à Nantes, le cri de détresse des habitants d’un quartier en proie au trafic de drogue

L’emplacement n’a pas été choisi au hasard. C’est au pied d’une tour, connue pour abriter un gros point de vente, qu’environ 150 participants se sont retrouvés en ce mardi hivernal dans les quartiers nord de Nantes. « Non à la violence. Non aux rodéos. Oui à la tranquillité »peut-on lire sur plusieurs panneaux. Organisée par un collectif d’habitants, réunissant également commerçants et agents du service public, la manifestation vise à dire qu’il faut mettre fin au trafic de drogue.

Le problème ici n’est pas nouveau. En 2023, la mairie annexe de Nantes Nord a par exemple été incendiée lors des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. Cependant, le périmètre est devenu récemment un terrain de jeu particulièrement apprécié des trafiquants. Le mois dernier, il ne s’est pas passé une semaine sans que des coups de feu ne retentissent ou qu’une bagarre n’éclate. « Parfois on ne sait pas si c’est une balle ou un pétard »confie un manifestant, sous couvert d’anonymat, comme la plupart des personnes rencontrées, par crainte de représailles.

Peur d’une balle perdue

« Il faut sortir, aller à la boulangerie, à l’épicerie, sans avoir peur de se faire tirer dessus. »s’exclame au micro une femme membre de l’association Casse Ta Routine, dédiée à l’accompagnement social. « Mon inquiétude aujourd’hui, c’est qu’on se retrouve avec un mort »prévient-elle. En 30 ans, elle n’a jamais vu la violence augmenter autant. « Aujourd’hui, il faut se réapproprier l’espace public »» clame-t-elle, sous un tonnerre d’applaudissements. « Le quartier nord de Nantes ne sera pas englouti par le deal »soutient Pascal Bolo, élu à la mairie de Nantes. Dans la foule, socialistes et écologistes sont présents. « Nous n’abandonnons pas. Cela prendra le temps qu’il faudra. Je ne vous dis pas que demain ce sera résolu, mais nous gagnerons cette bataille. »assure le député. « Nous continuerons à faire ce que nous pouvons faire. D’abord en veillant à ce que les services publics restent dans le quartier et à la disposition des habitants. »promet-il, tout en saluant les dispositifs de vidéosurveillance.

Mais, derrière ces discours politiques de soutien, l’espoir d’un retour à une vie apaisée reste faible. « Rien ne va changer. Ce n’est pas un rassemblement qui fera quoi que ce soit.soupire une mère de quatre enfants. D’origine musulmane, elle décrit un « rassemblement de bobos » OMS « n’est pas représentatif ». Déçue, elle s’attendait à voir plus de monde. Elle se dit choquée par l’âge des trafiquants : l’autre jour, des jeunes de 12 ans ont été repérés. « Ils agissent sous nos yeux. On voit où ils cachent leur merde »ajoute une de ses amies. Mère de deux enfants, elle évite au maximum de se rendre au pied de la tour et a demandé une dérogation pour que sa fille ne fréquente pas le collège de secteur l’année prochaine.

Je ne sors plus seul de la maison

Monique, une habitante du quartier

« Je ne sors plus seul de la maison. Mes enfants viennent me chercher »confie Monique, arrivée ici en 1984. « Il y a 40 ans, c’était un très bon secteur »se souvient la retraitée, qui a récemment eu la frayeur de sa vie après avoir été suivie par un jeune homme. « Il ne reste plus rien. Seule la pharmacie est ouverte.dit-elle à propos de son lieu de vie. « Arrêtons cette bande de salauds. Laissez-les aller travailler »elle glisse à la fin de l’échange, s’éclipse pour revenir avant la nuit.

A 39 ans, une autre femme confie qu’elle souffrait de dépression et qu’elle consulte toujours un psychologue. La mère n’a d’autre choix que de vivre avec des trafiquants qui habitent au même étage qu’elle. Après leur avoir demandé d’arrêter de fumer par respect pour son enfant asthmatique, « Ils m’ont fait trébucher »raconte-t-elle, portant un voile bleu sur la tête. Parfois ils lui disent « Vous jouez avec Gaza » quand elle leur donne une pensée, tandis que « ça n’a rien à voir ». Problème : ces jeunes investissent aussi les cours de récréation, où elle n’ose plus emmener ses petits. « Pensons à autre chose »propose-t-elle, désireuse que le problème, encore insoluble, s’arrête.

« Nous avons fait preuve de gentillesse, mais ils ont tout pris en main »constate-t-elle avec amertume, constatant aussi que ces trafiquants jouent sur leur âge pour échapper aux sanctions. « Moi, si mon fils faisait ça, je serais prêt à me faire virer de chez moi »dit-elle. «C’est de pire en pire. Nous avons besoin de choses radicales maintenant ». Auparavant, au centre-ville, elle se sentait plus en sécurité. Comme beaucoup, elle n’a d’autre choix que d’y vivre. « Quand on voit le prix des appartements plus loin, ce n’est pas dans notre budget »confirment deux septuagénaires voisines, dont le bâtiment est situé à 300 mètres. « Si on reste là, c’est parce qu’il y a des raisons »concluent-ils, toujours relativement sûrs par rapport aux autres. Subissant encore le bruit des rodéos et des balles, ils espèrent que le territoire des trafiquants ne s’étendra pas jusqu’à leurs maisons.