Agressions sexuelles : quand l’abbé Pierre menaçait ceux qui l’accusaient
Trois jours après dix-sept nouvelles accusations accablantes d’agressions sexuelles et de viols révélées par Emmaüs contre l’abbé Pierre, des correspondances dans lesquelles il menace certaines de celles qui l’accusent de ces agressions qu’il nie, ont été révélées, lundi 9 septembre, par la cellule d’investigation de Radio France. La publication d’un rapport révélé par le Mouvement Emmaüs, près de deux mois plus tôt, mercredi 17 juillet, avait mis au jour pour la première fois des faits commis par l’abbé Pierre, entre la fin des années 1970 et 2005.
Sa correspondance, dont une partie date de près de soixante-dix ans, concerne notamment une tournée aux États-Unis en mai 1955, où il fut reçu par le président Dwight D. Eisenhower à la Maison-Blanche, et au cours de laquelle plusieurs femmes se plaignirent de son comportement à New York, Chicago et Washington. Un séjour qui finit par tourner court.
L’abbé Pierre écrivit ensuite quelques mois plus tard, dans une lettre datée de fin 1955, à Suther Marshall, un étudiant américain qui avait co-organisé le voyage et qui avait déploré le comportement du père mais avait aussi indiqué qu’il avait « j’ai vu tellement de choses pendant le voyage, manières d’agir du Père en tant qu’individu ». « Vous avez promis de ne pas intervenir dans cette multitude de choses où vous ne pouvez qu’accumuler la dévastation, le chaos et l’infection. »il a écrit avant de devenir menaçant : « Sachez qu’aucune rechute ne restera sans réponse, et si nécessaire (mes réponses seront) brutales, chirurgicales. »
UN « socius » chargé de l’accompagner et… de le surveiller
Même scénario au Québec, quatre ans plus tard. Mais cette fois, la police est intervenue, assure Radio France. L’abbé Pierre écrit alors au révérend Roy, un cardinal québécois qu’il soupçonne d’être au courant de ses agissements, et lui assure que « Tout dans ces accusations est faux « . Le prêtre, décédé en 2007 à l’âge de 94 ans, s’est à nouveau montré menaçant : « Ceux qui font ces déclarations doivent savoir que s’ils confirment une calomnie aussi infâme, je ne pourrai pas éviter de les poursuivre en justice. »
D’autres lettres, écrites par plusieurs membres de l’Eglise, sont également révélatrices. Correspondance à laquelle Radio France a également eu accès. L’Eglise et Emmaüs décidèrent ainsi, fin 1957, de placer le prêtre en repos forcé, dans une clinique psychiatrique en Suisse et de faire surveiller le prêtre par un médecin. « socius ». « C’est un second qui accompagne une personnalité lorsqu’elle voyage, pour l’assister, porter ses valises et parfois veiller sur elle », explique le théologien André Paul à Radio France. « Et là, dans ce cas, c’était pour le surveiller », il abonde.
Prosper Monier, chargé de surveiller l’abbé Pierre, annonce directement à l’abbé Pierre qu’il doit se mettre en isolement, sur décision de son supérieur : « Nous avons vu l’évêque de Grenoble (le diocèse où l’abbé Pierre a été ordonné). Comme tout le monde, il espère que vous pourrez vous cacher pendant un an. Ce serait un réconfort moral et physique après votre choc. »c’est écrit dans une lettre envoyée à l’abbé, alors en Suisse, le 3 janvier 1958.
En 1958, l’abbé Pierre était décrit comme « « très malade »
Cinq mois plus tard, lorsque l’archevêque de Paris, le cardinal Feltin, apprend que le ministre de la Fonction publique, Edmond Michelet, a l’intention de décorer l’abbé, il lui écrit les mots suivants : « Je vous assure qu’à l’heure actuelle, cette distinction est très inappropriée, car l’intéressé est gravement malade, soigné en Suisse dans une clinique psychiatrique et je pense qu’en raison de ces circonstances très douloureuses, il vaut mieux ne pas parler de cet abbé. Il a eu des initiatives heureuses mais il me semble préférable, à l’heure actuelle, de garder le silence à son sujet. »
Après plus d’un demi-siècle de silence, non pas sur le prêtre lui-même mais sur les accusations d’agressions portées contre lui, la publication du premier rapport les révélant a provoqué une véritable onde de choc au sein d’Emmaüs et de la Fondation Abbé Pierre, qui ont mis en place un dispositif d’écoute avec le cabinet spécialisé indépendant Egaé, qui a permis de recueillir 17 nouveaux témoignages de victimes.
Dans ce contexte, sœur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, marraine avec l’épiscopat du rapport publié en octobre 2021 par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), estime que franceinfo : « Ceux qui savaient ont agi comme s’ils ne savaient pas. Ceux qui voyaient ont agi comme s’ils ne voyaient pas ou ne pouvaient pas voir. C’est un phénomène très, très grave. ».
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