Divertissement

« Accepter la vieillesse reste un combat pour les femmes »

Une scène de Fellini au cœur de Paris. En robe de soirée, elle danse dans les eaux de la fontaine de l’hôtel Saint James. Une demi-heure plus tard, la dolce vita continue à bord d’un taxi-moto, direction l’autre bout de la ville où elle doit assister à la représentation théâtrale de son fils, qui aura bientôt 6 ans. La représentation organisée par le centre de loisirs n’avait été annoncée que la veille, mais il n’était pas question de la rater. « Certains parents étaient plus en retard que moi… », rigolera Julie de Bona, émue par la prestation de son petit garçon.

Jeune comédienne comme sa mère ? Elle aussi est montée sur scène très jeune… Mais avec beaucoup moins de facilité, souligne-t-elle. La petite fille, âgée de 7 ans, était terrifiée. « Aucun mot ne sortait de ma bouche. L’horreur ! J’étais beaucoup trop timide. » À cette époque, exprimer ses émotions relevait de l’exploit. Un blocage qui prenait racine dans une histoire familiale où la parole s’exprimait difficilement.

Ma grand-mère s’est retrouvée veuve à 30 ans, sans diplôme et victime de racisme

Julie de Bona

Tout commence quelques décennies plus tôt, à Saïgon. Sa grand-mère vietnamienne y épouse un Français et donne naissance à six enfants, avant de s’installer en France. À Perpignan, la famille retrouve un petit coin de soleil au bord de la mer. Mais le ciel s’assombrit vite lorsque son grand-père décède en faisant de la plongée sous-marine. « Ma grand-mère s’est retrouvée veuve à 30 ans, sans diplôme et victime de racisme. Son dernier enfant n’avait que 18 mois », raconte Julie. Cette « guerrière » endurcie par une culture vietnamienne de travail acharné, de détermination et de minutie « est capable de déplacer des montagnes pour faire vivre son clan. Moins de lui témoigner de l’amour.

À l'hôtel Saint James à Paris le 12 juillet. Juste après le tournage de la série

A l’hôtel Saint James à Paris le 12 juillet. Juste après le tournage de la série « Erica » ​​pour TF1 et la veille d’un départ en vacances en famille en Espagne.

Paris Match / © Vincent Capman

Alors Marick, la mère de Julie, est élevée à la dure. Dans cette famille où personne ne fait de vagues, où l’on n’exprime pas ses émotions, l’actrice a longtemps pris la réserve du rejet. Jusqu’à un voyage au Vietnam en 2015 où elle a la clé de l’énigme : l’apparente froideur de sa famille n’est qu’une pudeur qui a traversé les générations. « Ma mère ne pleure jamais, insiste-t-elle. Mon plus grand bonheur, c’est quand elle verse une larme devant un de mes films. Je suis là aussi pour la libérer de ses émotions. »

Elle est diagnostiquée avec un HPE (haut potentiel émotionnel)

L’actrice a grandi entre deux modèles : cette mère, couturière et restauratrice, très réservée, et un père italien, expansif et beau parleur. Informaticien aux accents d’Alain Delon. Ils ont eu deux enfants artistes : Julie et Olivia, sa sœur cadette, illustratrice. Pour l’actrice, le besoin d’extérioriser est devenu vital en grandissant : elle a été diagnostiquée HPE (haut potentiel émotionnel). « Vous ressentez des émotions à la puissance 1000 et vous avez l’impression que les autres ne les vivent pas comme vous. Alors vous pensez que c’est vous le problème. »

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Un moment de recueillement avec son fils de presque 6 ans. Été 2023, en Bourgogne, son refuge.

Un moment de recueillement avec son fils de presque 6 ans. Été 2023, en Bourgogne, son refuge.

© DR

Julie cherche un exutoire et veut conjurer le sort. Effacer le souvenir de cette première fois bâillonnée par la peur. Elle a 15 ans lorsqu’elle franchit à nouveau le seuil d’un théâtre et s’inscrit dans un cours pour adultes. Incapable d’affronter les regards parfois cruels des adolescents. Sur scène, elle brûle la timidité de l’enfance. La vengeance prend la forme de trois courtes répliques dans une pièce de trois heures, opérettes dans la région de Montpellier.

Paralysé par le trac

Faire partie d’une troupe lui donne des idées. Elle poursuit ses études de biochimie et décide d’intégrer le conservatoire de Montpellier. Elle fait sa formation dans un café-théâtre, tient le rôle principal dans un spectacle pour enfants, mais elle est rattrapée par ses mauvais souvenirs. Le trac lui joue encore des tours : devant des élèves de son âge, pas un mot ne sort de sa bouche. Pour la représentation de fin d’année, devant des professionnels, un professeur lui confie le rôle de la femme endormie dans « Le Temps et la Chambre » de Botho Strauss. Le personnage dort tout au long de la pièce. Un professeur lui dit même : « Tu n’es pas faite pour être actrice. Je t’ai regardée, tu n’as rien, tu n’as jamais rien fait. »

« Un apéritif en très bonne compagnie », écrit-elle.

« Un apéritif en très bonne compagnie », écrit-elle.

© DR

Cette fois, l’humiliation la tire de sa torpeur. « J’ai pleuré devant toute la classe. Et puis je me suis affirmée. » Elle avait le talent. Julie peut désormais aussi compter sur son « désir de plaire ». Direction Paris. Au théâtre, les rôles se succèdent pendant quelques années. Le sentiment d’illégitimité reste tenace jusqu’à une rencontre. Julie va jouer avec l’immense Michel Bouquet, « le maître de tous les grands conservatoires de France ». C’est le tournant de sa carrière. L’acteur lui dit après une représentation du « Malade imaginaire » : « Ça y est, vous êtes une grande comédienne. » Le compliment a valeur d’envoûtement. Finis les blocages. Oubliés les angoisses et les vexations.

« Je suis une mère louve », affirme celle qui profite pleinement des rares pauses entre les tournages.

« Je suis une mère louve », affirme celle qui profite pleinement des rares pauses entre les tournages.

© DR

En 2019, elle accède à la consécration sur le petit écran : elle rejoint le casting du « Bazar de la Charité ». La série raconte le terrible incendie de 1897 qui a coûté la vie à 125 personnes, dont 118 femmes. Et elle a battu les records d’audience avec plus de 8 millions de téléspectateurs. Aux côtés d’Audrey Fleurot et de Camille Lou, Julie de Bona incarne une jeune femme défigurée par les brûlures. « Je n’avais que le fond de ma bouche et mes yeux pour transmettre des émotions. »

À 43 ans, Julie de Bona est devenue l’une des actrices les plus rentables de la télévision française.

Le succès est tel qu’en 2022, pour leur projet autour de la Première Guerre mondiale, les producteurs ont convoqué le même casting, rejoint par Sofia Essaïdi. La bande se reformera une troisième fois, prochainement, pour la série « Eté 36 », une autre fiction historique, autour des premiers congés payés.

À 43 ans, Julie de Bona est devenue l’une des actrices les plus bankables de la télévision française. Un succès qui a fini par attirer les grands noms du cinéma. L’équipe du « Comte de Monte-Cristo », blockbuster français qui vient de dépasser les 4 millions d’entrées, lui a proposé le rôle de Victoria. Et l’actrice s’est retrouvée au Festival de Cannes pour la deuxième fois de sa carrière. « Espérons que ça continue », soupire-t-elle.

Elle a envie de jouer l'actrice fatale, mais c'est surtout son naturel et son enthousiasme qui la caractérisent. Dans les jardins de Saint-Jacques, le 12 juillet.

Elle a envie de jouer l’actrice fatale, mais c’est surtout son naturel et son enthousiasme qui la caractérisent. Dans les jardins de Saint-Jacques, le 12 juillet.

Paris Match / © Vincent Capman

La femme endormie est bien réveillée. Elle est même hyperactive, et sait où trouver du réconfort quand elle se pousse trop loin : à la maison, dans son foyer qu’elle protège comme une « mère louve ». L’identité de son compagnon, le père de son enfant, est un secret bien gardé… A tel point que le mari se retrouve parfois en présence de personnes commentant les faits et gestes de sa femme actrice sans savoir qu’elles ont face à elles celle qui partage sa vie.

L’isolement en pleine nature, une nécessité

L’instinct de survie : un mot qu’elle ne prend pas à la légère. Quand la vie parisienne devient oppressante, l’actrice part s’isoler loin, au milieu des bois. « Je ne peux que redescendre en vibration comme ça. Seule et heureuse, dans la contemplation. » Un amour de la nature qu’elle espère transmettre à son fils, et qui l’emmènera dans quelques jours en Amazonie. Pour France 5, elle co-réalisera un documentaire sur les femmes qui y luttent pour sauver la planète.

Besoin de lumière pour recharger son énergie.

Besoin de lumière pour recharger son énergie. « Quand j’ai trop donné, je m’isole dans la nature. Cela me recentre et je baisse ma vibration. »

Paris Match / © Vincent Capman

Ses combats, elle les mène aussi et surtout à travers ses rôles. Les violences faites aux femmes et aux enfants, le mouvement #MeToo la touchent particulièrement. Au cinéma, elle a incarné Isabelle Demongeot, une ancienne championne de tennis violée par son entraîneur (« Stolen Service »), une victime de revenge porn (« Mise à nu »), ou encore une mère confrontée au suicide de sa fille adolescente (« Plan B »).

Prête, ou presque, pour l’Amazonie… En août, elle co-réalisera un documentaire sur les femmes engagées dans la lutte contre la pollution du plus grand fleuve du monde.

Prête, ou presque, pour l’Amazonie… En août, elle co-réalisera un documentaire sur les femmes engagées dans la lutte contre la pollution du plus grand fleuve du monde.

Paris Match / © Vincent Capman

Dans « Le Comte de Monte-Cristo », elle a accepté un nouveau défi : se montrer en femme vieillissante. Une demi-heure de maquillage par jour pour lui donner l’air d’avoir vingt ans de plus. « C’était à la fois effrayant et intéressant de voir comment mon visage allait changer. C’est toujours un combat de femme d’accepter la vieillesse. Il y a une bataille à mener, j’espère faire partie du mouvement, être une actrice qui travaille autant à 50 et 60 ans et représenter les femmes de cet âge-là. Elles sont nombreuses et actives, mais on les rend invisibles. »

Pour elle, la beauté n’est pas un chiffre ni une question de rides. Mais d’allure, d’intelligence dans le regard, de curiosité, de vivacité… Qu’elle se rassure, rien de tout cela ne lui manque.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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