Changement d’ère chez le premier avionneur mondial. Ce jeudi matin, Airbus a présenté au comité européen un vaste programme d’amélioration des performances, baptisé LEAD!. Loin d’être un ajustement marginal, il va bouleverser durablement l’organisation industrielle de sa division aéronautique et provoquer un choc de simplification. Des actions immédiates ont déjà été menées depuis fin juillet afin de sortir de 2024 la tête haute.
Selon les informations de La TribuneAirbus entend avec ce plan : « améliorer nos performances, en termes d’efficacité opérationnelle, organisationnelle et de processus, ainsi que financière, atteindre les objectifs de l’entreprise, à court terme pour 2024 et à plus long terme afin de pouvoir investir pour aujourd’hui et pour demain, regagner la confiance et la prévisibilité avec les clients et les parties prenantes, augmenter l’engagement et l’efficacité de nos équipes « .
LEAD! sera géré sans recours à des sociétés externes. Le plan est porté par Christian Scherer, PDG d’Airbus Commercial Aircraft, et Franck Martin a été nommé chef de projet. Le groupe a confirmé à La Tribunece jeudi, qu’il s’agit de l’activité des avions commerciaux, des fonctions intégrées, des filiales et de sa présence dans les différentes régions du monde.
Réagir à « une trajectoire en danger »
Airbus fait face à des difficultés persistantes dans sa chaîne d’approvisionnement, qui peine à suivre la trajectoire de montée en cadence prévue. Comme en 2022, cette situation a contraint le groupe à revoir à la baisse ses objectifs de livraisons le 24 juin. L’avionneur européen vise désormais 770 appareils livrés en 2024, là où il en avait prévu 800. Et ce alors que le constructeur a consommé beaucoup de cash pour se donner les moyens d’augmenter sa production. Il a ainsi brûlé 1,8 milliard d’euros au premier trimestre 2024, soit le double de la même période l’an dernier.
» Depuis quelque temps, nous nous éloignons de nos objectifs. Pour le dire plus simplement, notre trajectoire est en danger. « , prévenait Christian Scherer, PDG d’Airbus Commercial Aircraft, le 12 juillet dernier dans une lettre adressée aux salariés annonçant la création du plan LEAD!.
Geler le recrutement de cols blancs et réduire la base de coûts externes
Pour se remettre immédiatement sur les rails et atteindre les objectifs 2024, Airbus a lancé fin juillet une campagne de réduction des coûts à tous les niveaux de l’entreprise. Aucun plan social n’est à l’ordre du jour, mais un gel des embauches pour les cols blancs (notamment dans l’ingénierie) a été annoncé par la direction, et au niveau des cols bleus (production), les embauches sont contrôlées pour suivre de près la montée en puissance.
Selon les informations de La TribuneLes frais de déplacement doivent diminuer d’au moins 20% d’ici la fin de l’année pour toutes les fonctions, de nombreuses formations ont été reportées. Le groupe entend aussi réduire la base de coûts externes. Certains prestataires qui produisaient des vidéos pour la communication interne d’Airbus ont déjà vu leurs carnets de commandes se réduire à néant.
5 500 projets non essentiels
Mais cette réduction des coûts n’est que la partie émergée de l’iceberg de la vaste réorganisation industrielle que l’avionneur entend mener pour rester le premier avionneur mondial face à l’historique Boeing et à l’ambitieux chinois Comac. Airbus entend avant tout recentrer ses troupes sur la réussite de cette augmentation de la production et sécuriser les livraisons. Airbus a précisé cet été vouloir « arrêter les projets internes non critiques » Et » initier la mobilité interne vers les activités essentielles « .
Après une première analyse, 5.500 projets non essentiels ont été recensés au sein d’Airbus Commercial Aircraft, selon des sources syndicales, et ce chiffre pourrait être réévalué à la hausse après une étude plus approfondie. Pour mener à bien cette multitude de projets, l’avionneur européen a massivement fait appel ces dernières années à des collaborateurs extérieurs de sociétés de services.
Selon nos informations, le groupe cherche à concentrer ses efforts sur des projets cœur (cœur de métier) qui méritent d’être réalisées avec du personnel interne et de se détacher des autres sujets.
Pour gérer les actions de mobilité interne du personnel, Airbus déploiera dès fin septembre dans chaque pays un comité Think Mobility avec des actions telles que le job dating. Une analyse du marché de l’emploi interne et des candidats disponibles sera également réalisée.
Choc de simplification
Le groupe entend améliorer structurellement ses performances en simplifiant son organisation. Airbus parle de « restaurer l’efficacité organisationnel « , commencer » un recentrage sur l’efficacité fonctionnelle » et instaurer une responsabilité globale. Pour y parvenir, le géant aéronautique va créer trois pôles en parallèle. Ceux-ci prévoient par exemple la réduction des doublons de fonctions, notamment dans la gestion des risques, le contrôle des exportations ou la gestion des données. La mise en place d’une équipe d’ingénierie unique pour le fuselage des avions est également prévue. L’avionneur ambitionne de rationaliser la structure de gestion et d’adapter la gouvernance pour mieux prendre en compte la dimension mondiale du groupe.
Selon une source interne, Airbus va également se pencher sur les goulots d’étranglement de sa chaîne d’approvisionnement qui bloquent l’assemblage final des avions. Un problème que le groupe a identifié depuis longtemps. Contrairement à l’Allemagne, qui dispose d’un solide réseau d’entreprises de taille moyenne, la chaîne de fournisseurs française est composée d’une multitude d’entreprises familiales, sous-traitants parfois au niveau 3 ou 4 d’Airbus, qui, en cas de difficultés, compromettent l’augmentation des cadences de production. Guillaume Faury, président exécutif du groupe Airbus, évoquait fin juin « des problèmes spécifiques en cours dans la chaîne d’approvisionnement, principalement dans les moteurs, les aérostructures et les équipements de cabine. »
Autant de projets qui prendront du temps, le plan LEAD! devrait donc s’étendre sur plusieurs années et repenser durablement l’organisation de la division aéronautique.
Des réactions mitigées
Demandé par La TribuneAirbus tient à souligner qu’il « Ce n’est pas un plan social » et qu’il ne le fait pas « ne change pas de stratégie »Le fabricant précise que « Ce plan lui permettra d’assurer dès aujourd’hui sa montée en puissance industrielle pour livrer ses clients, de poursuivre sa trajectoire de croissance et de préparer sa capacité à investir dans les programmes futurs. »
Du côté syndical, la présentation de ce plan était très attendue. « Le point positif à ce stade, c’est que nous avons la garantie qu’il n’y a pas d’impact social et c’est une bonne chose de se recentrer sur notre capacité à livrer et d’assurer la montée en cadence de la fabrication des avions. « , estime Dominique Delbouis, coordinateur groupe pour FO. La principale organisation syndicale de l’avionneur, avait appelé les salariés à » garder la tête froide » dans un tract distribué le 17 septembre en attendant « une analyse détaillée pour identifier l’impact des différents facteurs de baisse de performance » tous demandent à la direction de « maintenir les ressources nécessaires au développement d’Airbus. »
De son côté, Florent Veletchy, coordinateur de groupe de la CFTC, estime : « Les salariés eux-mêmes se plaignent de la complexité et de la lourdeur de l’organisation. Ils réclament également une efficacité opérationnelle pour ne pas retourner au travail le samedi pour finir les avions alors qu’il y a parfois des trous d’activité pendant la semaine à cause du manque de pièces. Sur ce plan, on ne peut qu’être d’accord, à condition que les réorganisations soient faites correctement d’un point de vue social.« De son côté, Guillaume Bonnet, délégué syndical central adjoint CFE-CGC Airbus Operations Toulouse demande « afin que le temps soit pris pour travailler véritablement sur l’impact de l’arrêt de certains projets sur les salariés et in fine sur l’activité industrielle de l’entreprise. » Plus vindicative, la CGT dénonce cet été « un plan injustifié et dangereux » et « une gestion financiarisée de l’entreprise ».