Mercredi dernier, 9 heures du matin, dans un hôtel parisien. Devant son café, Artus a l’air en forme malgré des nuits trop courtes. La veille, il était à Montpellier pour porter la flamme olympique – « Rien de spectaculaire. J’ai marché 200 mètres avec un gros match. » Mercredi, il sera à Cannes pour gravir les marches du Festival avec l’équipe deUn petit quelque chose en plus, tourné avec 11 comédiens amateurs handicapés mentaux et une poignée d’acteurs professionnels (Clovis Cornillac, Alice Belaïdi, Marc Riso). Une forme de consécration qui s’est accompagnée d’une polémique provoquée par le refus des grandes marques de luxe d’habiller l’heureuse petite troupe. « Je pense qu’il est toujours plus élégant pour une marque d’habiller Brad Pitt que d’habiller Artus et encore plus les acteurs handicapés », a déploré l’humoriste sur France Inter.
La « porte des combinaisons » est lancée. Dans la foulée, le petit monde du luxe s’empresse d’éteindre l’incendie, de Dior à Lacoste en passant par Ralph Lauren. « On met le nez dans leur caca, toutes ces marques qui prônent le vivre ensemble dans de très belles chartes sur l’inclusion », rit Artus. Selon nos informations, un échange dimanche dernier entre Artus et Aurore Bergé, ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et des hommes et de la Lutte contre les discriminations, aurait débloqué la situation, avec l’entrée en jeu du groupe Kering de François-Henri Pinault (Gucci , Saint Laurent, Balenciaga…).
Marques et grands producteurs se mordent désormais les doigts de ne pas avoir vu venir cette star du box-office. Avec plus de 2 millions d’entrées, son film s’est imposé comme le plus gros succès français depuis la pandémie après Alibi.com 2 (2023) et Astérix et Obélix – L’Empire du Milieu (2023). Un spectateur sur trois est allé voir le film dès la première semaine. La deuxième semaine, Un petit quelque chose en plus même dépassé La planète des singes – Le Nouvel Empire avec 992 121 spectateurs. « Nous avons rencontré beaucoup de refus de la part des producteurs. L’un d’eux m’a même dit : « On sait qu’ils existent, on ne va plus les montrer. » Mais plus les gens me disaient non, plus j’avais envie de le faire. » souligne Artus, dont le film sera à terme produit par Cine Nomine.
Il est d’accord, « aller mieux serait compliqué ». Au lendemain d’une tournée triomphale avec son One man show (100 000 places vendues entre janvier et avril), l’humoriste titulaire d’un baccalauréat professionnel cuisine fait une entrée fracassante en tant que réalisateur, après avoir démontré son talent d’acteur dans Le Bureau des Légendes et une vingtaine de comédies. Il a été touché par les messages envoyés par Gilles Lellouche, Pierre Niney, Gérard Jugnot, Jean Dujardin… « Patrice Leconte m’a même écrit « bienvenue dans la famille ». » Avec son intrigue aussi simple qu’astucieuse – un père (Clovis Cornillac) et son fils (Artus) braquent une bijouterie, puis s’écrasent sur un bus de jeunes trisomiques et autistes – et son budget raisonnable (6 millions d’euros) , le film cartonne aussi bien dans les grands centres urbains que dans les villes de moins de 5 000 habitants.
La clé de son succès ? «Il en faudrait beaucoup pour le comprendre» sourit Artus, qui se réjouit de voir, lors des projections, « Des personnes âgées, des jeunes, des parents traînés par leurs enfants, des blancs, des noirs, des juifs… Le film arrive à point nommé car les temps sont tellement stressants. » Dans une société plus polarisée que jamais, Un petit quelque chose en plus fédère autour de l’acceptation de la différence, considérée comme un atout et non une menace… « Au début, j’avais peur que les acteurs soient utilisés comme animaux de spectacle. J’ai été rapidement rassuré, » confirme Daniel, un retraité suisse en vacances, en sortant d’une chambre parisienne. Ils ont tous de fortes personnalités, du talent et de vrais rôles. » Côté associatif, l’accueil est également positif. « J’ai trouvé le film bienveillant et profondément humain, même s’il évoque plus qu’il ne montre la dure réalité du quotidien des personnes handicapées mentales, assure Luc Gateau, président de l’Unapei (Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés). C’est une bulle, un feel-good movie, et c’est très bien. »
Et si l’autre clé du succès résidait aussi dans l’appétit du public pour les films abordant le handicap ? Les patients (2016) de Grand Corps Malade, Exceptionnel (2019) du tandem Nakache-Toledano, Tout le monde debout (2018) de Franck Dubosc n’ont-ils pas allègrement dépassé le million d’entrées ? Sans oublier La famille Bélier (2014, 7 millions) et Intouchables (2011, 19 millions). Des œuvres plus confidentielles ont également rencontré leur public : Monsieur je sais tout sur l’autisme (2018, 400 000 entrées), De toutes nos forces avec Jacques Gamblin (2013, 650 000 entrées). « Ce thème est moins repoussant, car il est de mieux en mieux traité au cinéma et véhicule finalement des valeurs universelles », souligne Julien Richard-Thomson, président du Syndicat des professionnels du cinéma handicapés (SPCH).
Artus confie avoir été touché par la question du handicap dès son enfance. Une rencontre en classe avec Victor, autiste : « Je l’aimais tellement. Je l’ai invité à mon anniversaire. Sa mère m’avait appelé pour être sûre qu’on n’allait pas se moquer de lui. Ce jour-là, j’ai compris que le handicap pouvait, pour certains, être un problème. » L’humoriste prendra du temps avant d’aborder le sujet sur scène. En 2019, lors du Montreux Comedy Festival, il faisait onduler la salle avec son sketch Handisportun pic d’humour trash… « J’étais persuadé que j’allais me faire prendre sur les réseaux sociaux. Le lendemain, la vidéo était en ligne sur la page Facebook de la Fédération Handisport. » Deux ans plus tard, lors de l’émission Duos impossibles de Jérémy Ferrari, il incarne Sylvain, un idiot du village et tueur en série qui ferait passer Émile Louis pour un délinquant en herbe. Au policier qui l’interroge, il répond : « Je ne suis pas handicapé. Maman dit que j’ai un petit quelque chose en plus. »
Sa référence absolue ? Le huitième jour (1996), chef-d’œuvre du réalisateur belge Jaco Van Dormael, avec Daniel Auteuil et Pascal Duquenne, acteur belge trisomique. « Ils ont reçu le prix du meilleur acteur au Festival de Cannes, il se souvient. Ce film a marqué un tournant mais, depuis, très peu de réalisateurs ont mis en avant des acteurs handicapés mentaux. » Citons encore la comédie sportive Chacun pour tous de Vianney Lebasque (2018), Exceptionnel avec l’acteur autiste Benjamin Lesieur, Presque (2022), mis en scène et interprété par Bernard Campan et le philosophe Alexandre Jollien, paralysie cérébrale. « Je n’avais pas envie de faire un film sur les « personnes valides », où, de temps en temps, on aperçoit au loin des personnes en fauteuil roulant, Artus explique. Je voulais les mettre au centre du film. C’est une logistique complexe, il faut du temps pour s’adapter à chacun, mais leur bonne humeur a boosté toute l’équipe. »
Selon Julien Richard-Thomson, Un petit quelque chose en plus pourrait bien faire bouger les lignes. « Les producteurs ne pourront plus dire « c’est trop compliqué, le handicap fait peur ». » Car le parcours d’un acteur en situation de handicap est toujours une affaire de chemin de croix. Stanislas Carmont peut en témoigner. Acteur au sein de la compagnie du Théâtre du Cristal, il s’impose, à 25 ans, comme l’une des révélations duUn petit quelque chose en plus. Egalement journaliste à Rencontres Papotin (le magazine des jeunes autistes), il décroche son premier vrai rôle dans le film d’Artus : « J’ai une agente, mais je ne vous cache pas qu’elle a beaucoup de mal à trouver des castings. » Pas de quoi décourager le jeune homme, passionné des présidents de la République au point de converser avec la solennité d’un baron du RPR. « Je veux vraiment faire carrière, c’est ma passion et ma meilleure thérapie. »
En attendant une meilleure inclusion, Artus mesure déjà l’impact de son petit plus. « Les associations constatent une augmentation des dons depuis la sortie du film » souligne le sponsor des Jeux Paralympiques et Handicap International. A quand une projection à l’Élysée, avec qui des contacts ont été pris ? « Peut-être, j’espère, j’aimerais bien, je n’y suis jamais allé, mais rien n’est encore décidé », assure Artus. Il voit son film comme « un point de départ et non une fin ». Son véritable objectif ? Créer un centre de vacances, « comme un Club Med adapté aux jeunes en situation de handicap, mais ouvert aux personnes valides ». Ou le scénario deUn petit quelque chose en plus. Dans la vraie vie.