Agence de notation : la dégradation de la France est inévitable mais sans doute salutaire… et voilà pourquoi
Une agence de notation évalue la capacité d’un emprunteur, d’une entreprise, d’un Etat, d’une collectivité, à rembourser sa dette.
©Miguel MEDINA / AFP
Entreprise Atlantico
Deux agences de notation (Fitch et Moody’s) rendront publique ce vendredi leur évaluation de la solidité financière de la France. Le résultat attendu risque de secouer davantage la classe politique que les milieux financiers. Encore faut-il savoir à quoi sert une agence de notation.
La dégradation d’une note par une agence de notation n’est évidemment pas anodine, c’est un marqueur d’affaiblissement, mais elle n’est pas forcément catastrophique. C’est comme une prise de sang qui révèle un taux de cholestérol excessif, cela peut être inquiétant mais normalement cela peut être guéri, du moins si le médecin est sérieux et si le patient y consent. Tout est dit, l’économie c’est comme la médecine. L’agence prend la température mais ne dispense pas de soins.
Une agence de notation évalue la capacité d’un emprunteur, d’une entreprise, d’un Etat, d’une collectivité, à rembourser sa dette. En bref, l’agence analyse la solidité financière et la solvabilitéce qui peut être une indication très importante pour les milieux bancaires et financiers, et plus généralement pour tous les partenaires de l’entreprise ou de l’Etat.
Il existe trois grandes agences qui contrôlent plus de 90 % du marché mondial : Moody’s Investor Service (Moody’s), Fitch Ratings (Fitch) et Standard & Poor’s.
Normalement, Fitch et Moody’s publieront ce vendredi leur décision de notation sur la solidité financière de la France. Et pour la première fois depuis le début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, il est fort probable que ces notes qui étaient très bonnes, AA+, soient abaissées. La meilleure note possible étant le triple A, la France pourrait descendre à 3 ou 4 positions. AA ou moins.
Malgré les multiples crises qui ont entraîné des coûts financiers considérables, qui ont mis à mal certaines perspectives : les gilets jaunes, les émeutes de banlieue, le COVID, la guerre en Ukraine, le choc inflationniste, le ministre des Finances a su gérer les conséquences financières de tous ces événements en apportant les explications et les perspectives capables de remettre les finances de la France sur les rails.
Depuis 7 ans, la France a certes emprunté beaucoup d’argent mais elle a emprunté à bas prix grâce aux facilités de la banque centrale, grâce aux perspectives de redressement du modèle économique, grâce aux garanties données par les contribuables pour accepter la pression fiscale, grâce également à l’épargne très abondante stockée dans les caisses d’épargne et les banques.
Dans ces conditions, la France a toujours trouvé de quoi financer sa dette sans avoir à payer une prime de risque exorbitante. Pendant toute cette période, les agences de notation n’ont pas bronché.
Mais voilà, depuis plus d’un an, la France, qui s’était engagée à rétablir l’équilibre de ses finances publiques, a encore dérapé, contrainte de reconnaître que ses engagements de réduction des déficits budgétaires et de la dette ne seront pas respectés. Pour quoi ? Parce que la croissance économique est au point mort, comme partout dans le monde, les recettes fiscales ont diminué. En revanche, l’exécutif n’a pas pu ou pas voulu organiser une réduction des dépenses publiques et sociales. Le patient souffre d’obésité mais ce n’est pas pour cela qu’il acceptera de perdre du poids.
Normalement, les agences de notation doivent sanctionner ces échecs par une dégradation. La question est donc de savoir ce que cette décision peut changer.
En théorie, la notation de l’agence mesure le risque présenté par l’État emprunteur et comme le risque a un prix, la dégradation entraîne une augmentation du prix de la dette. Voilà donc la théorie. En pratique tout dépend du coût global de la dette et la dette française a été négociée avec une maturité très longue (plus de 12 ans) à un taux très bas. Le risque d’une augmentation des prix est donc faible. Mais tout dépend aussi de la soutenabilité de la dette, c’est-à-dire de son financement. La France, comme de nombreux pays occidentaux, n’a aucune difficulté à trouver des capitaux sur le marché international.
Cela dit, une dégradation de la note française relancerait inévitablement le débat politique interne. D’abord parce que pour l’opposition, la note est la preuve que la France est mal gérée et qu’elle est incapable de mettre en œuvre une politique budgétaire cohérente. C’est un débat sans fin car l’opposition n’a pas de solution miracle et immédiate pour relancer la croissance, ni de recettes pour réduire les dépenses publiques et sociales. Nous allons donc assister à un jeu de rôle traditionnel que nous propose périodiquement la classe politique. Ni à droite ni à gauche, des solutions alternatives n’ont été proposées.
Plus important encore, cette dégradation risque d’accroître le désaccord latent entre le Président de la République, le Premier Ministre et le Ministre de l’Economie et des Finances. Bruno Le Maire, qui tient la comptabilité depuis le début, est évidemment dans le collimateur. D’ailleurs, il a publié il y a deux mois un diagnostic de la situation française, pour justifier ce qui a été fait pendant le « quoi qu’il en coûte… » (une politique qu’à l’époque personne ne regrettait) mais aussi d’indiquer la nécessité de sortir de tout ce qu’il faut et d’engager des réformes structurelles capables de réduire durablement les dépenses sociales et d’augmenter la productivité des services publics. Au sein de l’exécutif français, tant à Matignon qu’à l’Élysée, le livre de Bruno Le Maire a été chaleureusement accueilli.
Et pourtant, le moment venu, il faudra s’attaquer à ces problèmes. La publication de ces notes venues de France va alimenter ce débat.
Le verdict tombera donc vendredi matin, puisqu’avant Standard and Poor’s le mois prochain, Fitch et Moody’s donneront le ton. Le gouvernement s’y attend ; c’est pourquoi Bruno Le Maire a été le premier à parler de « la nécessaire fin du quoi qu’il en coûte », ce qui a été plutôt mal accueilli par Emmanuel Macron.
Cela dit, la décision des agences ne surprendra personne, les marchés financiers ayant déjà pris en compte des résultats médiocres. Le président de la République aussi puisqu’il a rejeté l’idée de présenter une loi de finances rectificative. En d’autres termes, il n’est pas question d’ajouter une crise politique aux difficultés budgétaires. Le sujet n’est donc pas d’actualité. L’actualité sera plus impactée par les élections présidentielles que par les incertitudes sur la capacité de la France à trouver des financements.