Adventure Raid, cheval de Troie de la police scolaire

Au collège Germaine Tillion, situé dans un quartier prisé du 12 e Arrondissement parisien, tout a commencé par un mail anodin. Le directeur adjoint de l’établissement a informé les parents des élèves de 5 e et le personnel seulement une demi-journée « sportif et citoyen » seraient organisés la semaine suivante, pendant le temps scolaire, « en partenariat avec la Police Municipale et le Service Prévention du 12 e arrondissement et l’association Raid Aventure » et hébergé par « policiers volontaires et membres de la communauté éducative ».
« Des enfants en tenue de combat, brandissant des pistolets et des bâtons factices et simulant des arrestations »
Le message (que nous avons pu consulter) comportait également un lien vers une vidéo de présentation de Raid Aventure. « En cliquant, j’ai été très choqué, explique Aurélie*, enseignante au collège. Nous avons vu des enfants en tenue de combat, brandissant des pistolets et des bâtons factices et simulant des arrestations. »
Alertés, d’autres enseignants émettent alors des réserves sur l’intérêt pédagogique de ce genre d’opération et vont s’ouvrir au proviseur adjoint.
Elle les rassure en leur racontant « promouvoir la citoyenneté et les valeurs de la République, améliorer les relations entre les jeunes et la police et déconstruire les stéréotypes », tout en les assurant qu’il s’agissait simplement de leur faire découvrir « les métiers et les techniques d’intervention des forces de l’ordre auprès des étudiants et qu’il n’y aurait ni armes ni menottes », dit un autre professeur.
Pas vraiment de quoi rassurer Aurélie : « Deux classes seront fermées dans notre établissement à la rentrée prochaine, nous manquons de temps et de moyens pour prendre en charge les élèves en difficulté dans ce quartier populaire. Alors, annuler des cours pour organiser ce genre de choses me semble absurde. »
Des élèves répartis en deux groupes, selon qu’ils disent aimer ou non la police
Du côté des parents, l’annonce de cette action a suscité peu de réaction. « Cet après-midi découverte a été estampillé« parcours citoyen » et l’objectif affiché était de “ . En principe, cela ne me dérangeait pas. »témoigne Sabine*, la mère d’un élève de 5 e.
Le mardi 21 au soir, écoutant l’histoire racontée par sa fille, elle n’en croyait pas ses oreilles : « Clémentine* m’a raconté que les élèves étaient interrogés par la police pour savoir s’ils aimaient ou non la police, puis séparés en deux groupes selon leur réponse. Elle, qui avait été très choquée par la police qui a abattu un homme dans sa voiture, juste à côté de notre maison, faisait partie du groupe qui n’aimait pas la police. Elle a soulevé cette question avec celui qui dirigeait l’atelier, qui a répondu qu’il s’agissait d’un cas de légitime défense.(l’enquête est toujours en cours, ndlr) . Un de ses camarades a évoqué des violences policières lors de manifestations récentes et dont il avait vu les images. On lui a dit que les personnes qui avaient pris les coups étaient au mauvais endroit et n’avaient rien à faire là-bas… » .
Sur les réseaux sociaux, d’autres parents se sont émus, photos à l’appui, d’avoir vu leurs enfants tester les techniques de palpation, d’interpellation et de menottage, tirer avec des pistolets laser, manier des matraques ou crapahuter attelés comme des Robocops.
« Entre un atelier sur le tri des déchets et une séance d’escalade, nous leur avons appris à fabriquer une clé pour immobiliser quelqu’un et à utiliser une arme. C’était complètement inapproprié. Il y a d’autres manières d’aborder le travail de la police que sous l’angle physique et répressif » s’indigne Maria Melchor, représentante (FCPE) des parents d’élèves, dont l’enfant a également participé aux ateliers.
Au nom de sa fédération, elle a déjà envoyé des lettres de protestation à la direction du collège et à la mairie du 12 e arrondissement. Elle va aussi » interroge le rectorat, notamment pour savoir pourquoi Raid Aventure est agréé par l’Education nationale. »
En effet, les actions de cette association (qui anime également des ateliers de « formation » dans le cadre du Service National Universel) à destination des collégiens, collégiens et lycéens se multiplient en France et à l’étranger.
Entre janvier et mars 2023, une quarantaine d’actions à destination des scolaires ont été programmées. Ceux du dispositif Prox’Aventure sont installés dans un lieu public, à proximité d’écoles ou de collèges, où les professeurs accompagnent les élèves (comme ce 21 mars au 12 e). En ce qui concerne les lycées, les policiers de Raid Aventure interviennent au sein même des établissements.
Une association parrainée par des trafiquants d’armes
Financée par les ministères de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, de l’Intérieur, de la Justice et des Armées, subventionnée notamment par le Conseil régional d’Île-de-France mais aussi par la police nationale et sa fédération sportive (la FSPN), l’association basée à Dreux est également soutenu par des sponsors privés, comme le groupe Dassault ou GK pro, qui commercialise des Flash-balls, des bombes lacrymogènes et des tasers, entre autres équipements pour la police. Un matériel dont le très médiatique président fondateur de l’association, Bruno Pomart, ex-policier du Raid, n’hésite pas à en promouvoir publiquement l’usage.
Ainsi en 2020, sur la chaîne RMC, il milite pour que toutes les polices municipales soient armées de Tasers, s’inquiète de l’interdiction des grenades à dispersion GLI-F4, et vante l’usage du LBD (lanceur de balle de défense) dans le maintien de l’ordre. Sur LCI, CNEWS et BFM TV, où il intervient régulièrement en tant que consultant, il nie systématiquement l’existence de toute violence policière. Il fustige dans une tribune « Le fantasme d’une police blanche, raciste et violente [qui] n’existe pas en France » . Un texte qui frôle, sur le site Raid Aventure, avec d’autres du même acabit, et même un hommage sirupeux à l' »humaniste » Serge Dassault.
Une après-midi facturée 1 000 euros par Raid Aventure
« Les policiers bénévoles que nous avons rencontrés pour préparer cette journée sont de très bonnes personnes, qui savent s’occuper des enfants. Raid Aventure existe depuis 25 ans, et fait des dizaines d’interventions par an auprès des élèves, avec l’agrément de l’Education Nationale, à la demande des communes de droite et de gauche, cela ne pose jamais de problème,défend Pierrick Paris, adjoint chargé de la sécurité à la mairie du 12 e district et initiateur de cette opération. On est très loin d’une entreprise de recrutement ou de propagande policière. Au contraire, les intervenants ont invité les enfants à discuter entre eux de la police. »
Regrettant d’avoir vu circuler sur les réseaux sociaux des images d’enfants portant des pistolets laser et des tenues ressemblant à des équipements de combat, l’élu socialiste concède que « Si c’était à refaire, je demanderais que certains ateliers soient supprimés » .
Il reconnaît également que » dans le contexte actuel de manifestations, qui ont donné lieu à des exactions policières dont les images ont été largement diffusées, le calendrier d’une telle opération n’était peut-être pas adapté. »
Mais pour Pierrick Paris, cet après-midi facturé 1 000 euros par Raid Aventure reste une réussite : « Tous les enfants étaient contents d’avoir participé à ces ateliers ludiques, sportifs et civiques et ont adoré jouer le rôle des policiers », il assure.
Une « erreur » reconnue, mais pas suivie d’effets
« Ce n’est pas la bonne méthode, répond Nicolas Bonnet-Oulaldj, conseiller (PCF) de Paris et élu chargé des sports dans le 12 e arrondissement. Pour faire du sport, les élèves ont des professeurs d’EPS. Quant à leur relation avec la police, elle passe par un véritable dialogue avec les policiers en service, qui peuvent leur expliquer la délinquance causée par le trafic de drogue, la manière dont ils enquêtent, répondre à leurs questions ou leur expérience concernant les méthodes policières. dans un quartier populaire. Avec Raid Aventure, on n’est que sur la démonstration de l’aspect opérationnel et il y a un côté très paternaliste. »
L’élu communiste se dit aussi « outré que cette opération n’ait jamais été mentionnée au conseil d’administration du Tillion College (où il est assis, ndlr) et qu’une rue piétonne a été privatisée pour son aménagement, en y installant des banderoles publicitaires Raid Aventure et des marchands d’armes qui parrainent l’association ».
La multiplication des protestations parviendra-t-elle aux oreilles du rectorat ? Une telle association cessera-t-elle ses activités après les enfants ? Rien n’est moins sûr.
Après les mêmes ateliers de menottage entre élèves, de manipulation de matraques et de pistolets laser ont été organisés fin septembre 2022 dans les écoles de leurs enfants, une délégation de parents des écoles Langevin, Sorano et Balzac de Saint Denis (Seine-Saint-Denis), avait été reçu par un inspecteur de l’Éducation nationale le 17 novembre 2022.
A l’issue de la réunion, le représentant FCPE de l’école Langevin avait même évoqué une « soulagement général »après que l’inspecteur eut « a reconnu qu’une erreur avait été commise » Et « qu’il avait manqué de vigilance » .
En même temps, un message reconnaissant « le caractère inadapté des activités proposées aux enfants par Raid Aventure »a également été envoyé àHumanitépar le recteur. Apparemment, cet acte de contrition n’a pas été suivi d’effets, puisque l’Éducation nationale continue d’accueillir Raid Aventure à bras ouverts.
Grb2