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Abdellatif Jouahri déplore la morosité du marché du travail


Lors du point de presse à l’issue de la troisième réunion trimestrielle de Bank Al-Maghrib, le gouverneur Abdellatif Jouahri a abordé une fois de plus une série de sujets cruciaux liés à la politique monétaire du pays. De la dynamique de croissance des activités non agricoles à la persistance des défis sur le marché du travail, en passant par la prudence requise face aux incertitudes économiques mondiales, ses interventions ont été riches et éclairantes. Jouahri a également mis en avant les actions de la Banque centrale pour soutenir la liquidité bancaire, ainsi que les perspectives d’emprunt international du Maroc, mettant l’accent sur l’importance d’une approche réfléchie dans un environnement en constante évolution.

Bank Al-Maghrib maintient son taux directeur inchangé à 2,75%

Croissance : le gouverneur de Bank Al-Maghrib salue la performance des activités non agricoles

Si la production agricole et la valeur ajoutée demeurent volatiles, soumises à des fluctuations importantes et imprévisibles en fonction des conditions climatiques, la bonne nouvelle est que les activités non agricoles continuent de se redresser. Cette tendance serait soutenue à moyen terme par la relance attendue des investissements. Ainsi, les activités non agricoles devraient accélérer, avec une croissance du PIB de 3,9% prévue pour 2024 et 2025, tirée principalement par l’industrie manufacturière, les mines et le tourisme. Ce taux de croissance serait le plus élevé des cinq dernières années, à l’exception de 2021, où le PIB non agricole a bondi de 6,9%, compensant le recul de 7,1% observé en 2020 en raison des impacts de la crise sanitaire du Covid-19.

En revanche, la valeur ajoutée agricole devrait reculer de 6,9% cette année, selon les nouvelles prévisions de Bank Al-Maghrib, basées sur une production céréalière estimée par le département de l’Agriculture à 31,2 millions de quintaux (MQx). Toutefois, elle devrait augmenter de 8,6% en 2025 sous l’hypothèse d’un retour à une récolte céréalière moyenne de 55 MQx. Il convient de rappeler que la valeur ajoutée agricole, très dépendante des conditions climatiques, a bondi de 19,5% en 2021, après une baisse de 8,1% en 2020, puis a reculé de 11,3% en 2022 avant de croître modestement de 1,4% en 2023.

Ainsi, après une accélération à 3,4% en 2023, la croissance économique globale du Maroc devrait ralentir à 2,8% cette année, avant de rebondir à 4,4% en 2025.

Le marché du travail reste le point noir

Au Maroc, le problème de l’emploi est plus aigu. En effet, le chômage a atteint 13,1% au niveau national au deuxième trimestre, un niveau deux fois plus élevé que la moyenne de la zone euro (6,5% en juin) et trois fois celui des Etats-Unis (4,1%). Pour Jouahri, ce problème touche particulièrement les jeunes, principalement la tranche d’âge de 15 à 24 ans, dont le taux de chômage est globalement de 36,1% et en milieu urbain autour de 48,8%. Selon lui, ces constats sont également observés dans de nombreux pays émergents et en développement. Toutefois, si l’économie nationale a subi une perte de 82 mille emplois au deuxième trimestre 2024, exclusivement en milieu rural, suite à la baisse de l’activité agricole, le Wali de Bank Al-Maghrib estime que la solution ne réside pas dans la politique économique. Selon lui, le problème nécessite des réformes structurelles majeures. Les politiques publiques doivent, en effet, contribuer à préparer les jeunes au marché du travail en améliorant la qualité de l’éducation et de la formation, et plus généralement en investissant dans le capital humain, en mettant l’accent sur l’encouragement de l’entreprenariat. A cet égard, le gouverneur de la Banque centrale a souligné la pertinence des programmes ciblés pour les jeunes, tels qu’Intelaka et Forsa. Il a toutefois précisé que les bénéfices de ces initiatives, qui nécessitent un soutien accru, ne se feront sentir qu’à long terme. Jouahri reconnaît également que la compréhension de l’évolution des marchés du travail devient de plus en plus complexe, en raison des profondes transformations que connaît le monde. L’accélération de la transition numérique, notamment, accroît les exigences pour accéder à l’emploi.

Taux directeurs : face aux incertitudes, BAM a le devoir de prudence

Pour Jouahri, une banque centrale responsable doit faire preuve de prudence dans sa politique monétaire, surtout en cette période de forte incertitude. « Nous sommes considérés comme très conservateurs, mais les gens peuvent penser ce qu’ils veulent. Nous essayons d’approfondir l’analyse autant que possible, car nous ne pouvons pas prendre des décisions sur un coup de tête. Si le Conseil a jugé opportun de maintenir le taux directeur inchangé à 2,75%, il suit de près l’évolution de la situation économique et sociale. Nous décidons trimestriellement de l’orientation de la politique monétaire, et d’ici décembre, nous examinerons la situation », a-t-il souligné. « Il y a des éléments visibles et invisibles. Aujourd’hui, il y a beaucoup de facteurs invisibles, qui ont conduit le Conseil à cette décision. Je préfère encore faire preuve de prudence pendant trois mois et observer comment les choses vont évoluer pour être plus justifié dans la prise de décision », a ajouté le patron de la Banque centrale. Par ailleurs, plusieurs éléments doivent être suivis de près, notamment les négociations dans le cadre du dialogue social, qui pourraient avoir des impacts plus importants que prévu sur l’évolution de la demande et des prix. A cela s’ajoutent les incertitudes liées aux tensions géopolitiques internationales, qui pourraient accroître l’inflation sur les produits énergétiques.

Le soutien de BAM aux besoins de liquidités pour stimuler l’investissement

Concernant la contribution de la Banque centrale au soutien des projets économiques générateurs de croissance et d’emplois, Abdellatif Jouahri a affirmé que l’institution est prête à fournir davantage de liquidités aux banques, malgré le maintien du taux directeur, si cela permet de stimuler les investissements. « Si les banques expriment des besoins de financement des investissements, la Banque centrale leur accordera les montants nécessaires », a-t-il assuré.

Par ailleurs, le besoin de liquidité des banques est passé de 111,6 milliards de DH en moyenne hebdomadaire au premier trimestre 2024 à 113,8 milliards au deuxième trimestre. Ainsi, Bank Al-Maghrib a accru ses injections à 128,2 milliards de DH, après 123,9 milliards. Le besoin de liquidité des banques a encore augmenté pour atteindre 129,4 milliards en moyenne en juillet et août. La Banque centrale a ainsi augmenté le montant de ses injections à 128,2 milliards puis à 143,3 milliards respectivement. « Actuellement, nous accordons 151 milliards de DH. Si le besoin atteint 200 milliards, nous sommes prêts à satisfaire pleinement cette demande pour soutenir le financement de l’économie », a précisé la Banque centrale, réaffirmant son engagement à ajuster ses interventions en fonction des besoins croissants de liquidité des banques. Les montants que les banques peuvent obtenir auprès de la Banque centrale, en fonction des garanties qu’elles offrent sous forme de portefeuille, peuvent aller jusqu’à 400 milliards de DH. Selon les nouvelles prévisions de BAM, le déficit de liquidité bancaire devrait se creuser pour atteindre 146,6 milliards en 2025.

Les besoins en liquidités augmentent en raison de l’expansion de la monnaie fiduciaire

Si le besoin de liquidité bancaire ne cesse de croître, c’est essentiellement en raison de l’expansion de la monnaie fiduciaire. Selon les données présentées par Jouahri, le cash représente 28% du PIB au Maroc, un niveau très élevé même par rapport aux pays comparables où environ 30% de l’économie est informelle. A titre de comparaison, en Egypte, la circulation monétaire ne représente que 12% du PIB, alors qu’au Kenya elle n’atteint que 2%. Le Kenya a réussi à limiter l’utilisation du cash grâce au mobile banking, tandis qu’en Egypte, les autorités ont mis en place des mesures importantes pour faire face à ce problème. Pour le Maroc, le Wali de BAM a indiqué qu’une étude complète et approfondie a été lancée pour faire le point sur la situation et proposer des solutions appropriées.

Transférabilité des créances impayées : Le projet est finalisé

Bank Al-Maghrib a contribué, dans le cadre d’un comité interinstitutionnel piloté par le Secrétariat général du gouvernement, aux travaux de mise en place d’un marché secondaire des créances en souffrance. Son objectif est de faciliter la gestion et la réduction du portefeuille de ces créances portées par les établissements de crédit et d’accroître leur capacité à financer l’économie. Ces travaux ont abouti à l’élaboration d’un projet de réforme, relatif à la transférabilité des créances en souffrance, en concertation avec les parties prenantes concernées. Selon Jouahri, le projet est finalisé et sera bientôt transmis au Chef du gouvernement afin qu’il soit inclus dans le processus d’adoption.

Le Maroc attend le bon moment pour obtenir des financements internationaux

Concernant le délai mis par le Maroc pour se financer sur les marchés extérieurs, le gouverneur de la Banque centrale estime que la sortie du Trésor sur le marché international dépend de plusieurs facteurs, dont ses besoins de financement et des conditions favorables sur les marchés financiers. A ce propos, Jouahri estime que ce délai est bénéfique pour le pays, compte tenu de la tendance actuelle à l’assouplissement monétaire et à la baisse des taux directeurs à l’échelle internationale. « Plus les taux sont bas, plus c’est avantageux pour le Maroc », a-t-il indiqué. En effet, les récentes baisses de taux décidées par les banques centrales, dont la BCE et la FED, devraient se poursuivre jusqu’à la fin de l’année et au cours de l’année prochaine, selon les projections des marchés internationaux. Dans ce contexte, le Maroc attend le moment opportun pour réaliser cette opération. Par ailleurs, la ligne de crédit flexible (LCM) accordée par le FMI renforce la position du pays pour obtenir les meilleurs taux lors de sa sortie des marchés internationaux. Jouahri a également rappelé que l’agence de notation Standard & Poor’s a relevé la perspective de la note de la dette souveraine du Maroc de « stable » à « positive », notamment à la lumière de l’amélioration des réformes socio-économiques et budgétaires. Le gouvernement bénéficie également de l’expertise de consultants et de banques spécialisées pour déterminer le timing et le volume optimal de cette opération.

Société Générale Maroc : Approbation imminente d’une nouvelle licence

Le dossier de demande d’un nouvel agrément pour la Société générale de banque du Maroc (SGMB) est dans sa phase finale. « Pratiquement, nous avons finalisé l’examen du dossier. Nous allons probablement programmer une réunion du comité des établissements de crédit, en format restreint, vers la mi-octobre. Avant la fin de l’année, tout sera ficelé pour valider l’opération d’achat », a annoncé le Wali de Bank Al-Maghrib. Pour rappel, en avril dernier, le groupe Société Générale avait signé deux contrats de cession avec le groupe Saham, soumis à l’approbation des autorités compétentes, en vue de céder la Société générale de banque du Maroc et ses filiales, et La Marocaine Vie. La transaction se ferait au prix de 745 millions d’euros.

lematin

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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