hypothèse d’une crise financière à court terme, en partie en raison des mécanismes dont dispose la BCE pour l’empêcher, nombreux sont ceux qui ne cachent pas leurs réserves sur l’attitude française. « Dans ce domaine, la manière d’expliquer une trajectoire budgétaire compte autant que les mesures elles-mêmes, explique Ludovic Subran, l’économiste en chef du géant allemand de l’assurance Allianz. Toutefois, pour l’instant, le gouvernement ne fournit aucune information aux investisseurs. Coup de planing général ? Une vraie réforme des finances publiques ? Nous n’en savons rien. »

Si la dette française se vend toujours très bien, c’est en partie pour des raisons de régulation financière et de composition des portefeuilles en euros. « Mais le gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure des conséquences sur les marchés que pourrait entraîner la situation financière nationale », prévient Philippe Waechter, directeur des études économiques chez Ostrum Asset Management. Or, la tension sur les finances publiques est colossale, avec un effort annuel de 30 milliards d’économies à réaliser. » Contrairement aux krachs boursiers, les crises obligataires sont imprévisibles. « Ce n’est pas linéaire, confirme un gestionnaire de fortune. Les signaux faibles se succèdent, parfois à intervalles éloignés. Mais les investisseurs sont très penauds : quand les choses tournent mal, cela peut être brutal. Personne ne veut être le dernier à sortir. »

La situation n’aidera pas le gouvernement

Michel Barnier ne peut guère compter sur la croissance pour renflouer les caisses de l’Etat et de la Sécurité sociale. En tout cas, pas tout de suite. Une vague de froid persiste dans l’économie. Les perspectives établies par les économistes ne laissent pas espérer une hausse du PIB très loin de 1% en 2025, comme cette année. Plus pessimistes, certains chefs d’entreprise n’excluent pas un risque de récession. L’Insee, rappelons-le, anticipe une baisse de 0,1% sur les trois derniers mois de 2024. Ce qui, mathématiquement, limitera la prévision officielle du gouvernement pour 2025, qui devrait être connue cette semaine. Ce qui se passe? L’activité en France est certes aujourd’hui soutenue par les exportations. Mais elle souffre d’une demande intérieure trop faible. La consommation des ménages, principal moteur de l’économie, ne décolle pas comme prévu.

La hausse des achats de biens manufacturés est nulle sur un an, selon l’indicateur de l’Insee publié à la veille du week-end. En tendance ces derniers mois, les ventes sont en baisse dans plusieurs secteurs clés : alimentation, automobile, habillement. L’inflation est toutefois revenue à un niveau modéré : +1,2% en septembre sur douze mois, selon les chiffres publiés vendredi. La rentrée scolaire est marquée par la baisse des prix de l’énergie, souligne l’Institut de la statistique. Le pic est bien passé. Mais cela n’est toujours pas effacé de la perception des consommateurs. Et pour cause. Sur toute la phase inflationniste, entre 2021 et 2024, les prix se sont envolés de près de 13 % tandis que les salaires (bruts) ont augmenté de 11 %, peinant à suivre la danse des étiquettes. En revanche, les entreprises ont freiné les projets d’investissement.

Les projets de développement sont en baisse de 2% cette année, selon les estimations qui circulent au Medef. Les dirigeants attendent une nouvelle baisse des taux d’intérêt et manquent de visibilité sur la politique économique. Conséquence, les crédits bancaires distribués pour l’investissement sont en baisse de plus de 8% sur un an, soit environ 50 milliards de moins injectés dans l’économie, selon les données de l’institut Rexecode. De plus, l’attrait exercé par la politique industrielle américaine continue d’orienter les capitaux vers des projets outre-Atlantique. « Les États-Unis ont mis en œuvre l’Inflation Reduction Act et les prix de l’énergie sont imbattables. De nombreuses entreprises européennes organisent un transfert d’activité »déplore un responsable employeur.

Par ailleurs, le marché immobilier français reste stagnant. Sur les douze derniers mois, 269.700 logements ont été mis en chantier, selon les estimations du ministère de la Transition écologique, qui compile les données du secteur. Soit 20 % de moins que sur les douze mois précédents. La branche entière continue sa descente aux enfers. Où pouvons-nous trouver une source d’optimisme ? Les économistes comptent sur la poursuite de la baisse des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne pour relancer l’activité, à commencer par l’investissement immobilier et les investissements des entreprises, et tablent sur un ralentissement de la consommation. Mais les incertitudes concernant la politique fiscale et budgétaire doivent d’abord être levées.