A Orly, le départ d’Air France est douloureux : « Les collègues pleurent quand on en parle »
Air France et Orly, c’est bientôt fini. Le départ de la compagnie française de l’aéroport du sud parisien avait été annoncé en grande pompe cet automne. Pourtant, depuis… plus rien. Ou presque. Pas de manifestations du personnel, juste une petite mobilisation devant Orly 3 en novembre.
La décision a semblé passer comme une lettre à la poste. Air France cessera de relier Nice, Marseille, Toulouse et les Antilles depuis Paris-Orly. Seule la Corse subsistera, sous délégation de service public. Le désengagement débutera en 2024, se poursuivra en 2025 et s’achèvera en 2026. La fin d’une histoire commencée en 1958.
Des vols intérieurs « structurellement déficitaires »
Les vols intérieurs sont considérés comme « structurellement déficitaires » par la compagnie (« 250 millions d’euros de pertes en 2019 » hors Roissy). Ils seront transférés vers l’aéroport Charles-de-Gaulle, promet Air France, premier employeur privé d’Île-de-France. Les créneaux libérés seront repris par Transavia, filiale low cost du groupe, mais pas forcément leurs destinations.
Certains élus ont publiquement exprimé leur inquiétude à ce sujet, comme le sénateur du Val-de-Marne, Pascal Savoldelli (PCF) ou le député de Nice Éric Ciotti (LR). Ils ont tenté de faire bouger les choses afin de préserver les 1 200 salariés concernés et le service de leurs territoires, en vain.
Mais le calme apparent se fissure en ce début d’été, alors que se préparent les transferts vers Roissy. Deux préavis de grève sont déposés la semaine prochaine, par le syndicat minoritaire des pilotes Alter, du lundi 22 au jeudi 25 juillet, et par la CGT du personnel navigant (PNC), du mardi 23 au lundi 29 juillet, au début des Jeux olympiques et en pleine période de départs en vacances. Air France prévoit d' »assurer l’intégralité de son programme de vols » et Alter appelle à manifester lundi 22 à 15 heures devant Orly 3 et la sortie 1 de la ligne 14 du métro.
Selon nos informations, l’accord proposé par la direction vient d’être rejeté par les représentants des 450 hôtesses et stewards d’Orly. La CGT PNC dénonce « le mépris du court-courrier par la présidence anglo-saxonne, qui ne fait que reproduire ce qu’elle a déjà fait avec le court-courrier ». (leur) « cousins d’Air Canada et d’Air Canada Rouge », et le « dumping social » qui « transfère tout à des prestataires sous-qualifiés et sous-payés ».
Un accord forcé ?
Air France est parvenue à obtenir la signature du syndicat majoritaire des pilotes de ligne SNPL, dont le feu vert était juridiquement nécessaire pour lancer l’abandon d’Orly. Mais l’accord ne s’est pas conclu sans difficultés. « Le SNPL aurait dû signer en février-mars. Or, il vient à peine de le faire. Et en interne, certains adhérents désapprouvent », assure un commandant de bord. Contacté, le SNPL indique « ne pas avoir de disponibilité » pour nous répondre « pendant cette période estivale chargée ». Une cinquantaine de pilotes de la compagnie sont basés à Orly.
Le personnel au sol (près de 600 mécaniciens, agents de piste, etc.) a rapidement validé le texte après avoir obtenu une indemnisation. « Chaque salarié concerné a déjà pu être reçu afin d’examiner les solutions possibles au regard de sa situation personnelle », confirme la direction, qui évoque par exemple « la prise en compte d’une distance aménagée entre le domicile et le lieu de travail ».
Les transferts sont prévus en mars 2025 et mars 2026 pour le personnel au sol, et à partir du 1er avril 2026 pour le personnel navigant, a annoncé la compagnie. Mais les langues commencent à se délier sur les conséquences d’un tel départ. « Pour me rendre à Roissy, il me faudra jusqu’à trois heures contre quinze à trente minutes pour Orly », précise Philippe* (les noms ont été modifiés)un steward habitant dans l’Essonne. « Je m’en sortirai parce que j’ai une moto », assure un collègue. Des primes de déménagement ont été mises sur la table.
« Des mesures de soutien mises en place »
« Cela va nous rajouter deux heures à l’aller et deux heures au retour », prévient Hélène*, hôtesse installée dans le sud de l’Île-de-France. « Nous avons nos logements, nos enfants vont à l’école ici… Et nous adorons travailler à Orly, un petit aéroport familial, facile d’accès, fluide. Roissy est comme une usine, une grosse machine impersonnelle, il y a souvent des retards, tout y est plus compliqué. »
Une autre hôtesse, abattue, a décidé de partir en retraite plus tôt que prévu. « Les collègues pleurent quand on en parle, l’une d’elles est dévastée car elle vient d’acheter sa maison au sud d’Orly »…, énumère Bertrand*, steward depuis près de vingt-cinq ans.
« La direction d’Air France est pleinement consciente des contraintes que peuvent entraîner ces mobilités », a-t-elle répondu. « Dès l’annonce en octobre 2023, des mesures d’accompagnement collectives et individuelles ont été mises en place » : études préalables avec la médecine du travail, plan de prévention des risques psychosociaux, permanence d’un psychiatre, équipes managériales et médico-sociales renforcées, etc.
« Je pensais que cela n’arriverait jamais »
« Je pensais qu’un tel départ n’aurait jamais lieu, confie Pierre*, mécanicien aéronautique sur les pistes. Je suis dégoûté. Seuls 12 % de mes collègues sont d’accord pour aller à Roissy, 20 % se disent indécis, tous les autres, moi y compris, ont dit non. Le départ négocié a été refusé car il s’agit officiellement d’une mutation professionnelle. »
Beaucoup voient dans ce départ « une erreur stratégique d’Air France, une catastrophe industrielle qui met en péril l’entreprise », prévient le syndicat Alter, pointant du doigt un « PDG (Ben Smith) « recherchant une rentabilité élevée à court terme. »
Les pertes évoquées sont « difficiles à vérifier », selon Alter, qui parle plutôt de 40 millions d’euros et décrit un « déficit largement absorbable par les milliards de bénéfices ». « Pour la première fois depuis plus de vingt ans, mon programme de vols pour l’été 2024 est particulièrement léger, s’attriste une hôtesse de l’air. D’habitude, l’été à Orly, on est à pleine capacité… »