Nouvelles locales

À Saint-Louis-Lès-Bitche, les souffleurs de verre de la plus ancienne cristallerie de France transforment la matière en chefs-d’œuvre


L’objet trône peut-être encore sur une cheminée du palais de Buckingham ou du château de Windsor. Orné du profil d’Elizabeth II sur fond turquoise, ce sulfure, objet en cristal dense à la fonction importante de presse-papier, fut offert en 1953 à la reine d’Angleterre, à l’occasion de son couronnement, par la cristallerie Saint-Louis. L’établissement, fierté de la Lorraine, remettait ainsi au goût du jour un accessoire de bureau qui avait connu son heure de gloire au milieu du XIXe siècle. Et il complétait le cercle royal.

Car c’est Louis XV qui, en 1767, accorde le statut de verrerie royale à la manufacture de Münzthal, établie près de deux siècles plus tôt à Saint-Louis-lès-Bitche, un village (600 habitants aujourd’hui) niché au creux d’une vallée glaciaire de la Moselle que les hommes ont su dompter. L’établissement dispose de tous les ingrédients nécessaires à l’alchimie du verre à proximité : du sable siliceux extrait des rivières, du bois des forêts pour alimenter les fourneaux, et des fougères qui, séchées, fournissent de la potasse…

Vosges : nos plus belles balades pour les amoureux de la nature

En 1781, les maîtres verriers découvrent un secret jusque-là jalousement gardé par les Anglais : l’ajout d’oxyde de plomb transforme le verre en cristal, plus translucide, plus fin et, en même temps, plus malléable et plus résistant. Depuis, ils produisent des vases, des carafes, des flûtes, des verres à pied, des candélabres, des objets décoratifs et des arts de la table d’exception – dont le célèbre modèle Trianon qui, dans les années 1960, décora la table du général de Gaulle à l’Élysée…

Pour se rendre à la Cristallerie royale de Saint-Louis, comme elle fut rebaptisée en 1829 avant de laisser tomber l’estampille monarchique, il faut suivre une route bucolique qui serpente dans une forêt d’épicéas à la sortie du village de Saint-Louis-lès-Bitche. Propriété du groupe Hermès depuis 1995, la manufacture emploie aujourd’hui 300 personnes, dont 250 verriers, souffleurs de verre, graveurs, tailleurs, décorateurs, etc., dont plusieurs ont été récompensés du prestigieux titre de Meilleur Ouvrier de France.

Aucune école n’enseigne ces gestes ultra-précis.

Ange Maurer, 35 ans, a obtenu cette reconnaissance l’an dernier. Il est désormais affecté à l’atelier des fameux presse-papiers, qui restent l’un des incontournables de Saint-Louis. « J’ai la chance de créer des pièces uniques », avoue-t-il. Sa passion pour son métier illumine son regard. Le garçon du pays a rejoint la cristallerie à 16 ans, comme apprenti. « Je venais de passer mon CAP de verrier, raconte-t-il. J’ai commencé par un stage de six mois en tant que souffleur de verre. Depuis, je façonne de nouveaux objets, des motifs, des couleurs, des formes innovantes. Je ressens cette magie chaque matin en prenant mon poste dans cette grande maison. » Aucune école n’enseigne les gestes extrêmement précis nécessaires pour créer les parterres de millefiori, façonner les décors au chalumeau, avant de les enduire à chaud de couches successives de cristal sulfuré. « C’est une question de souci du détail, explique Ange Maurer. On apprend sur le tas. Certains y parviennent, d’autres n’y arrivent jamais. »

Les maîtres du cristal ont longtemps jalousement gardé leurs secrets de fabrication, travaillant à l’abri des regards indiscrets. Aujourd’hui, depuis la Grande Place, le musée installé au cœur de la manufacture, une fenêtre donne directement sur les ateliers et des passerelles aériennes permettent de déambuler pour observer la dextérité des artisans. Dans la grande salle, comme on appelle l’atelier de fabrication « à chaud », les gigantesques fourneaux rugissent tant bien que mal et ne s’arrêtent jamais. Dans le fourneau, les magiciens du cristal exécutent une valse millimétrée autour de la matière en fusion, un corps de ballet aux gestes sûrs, répétés, transmis de génération en génération, sans jamais se gêner, sans jamais se toucher. L’ambiance est brûlante, le corps à corps difficile avec la pâte rougeoyante, lourde, pesante, et le temps presse, car le cristal se fige au contact de l’air.

Un lieu où souffle l’esprit d’innovation

Depuis plus de quatre siècles, la cristallerie ne cesse d’innover et de varier sa production. Elle attire de grands artistes, comme le graveur prussien Henri Winkler, formé en Bohême au XIXe siècle, et le souffleur de verre catalan Juan Sala, qui sculpta des vases et des verres Art Déco au XXe siècle.

Au tournant du XXIe siècle, la maison fait appel à des designers de renom, comme les Français Noé Duchaufour-Lawrance et Ionna Vautrin, pour concevoir des luminaires. Lampes, lustres et suspensions représentent aujourd’hui 60% de sa production, exportée dans le monde entier. Aujourd’hui, la cristallerie de Saint-Louis s’efforce également de répondre aux défis environnementaux de notre époque. De quoi croire en un avenir étincelant…

Un cristal toujours aussi pur et en prime… moins polluant

Afin de limiter son impact sur la nature, la cristallerie de Saint-Louis a installé en 2015 des jardins filtrants où iris, roseaux, joncs, salicaires et menthes aquatiques piègent les polluants rejetés par son activité.

Autre engagement écologique : « Réduire nos émissions de CO2 de 75 % », promet Jérôme de Lavergnolle, PDG depuis 2010. Pour y parvenir, depuis deux ans, son four à bassin – qui produit le cristal – brûle un mélange de gaz et d’oxygène, avec une réduction de 40 % des émissions de CO2. Un deuxième four, électrique, sera bientôt mis en service.

Tout proche de Saint-Louis-Lès-Bitche

Il faut descendre 145 marches pour découvrir ce fort de la Ligne Maginot, gardien du plateau du Rohrbach, à quelques kilomètres de la frontière allemande, constitué de trois blocs et d’une ville souterraine à 25 m sous terre. Des bénévoles entretiennent le site et organisent des visites.

fortcasso-maginot.com

  • Le site de la verrerie de Meisenthal

Centre de recherche et musée, cette ancienne verrerie est le complément idéal d’une visite de la cristallerie Saint-Louis. A voir : la collection du célèbre Émile Gallé, pionnier de l’Art Nouveau.

site-verriermeisenthal.fr

La visite des souterrains de ce vaisseau de pierre et de son musée offre une plongée dans l’histoire de la guerre de 1870. Profitez du panorama sur la région depuis le plateau supérieur et les Jardins de la Paix, au pied de la citadelle.

citadelle-bitche.com

➤ Article publié dans le Magazine GEO n°547, L’Egypte réveille ses pharaons, à partir de septembre 2024.

➤ Vous êtes déjà un fidèle adepte du contenu GEO ? Alors pour ne rien rater, découvrez nos formules abonnement pour recevoir GEO chez vous chaque mois en toute simplicité.

GrP1

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
Bouton retour en haut de la page