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À Lille, un procès très médiatisé mais finalement sans journalistes

Comme prévu, il y a du monde. Des journalistes mais aussi des citoyens et, forcément, une petite course pour trouver une place libre dans la petite salle correctionnelle. Il est presque 14 heures, ce lundi 23 septembre, au palais de justice de Lille. Et en attendant que les débats commencent, un jeune homme fait face aux micros et aux caméras pour donner son avis sur le procès du jour. Le jeune homme est journaliste et si ses collègues lui tendent le micro, c’est parce qu’il vient de publier un livre qui fait un peu parler.

Dans « Les Ogres » (Flammarion), Victor Castanet dénonce les agissements de People Baby, un grand groupe de crèches privées. Et il revient longuement sur l’affaire qui sera jugée dans quelques instants : l’ancien directeur et une ancienne infirmière de la crèche People Baby de Villeneuve-d’Ascq (Nord) comparaissent pour « violences sans incapacité sur mineur » par « une personne ayant autorité sur les victimes »Les deux femmes, présentes à l’audience, sont soupçonnées d’avoir abusé de neuf enfants entre septembre 2019 et mai 2021, dont les familles ont déposé une plainte au civil.

« Ils sont présentés comme des ogres »

Dès l’ouverture de l’audience, Blandine Lejeune, l’avocate de l’ancien réalisateur, a demandé le report du procès. Sans jamais le nommer, elle s’en est prise à Victor Castanet et aux nombreuses interviews qu’il avait données ces derniers jours. « Dans son livre, il consacre 60 pages à ces deux femmes sans aucune preuve à décharge », indique Me Lejeune, indigné que l’ancien directeur et l’ancienne infirmière soient présentés « comme déjà coupable » par le journaliste.

« Ils sont devenus une cible depuis la sortie du livre. On les traîne dans la boue, on les présente comme des ogres (…) C’est à une chasse à l’homme à laquelle on assiste », l’avocat gronde, estimant que la forte médiatisation du livre a gravement affecté les deux accusés, qui ne sont plus en mesure de répondre sereinement aux questions du tribunal. « Ils sont fantomatiques, écrasés. Ils ont perdu le sommeil et l’appétit. Ils souffrent de troubles anxieux », déclare M. Lejeune, ajoutant que l’ancien directeur possède un certificat médical attestant que « Son état n’est pas compatible avec une exposition publique. »

« On voit rarement des gens aller à leur procès en sifflant »

Mais les parties civiles refusent tout report de ce procès, déjà reporté à deux reprises. En mai 2023, la défense avait déjà obtenu que l’enquête, incomplète à leurs yeux, fasse l’objet d’investigations complémentaires. « Aujourd’hui, on nous présente des certificats médicaux qui disent que ces deux personnes sont anxieuses et affectées. Certainement, et nous ne le contestons pas », dit Alexandre Schmitzberger, qui défend une famille dont le garçon de deux ans est rentré de la garderie avec « des égratignures à la base du cou » et certains « Empreintes digitales suggérant une main d’adulte, sur le bras et le tronc ».

Mais pour cet avocat, il n’y a rien d’exceptionnel à être anxieux au moment de se présenter devant un tribunal.« On voit rarement des gens se rendre à leur procès en sifflant de joie », dit-il ironiquement, ajoutant que dans ce cas, la souffrance pré-procès est partagée des deux côtés de la barre.« La situation est également grave pour les parties civiles qui souhaitent que l’audience ait lieu. Les parents de ces enfants sont également concernés par cette procédure qui dure depuis trois ans et demi. »

M. Alexandre Schmitzberger en appelle avant tout à la capacité de discernement du tribunal. « Vous ne pourriez donc pas ignorer la couverture médiatique autour de ce livre et juger l’affaire telle qu’elle est ? » lance-t-il au président. La sagesse de la justice, loin des interférences médiatiques. L’argument est également repris par la procureure qui s’oppose également à un report du procès. Selon elle, en cas de report, il s’agit de toute façon « très possible » que les médias reviendront en nombre dans quelques mois pour un nouveau public.

Porte fermée surprise

Après une pause, la présidente annonce que le procès aura bien lieu aujourd’hui. Elle assure aux deux accusés que le tribunal « sera en mesure de régler les choses et de prendre une décision en fonction des éléments du dossier, sans autres considérations. » L’argument de l’imperturbable sérénité de la justice l’a donc emporté. Et l’audience peut donc commencer… Sauf qu’un autre avocat des parties civiles se lève et demande le huis clos au motif que les victimes sont mineures. Ses collègues de la partie civile ne s’opposent pas à cette demande, pas plus que la défense et le parquet. Il est 15 h 30 et le président du tribunal déclare l’audience à huis clos. Les bancs du tribunal, si âprement disputés en début d’après-midi, se vident peu à peu. Et l’audience peut enfin commencer. Le procès, très médiatisé, se déroulera sans journalistes.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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