Nouvelles locales

à l’apogée de la route de la soie

Nobles kuchéens à Qizil (au nord du désert du Taklamakan), fresque du VIe siècle.

« Asie centrale. 300-850. « Routes et Royaumes », par Etienne de La Vaissière, cartes réalisées par Fabien Tessier, Les Belles Lettres, 638 p., 33 €, numérique 23 €.

En l’an 313 de notre ère, un marchand sogdien du nom de Nanai-vandak inséra une lettre de papier dans une enveloppe de soie. D’un ton désespéré, il raconta à ses collègues restés chez eux la famine et la mort qui régnaient aux confins de la Chine et du Tibet, à la suite de l’irruption d’une armée d’invasion. Il informa néanmoins ses correspondants de l’expédition d’une cargaison de musc, le précieux parfum tibétain. D’emblée, Étienne de La Vaissière prévint son lecteur : Asie centrale nous plonge dans un univers étrange, aux noms de lieux et de peuples inconnus – il retrace son histoire, entre les années 300 et 850, sur un vaste territoire entre la mer Caspienne, le désert de Gobi, l’Himalaya et la Sibérie.

À partir de cette lettre, l’historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, décrit le métier du grand commerçant, évoque l’immensité des steppes, des déserts et des montagnes. Peu à peu, certains éléments sont identifiés, les Huns qui engendrent la désolation dont témoigne Nanai-vandak, la cité sogdienne de Samarcande (aujourd’hui en Ouzbékistan), où il est né, ou encore la route qu’emprunta le caravanier, le long de ce que l’on appelle la route de la soie, avant de s’installer dans un avant-poste chinois, à 2 600 kilomètres de sa région d’origine. Mais, à chaque fois, l’impression de familiarité s’estompe face à la capacité de l’auteur à étonner en faisant vivre des univers d’une diversité insoupçonnée.

Tout d’abord, on est frappé par la beauté insolite des documents reproduits dans l’ouvrage, une multitude d’objets, d’images et d’écrits qui nourrissent une démonstration sensible et rigoureuse. Dans une tombe de la cité-oasis de Turfan (dans l’actuel Xinjiang, en Chine), une paire de chaussures garnie de papiers d’archives abandonnés a été préservée pendant plus d’un millénaire grâce à l’aridité environnante. Les mots inscrits sur cet artefact mesurent l’influence croissante de la colonisation chinoise en ce lieu, ainsi que le statut minoritaire persistant d’autres populations.

Des conditions de vie terriblement difficiles

Au fil des pages, un ensemble cohérent se dessine, articulant la longue histoire de régions très éloignées les unes des autres. Les conditions de vie, d’une terrible difficulté, sont le principal facteur d’unification de l’Asie centrale. La moindre diminution de l’eau disponible peut avoir des effets dramatiques, obligeant, en cas de sécheresse, à l’abandon de villes ou de régions entières. Le maintien des communications est tout aussi difficile : au passage de certains cols à quelque 5 000 mètres d’altitude, le moindre aléa peut entraîner la disparition de tout un convoi de voyageurs et de marchandises.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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