Élu démocratiquement en octobre 2019, Kaïs Saïed assure la présidentielle de dimanche.
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En Tunisie, l’élection présidentielle du dimanche 6 octobre est jouée d’avance. Le sortant Kaïs Saïed, au pouvoir depuis 2019, a œuvré à concentrer tous les pouvoirs. Il élimine méthodiquement toute forme d’opposition et met la justice au pas. Une dérive autoritaire qui laisse les Tunisiens désillusionnés alors que la majorité d’entre eux sont avant tout préoccupés par leur survie économique.
Dans la commune de l’Ariana, au nord de Tunis et plus particulièrement dans le quartier défavorisé d’Al Mansoura. Sur le trottoir défoncé, à l’entrée d’une petite épicerie, ils sont cinq ou six à tuer le temps avant la prochaine descente de police.
Parmi eux, Wael ne connaît qu’un seul candidat à la présidentielle : « Kaïs Saïed, et c’est tout ! Comme beaucoup ici, il ne sait pas qui sont les deux candidats de l’opposition qui ont survécu à la chasse aux sorcières menée par le pouvoir.
Il faut dire que l’un d’eux est en prison, condamné à douze ans pour falsification de parrainages. Et que personne n’a fait campagne : pas de meetings, pas de débat à la télé, pas d’affichage… Wael fait partie de ceux qui ont voté pour Kaïs Saïed en 2019 mais qui ne croient plus au redressement du pays. À deux reprises, il a pris la mer clandestinement pour tenter de vivre en Italie. A deux reprises, il a été arrêté et ramené en Tunisie : « Quand nous revenons, ils font une enquête de sécurité puis ils nous renvoient dans nos quartiers. Mais que pouvons-nous faire ? Il n’y a pas de travail ici ! Nous tombons dans la dépression ou avons des crises et nous attendons de partir. Pourquoi ne nous propose-t-on rien ? C’est un problème que Kaïs Saïed ne veut pas voir.» En cinq ans, tout s’est dégradé : pénurie alimentaire, inflation, chômage à 16 %.
Un peu plus loin dans la même rue, Moez, la cinquantaine, survit en vendant des sodas et des friandises. Il ne digère toujours pas le refus de la banque à laquelle il a demandé un prêt de 2 000 euros pour démarrer son activité : « Kaïs Saïed est dans sa tour d’ivoire, il essaie de corriger certaines choses, mais nous ne sommes pas concernés ! Si je vote, ma situation va-t-elle s’améliorer ? Je ne pense pas… Nous vivons en marge de la société, personne nous aide Ma mère doit avoir une prothèse de genou mais lorsqu’elle s’est adressée au Fonds de Solidarité Sociale, ils lui ont donné 1 000 dinars, alors que l’opération coûte 12 000 dinars. Nous sommes marginalisés et nous sommes fatigués.
Les habitants d’Al Mansoura ne s’intéressent plus à la politique. La majorité ne votera pas. Lors des dernières élections, l’abstention dans tout le pays avait déjà frôlé les 90 %.
Surtout, Kaïs Saïed a muselé toutes les voix critiques. En un seul mandat, il a remodelé l’Assemblée, voté une nouvelle constitution, mis la justice au pas et méthodiquement étouffé tous les contre-pouvoirs… Hamma Hammami, qui dirige le parti des travailleurs, parle de lui comme du nouveau dictateur de la Tunisie : « Kais Saïed a fait passer la Tunisie d’un système politique démocratique libéral, fruit d’une véritable révolution populaire, à un autre système politique basé sur le pouvoir despotique d’un seul homme. Il faut voir les conséquences, le nombre de détenus politiques que nous avons actuellement. «
« J’ai vécu l’étape Bourguiba, l’étape Ben Ali mais on n’a jamais eu autant d’avocats en prison ni autant de journalistes en prison. »
Hamma Hammamisur franceinfo
La plupart des opposants politiques s’autocensurent. Faouzi Cherfi est le secrétaire général du parti social-démocrate Al Massar : « Nous sommes toujours sous l’observation et le contrôle du pouvoir actuel, ce qui fait que nous pouvons parfois être arrêtés même pour une simple déclaration à un média étranger. Je prends des risques en parlant à votre micro car on pourrait très bien me dire que je porte atteinte à l’image de la Tunisie à l’étranger, que je porte atteinte à la souveraineté de la Tunisie. C’est un voile de plomb qui s’abat sur la Tunisie. et il est absolument essentiel que nous essayions de lever cette avance pour remettre la transition démocratique sur les rails dont elle n’aurait jamais dû sortir. »
Pour discréditer cette élection, qu’ils considèrent comme une mascarade, cinq partis d’opposition ont appelé, jeudi 3 octobre, au boycott du vote.