Abîme. Cécile de France : « Les chercheurs sont les héros de notre temps de crise »

« Abyss » est une fable écologique, une mise en garde contre les réactions de la nature face au pillage des ressources naturelles. Vous êtes connu pour être soucieux de la préservation de l’environnement (1). Étiez-vous enthousiaste à l’idée de tourner cette série ?
Bien sûr ! J’ai trouvé ce projet fascinant, car il nous interroge sur notre humilité face à l’inconnu et aux mystères de la nature. Sur notre capacité à renouer avec elle. S’émerveiller aussi devant l’immensité, la richesse et la beauté des océans.
Je pense que c’est la clé de notre survie et de celle de la planète. J’ai aussi aimé le fait que les personnages centraux étaient des scientifiques, des amoureux de la nature. Pour moi, ce sont les héros des temps modernes, de notre époque en crise. Ils doivent être des modèles.
La rationalité scientifique est toujours remise en question dans la série. Le comprenez-vous ou êtes-vous un cartésien convaincu ?
J’aime les mystères. Je pense que les êtres humains n’ont pas encore toutes les réponses. C’est bien de poser des questions. Mais cette capacité de raisonnement n’est pas seulement ce qui nous rend uniques. Les êtres humains peuvent également ressentir de l’empathie, y compris pour d’autres espèces. Et nous avons une capacité à collaborer, à chercher ensemble, comme le font les personnages. La coopération est la solution.
On parle dans « Abyss » de partage des ressources naturelles, des savoirs, mais aussi de partage des richesses et des moyens. Il y a cet industriel « vertueux » qui finance une mission scientifique internationale. Le monde serait-il mieux loti si les plus riches dépensaient plus pour sauver la planète ?
Inévitablement. Parce qu’il existe des solutions ! Il faut écouter les scientifiques qui travaillent sur les écosystèmes. En ce qui nous concerne pour les océans, trois facteurs les menacent : la surpêche, le réchauffement climatique et la pollution. Autant de sujets sur lesquels l’homme peut agir.
Les gouvernements doivent arrêter de subventionner les industries polluantes, sanctionner celles qui produisent des déchets, lutter contre la surpêche en créant par exemple des réserves marines qui permettent aux poissons de se reproduire en paix et aux stocks de se reconstituer… Et que les politiques arrêtent de reporter les prises de décision. Ça paraît facile à dire quand on n’est « que » comédienne, mais ça demande du courage, il faut passer à l’action !
C’est aussi ce que dit la série. Nous voyons venir la catastrophe et, si nous ne faisons rien maintenant, nous courons à l’extinction.
Depuis le temps qu’on alerte, on est dans le déni, c’est fou ! Je ne suis pas une militante mais, en tant que citoyenne et mère de famille, je sens que j’ai cette responsabilité, d’alerter à nouveau. Mais je ne suis pas en mission.
Dans la série, Cécile Roche, votre personnage, discute avec l’assistante de Sato, Sara Thompson (Lydia Wilson), de ce que c’est que d’avoir des enfants dans un monde menacé par une catastrophe écologique. Pensez-vous à cela?
Ce sont des questions que tous les parents se posent. Et que les jeunes générations se demandent encore plus. Parce que nous avons grandi avec un autre modèle. Nous étions structurés dans l’idée qu’il fallait fonder une famille.
Les êtres humains ont aussi besoin de cela, de pouvoir compter sur leurs proches. C’est ce qui est beau dans mon personnage, c’est qu’elle est tiraillée entre sa famille et son devoir de scientifique, entre ceux qu’elle aime et la vie de milliards de personnes.
A propos des milliards d’habitants de la Terre, la série interroge justement leur place, celle de l’être humain. Et la découverte des scientifiques remet l’humanité à sa juste place dans la chaîne de l’évolution.
Oui, nous nous sentons toujours comme l’espèce dominante et ultime. Mais ce que nos personnages rencontrent est, en un sens, supérieur. Son existence interroge ce besoin si humain de croire – c’est le sens de la mythologie, de créer des histoires.
L’important est de continuer à croire en l’être humain, il y en a qui font beaucoup de choses pour sauver la planète et l’humanité. Nous devons valoriser leur lutte. »
Cette chose serait comme un dieu vengeur, un dieu protecteur de la nature, une force de bienveillance et d’amour responsable du bien-être des océans… Mais c’est loin d’être manichéen. Car la solution n’est pas forcément de se mettre entre les mains d’une divinité. L’important est de continuer à croire en l’être humain, il y en a qui font beaucoup de choses pour sauver la planète et l’humanité. Nous devons valoriser leur lutte.
Vous partagez l’affiche avec un casting international. Y a-t-il une ambiance particulière sur ce genre de tournage ?
J’ai eu beaucoup de plaisir à les regarder jouer. Alexander Karim, Léonie Benesch, Barbara Sukowa sont des acteurs talentueux, peu connus en France mais stars chez eux. Ils restent très souples à toute modification du texte, ils sont très concentrés, très appliqués, très impliqués. Ce fut très agréable de travailler avec ces grands professionnels.
Les tournages internationaux se déroulent-ils nécessairement en anglais ?
Oui. Sauf pour les scènes entre acteurs français, qui se sont déroulées en français. D’ailleurs, à diverses époques, les Allemands ont une scène en allemand, les Italiens en italien, les Suédois en suédois…
On a l’impression qu’entre toutes ces nationalités, il y a des sensibilités et des grammaires cinématographiques et visuelles différentes, mais qu’un consensus se dégage. Tu l’as senti?
Je trouve que c’est une série très européenne (même si elle est aussi coproduite par Hulu Japan – ndlr), au montage par exemple. Elle prend le temps. On a l’habitude de voir des séries américaines au montage très efficace, qui suscitent immédiatement de l’émotion.
En Europe, on laisse plus de place au spectateur : il doit se positionner. Il y a de l’action, bien sûr, mais elle surgit aussi pour réfléchir. Il a l’impression de construire l’intrigue en même temps que les personnages. C’est un peu l’antithèse du film catastrophe américain.
(1) En 2018, suite à la démission de Nicolas Hulot du gouvernement, elle signe dans « Le Monde » un « appel de 200 personnalités pour sauver la planète ».
Abîme. La critique de la série
Des phénomènes étranges se produisent sur les côtes océaniques. Au Pays basque, des langoustes propagent sciemment un virus mortel, des crabes attaquent les villes côtières du Brésil. Au Canada, des baleines coulent un bateau puis des orques attaquent les survivants et, en mer du Nord, un tsunami suit l’effondrement de plaques sous-marines provoqué par des vers de glace… Chacun de leur côté, des scientifiques du monde entier associent les faits à la réalité. point de se demander si ces attaques ne seraient pas coordonnées. Ecartons d’emblée la thèse (adressée par un personnage) d’un complot : « ils » n’y sont pour rien. Mais « Elle », Mère Nature, rebaptisée Yrr ?
Avec une bande-son déchirante qui peut nous rappeler (de loin) « Jaws », cette série chorale, servie par un panel d’acteurs internationaux (français, allemands, italiens, suédois, japonais, britanniques, etc.) nous ramène à cela peur primale de l’inconnu qui se cache sous la surface. « Abyss » aborde, avec sensibilité mais parfois sans trop de subtilité, l’impact des activités humaines sur les océans. Coopération internationale, la série vise un marché de plusieurs centaines de millions de téléspectateurs. Autant de cibles pour ce message en faveur de la préservation des océans.
A voir sur France 2 à partir du lundi 5 juin à 21h
Grb2