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A l’avant-garde de la guerre en Europe, l’aigle polonais déploiera ses ailes pour la défense du continent

Aucun État n’a autant bénéficié de son adhésion à l’Union européenne (UE) que la Pologne. La polémique de 2005 sur le « plombier polonais », agent du dumping social, est bien loin. Les ouvriers qui travaillaient en Occident sont rentrés chez eux. Soutenue par ses 11 milliards d’euros de transferts annuels du budget de l’UE (tous fonds confondus et déduction des contributions du pays au budget), l’économie polonaise est l’une des plus dynamiques de l’UE et le niveau de vie rattrape son retard. Moyenne européenne (79 % de la moyenne, contre 51 % en 2004).

Cette présidence tournante, jusqu’au 30 juin 2025, arrive à point nommé. La Pologne peut profiter du vide laissé par le retrait forcé des deux pays clés de l’UE. L’Allemagne s’enfonce dans une crise politique et économique sans précédent et la nouvelle présidence de Donald Trump aux Etats-Unis – « Tariff Man » comme il se surnomme – n’augure rien de bon pour Berlin. La France a également perdu son crédit. La désunion est le mal français. En Europe, qui écoute encore un président qu’on n’écoute même plus chez lui ? Autrefois, rien ne se faisait dans l’Union européenne sans l’accord des deux États. Désormais, nous nous passerons de leur accord. L’endroit est gratuit.

Il suffit aux ailes de l’aigle blanc du drapeau polonais de se déployer et d’influencer la direction de l’UE. Il ne fait aucun doute que telle est l’intention de Varsovie.

À l’époque de la majorité nationaliste, Varsovie était la cheville ouvrière du groupe de Visegrád (ou V4, composé de la Hongrie, de la Pologne, de la Slovaquie et de la République tchèque), défendant le souverainisme contre le fédéralisme bruxellois. L’argumentation s’est estompée. L’ambition grandit. De retour au poste de Premier ministre en décembre 2023, Donald Tusk passe du V4 aux Vingt-Sept. En outre, le chef du gouvernement polonais a été président du Conseil européen pendant cinq ans (2014-2019). Il connaît les institutions et n’aborde pas cette présidence tournante avec le même esprit de compétition avec la Commission européenne que peuvent avoir les deux autres lorsqu’ils exercent les mêmes fonctions.

Enfin et surtout, la Pologne est à l’avant-garde de la guerre en Europe. Le pays maintient une frontière de 200 kilomètres avec l’enclave russe de Kaliningrad. C’est aussi le point d’accueil des réfugiés (un million) et le point de passage de la grande majorité de l’aide militaire à l’Ukraine.

La Pologne est forte, légitimée par ses souffrances historiques, sans concurrence, son positionnement en fait un acteur majeur du conflit ukrainien… Les ailes de l’aigle blanc du drapeau polonais n’ont plus qu’à se déployer et influencer les orientations de l’UE. Il ne fait aucun doute que telle est l’intention de Varsovie. Le pays a considérablement augmenté son budget militaire (4,7% de son PIB en 2025). L’effort doit aussi être européen. La priorité de la présidence polonaise est de renforcer les politiques de sécurité et de défense.

Ce changement en matière de sécurité arrive à point nommé. Même si cet élan doit être considéré avec prudence. L’expérience récente appelle également à la prudence.

La Pologne a eu une influence décisive dans l’organisation du soutien militaire à l’Ukraine et dans la fourniture d’armes ou de munitions. Sur le premier point, l’urgence s’imposait. « Dans les premières semaines du conflit, face au « rouleau compresseur » russe, les Ukrainiens avaient besoin de matériels immédiatement utilisables par leurs armées : autrement dit du matériel soviétique. (…) Cependant, notre pays n’était pas en mesure de fournir ce type de matériel, n’en ayant pas en stock, contrairement à l’Allemagne, à la Pologne et à d’autres pays de l’Est. (héritage de leur passé en tant que membres du Pacte de Varsovie, ndlr)»observaient les députés français en novembre 2023. Une fois les stocks soviétiques épuisés, seuls des équipements « occidentaux » étaient livrés à l’Ukraine.

Quiconque a interagi avec les Polonais dans un contexte européen connaît leur très faible appétit pour la négociation. L’unanimité nécessite beaucoup de compréhension.

Le soutien a été unanime et immédiat. Des difficultés sont apparues au moment de payer. L’UE ne fournit pas de matériel, mais rembourse les livraisons d’armes aux États via la Facilité européenne pour la paix (FEP), financée par les États (en dehors du budget de l’Union européenne). A quel prix ? La décision doit être prise à l’unanimité. Le choix s’est porté sur un remboursement basé sur le prix de remplacement. Les premiers remboursements ont été effectués à 85% de la valeur. Le taux est tombé à 46%. Ainsi, les matériels datant de l’URSS étaient facturés au prix du matériel neuf. Comme une R5 d’occasion payée le prix d’une R5 électrique…

Dans le cas de la Pologne, cela impliquait le remplacement des avions MiG-29 et des chars de combat T-72 par des avions F-35, des chars de combat américains M1 Abrams et des chars de combat sudistes K2 Black Panther. -Coréen. Pour Varsovie, c’était certainement une bonne opération. Le pays a vidé son stock, alliant opportunément utilité et solidarité en faisant financer 42 % de ses nouveaux équipements par ses partenaires (dont 17 % par la France). L’armée polonaise est aujourd’hui la plus moderne d’Europe. Une influence comparable s’est reproduite lors de l’adoption d’un plan de munitions en 2023. Outre la production de poudres, de missiles et d’explosifs, la Pologne a exigé que le fonds finance également le reconditionnement des anciennes munitions.

La Pologne n’est pas un partenaire facile. Quiconque a interagi avec les Polonais dans un contexte européen connaît leur très faible appétit pour la négociation. L’unanimité nécessite beaucoup de compréhension. Certaines personnes appellent cela avaler son chapeau.

Pendant deux ans, il s’agissait de répondre à des urgences opérationnelles. La deuxième partie concerne les perspectives de l’industrie de l’armement et de la capacité militaire de l’Europe. C’est le grand débat du moment. Les initiatives ne manquent pas. L’UE fonctionne aujourd’hui avec le Fonds européen de défense (un milliard d’euros par an jusqu’en 2027). Un nouveau programme pour l’industrie de défense est par ailleurs annoncé (1,5 milliard d’euros). Un fonds de 100 milliards d’euros a été proposé par l’ancien commissaire européen Thierry Breton début 2024. Un plan de 400 milliards d’euros a été envisagé en novembre. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que l’industrie de défense de l’UE aurait besoin de 500 milliards d’euros au cours des dix prochaines années.

On annonce des milliards en oubliant deux questions. La première est : avec quel financement ? Le prêt, bien sûr. L’Union européenne a définitivement tourné le dos à une orthodoxie budgétaire encadrée par des règles d’équilibre et un cadre financier strict. En cumulant les encours (crédits engagés mais non payés) et la dette européenne stricto sensu (respectivement 543 et 450 milliards d’euros), l’UE dispose d’un solde à payer de près de 1 000 milliards d’euros. Donc 400 de plus… Les sommes sont si abstraites qu’elles sont annoncées dans l’indifférence – et l’irresponsabilité générale.

La deuxième question est : à quoi ça sert ? Mais après ? Parce que développer une industrie européenne sans s’engager à acheter des équipements européens est incohérent. Développer l’industrie et acheter américain ? La Pologne a fait ses choix. D’une part, la Pologne ne possède pas d’industrie de défense. Sur les soixante-seize décisions d’attribution du Fonds européen de défense en 2023 (1 milliard d’euros), la Pologne n’est coordinatrice qu’une seule fois, pour un projet mineur de maintenance d’armes (4 millions d’euros).

D’un autre côté et surtout, la priorité, c’est l’OTAN. Le président Donald Trump a annoncé que les pays européens devront payer. Varsovie aurait proposé 2 milliards d’euros pour établir une base américaine. S’il est nécessaire d’acheter du matériel américain, cela ne pose apparemment aucun problème ni à Varsovie ni à Berlin. Les achats payants de matériel militaire américain ont déjà quintuplé en 2023. Et ce n’est qu’un début.

La sécurité est une priorité, tout le monde en convient. Certains – les Français – pensent : pas de sécurité sans autonomie. La Pologne répond : pas de sécurité sans parapluie. Deux stratégies différentes, voire opposées. Les choix européens de 2025 impulsés par la Pologne seront déterminants pour l’avenir de la défense européenne. Pour le meilleur et pour le pire.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides

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