A la veille de l’élection présidentielle, nouveau resserrement des libertés
« Tout se passait très bien. Le débat était passionnant, puis soudain, la police a fait irruption dans la salle et nous a demandé d’arrêter la discussion. » L’écrivaine française Dominique Martre n’oubliera pas cet après-midi du samedi 29 juin, où elle s’est rendue à Béjaïa, en Kabylie, pour signer La Kabylie en partageUn livre dans lequel elle raconte son expérience de professeur de français dans les années 1970, dans un village de cette région d’Algérie. Elle est emmenée dans un fourgon de police jusqu’à un commissariat de la ville, où elle est retenue et interrogée pendant plus de quatre heures.
Litige présumé
Son éditeur algérien, Arezki Aït-Larbi, lui aussi interpellé dans la librairie qui accueillait l’événement, s’interroge sur le sens de cette descente policière. D’autant que le livre a été « publié légalement par les éditions Koukou et qu’il est disponible en librairie depuis mars 2022 », ne pas considérer, « Deux jours avant, le même livre avait été présenté, sans problème, dans une librairie du centre d’Alger »Les autorités n’ont pas communiqué sur l’incident. Les exemplaires confisqués ont été restitués à la librairie. Mais des sources concordantes expliquent ce geste par « une incompréhension » du titre de l’ouvrage qui concerne la Kabylie, réputée hostile au pouvoir central.
Cet événement n’est pas un acte isolé. Deux jours plus tôt, le 27 juin, Omar Ferhat, directeur de la publication Scoop Algérie, et Sofiane Ghirous, le rédacteur en chef du site d’information, ont été placés en détention provisoire. Abdelaziz Laadjal, journaliste du même média, est sous contrôle judiciaire. Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), ils sont poursuivis pour « incitation à la haine et propagation de discours de haine » suite à la publication d’une vidéo dans laquelle des femmes du sud du pays se plaignent « marginalisation » et de » mépris « lors d’un salon organisé par le Ministère de la Formation Professionnelle.
Cette décision judiciaire est cependant contraire à la Constitution, selon laquelle « les délits de presse ne peuvent être punis d’une peine privative de liberté »L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a appelé à leur libération.
En attendant des « gestes d’apaisement »
Peu de voix ont dénoncé ce nouveau durcissement du pouvoir. Sans doute en raison des nombreuses condamnations à de lourdes peines de prison durant les années qui ont suivi le Covid. Plus récemment, les tribunaux se sont contentés d’imposer un contrôle judiciaire à une majorité de personnes arrêtées pour des écrits sur les réseaux sociaux ou accusées d’avoir appelé à manifester.
C’est le cas dans la ville de Tiaret, au sud-ouest d’Alger, où les habitants ont manifesté contre la pénurie d’eau potable. Mais à deux mois de l’élection présidentielle, prévue le 7 septembre, les autorités veulent clairement neutraliser toute voix dissidente.
Beaucoup attendent « gestes d’apaisement » Le président Abdelmadjid Tebboune a adressé un message à l’occasion de la commémoration de la fête de l’indépendance, ce 5 juillet, date à laquelle il devrait annoncer sa candidature à un second mandat. Ceux qui l’ont rencontré récemment affirment que le chef de l’Etat serait disposé à libérer certains détenus, dont le journaliste Ihsane El-Kadi. Mais aucun engagement public n’a été pris en ce sens.