On les reconnaît immédiatement dans la salle remplie de stagiaires de deuxième année – dont le président Antoine Giessenhoffer a immédiatement prévenu qu’il ne fallait pas se moquer – et d’une foule d’anonymes. Assis au premier rang, épaule contre épaule, ils sont jeunes et beaux. Le chagrin a creusé les mêmes fossés sur leurs visages, ils ont les mêmes ombres sous les yeux, les mêmes marques de nuits blanches. Le psychologue qui les a rencontrés en 2016 a dit d’eux qu’ils « Je n’ai pas réussi à faire le deuil ». Dans son rapport, elle indique que Nathalie – qui travaillait dans les vignes – était « dans une posture de grande colère et grande douleur. » Quant à Lionel, maître pâtissier, il était dans un « forme de conditionnement » Et « il se retenait de se mettre en colère ». « Le deuil est un passage du réel au symbolique, avait-elle précisé. Il s’agit de parvenir à prendre ses distances, non pas avec l’enfant, mais avec les affects. ». Le nom de l’enfant était Hugo. Il avait sept mois lorsqu’il est décédé.
Le 22 octobre 2013, le chef des urgences pédiatriques du CHU de Strasbourg explique à Lionel et Nathalie qu’il ne peut rien faire pour le réanimer. Avant de les laisser rendre hommage au petit corps inerte, il les a même prévenus qu’il y aurait une autopsie. Ce n’était pas normal, ce sang au fond de son œil. Hugo est né le 23 mars 2013. Il était le premier enfant. Le premier petit-enfant aussi d’une famille nombreuse. Au début, Lionel était terrifié de ne pas savoir comment s’y prendre. Son père est mort d’une crise cardiaque quand il avait 4 ans, il n’a jamais eu de modèle. Mais dès l’arrivée de Hugo, il fut ravi. Le couple est resté heureux devant ce bébé blond, calme et souriant. Il s’est laissé emporter par « une mécanique du bonheur que rien ne doit arrêter », comme le dit joliment Pascal Créhange, leur avocat. Quelques jours après la disparition du cercueil blanc sous terre, un policier les a appelés. « Tu devrais venir demain à la première heure. La nounou a secoué votre enfant. Vous devez porter plainte. »
« Le cœur s’est arrêté »
Pendant dix ans, Lionel et Nathalie ont reçu « des petits bouts de procédure » dans leur boîte mail, des conclusions, des rapports, des demandes d’expertise complémentaire. A la tête de la cour d’assises du Bas-Rhin, ils trouvent que le psychologue a raison : ils n’ont pas « pleure leur deuil ». Ils sont toujours dans cette salle du CHU où le médecin est entré « par la porte de gauche »où ils sont « assis à droite »où ils ont entendu : « Le cœur s’est arrêté. » Ils donnent encore un dernier bain à un bébé sans vie dans le décor froid d’un hôpital. Lionel pleure souvent. Nathalie a commencé à jouer à des jeux de rôle. Pendant quelques instants, elle devient quelqu’un d’autre. Elle ne peut plus prendre de décisions, cela lui fait trop peur. La dernière était de confier Hugo à une nourrice agréée qui lui avait fait une très bonne impression.
Vanina Reysz, 44 ans, passe un mouchoir sur ses joues rouges. Elle apparaît libre – après deux mois de détention provisoire en 2013 – pour « violence entraînant la mort sans intention de la provoquer ». Elle risque jusqu’à trente ans de prison pénale. C’est un de ces procès qualifiés de « bébé secoué », ceux où l’on plonge au cœur de l’imperceptible, où l’on tente d’élucider d’infimes lésions, où l’on oscille entre le désir de protéger un enfant et le vertige de condamner un innocent. A chaque fois, on parle d’hématome sous-dural, de suspicion et de polémique. Ici, la défense – Mes Charlotte Barby et Eric Amiet – fait référence à un ouvrage rédigé par un neuropédiatre dénonçant « diagnostics par excès et erreurs judiciaires ». De son côté, le président a mis en avant une décision du Conseil d’Etat qui rejette une révision des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) concernant la détection du syndrome du bébé secoué (SBS) et considère qu’il n’y a pas de violation. de la présomption d’innocence. « Ces procès ne sont pas comme les autres, résume Me Créhange. Ils sont intenses et infiniment tristes.
Il a raison, les murs ruissellent de larmes et, dans les couloirs aux larges baies vitrées, pendant la récréation, deux familles portent leur souffrance à la machine à café. Elles se croisent sans se parler, s’embrassent dans des coins opposés et entrent à nouveau dans la pièce. Pendant deux jours, Vanina Reysz a répété aux jurés : le 22 octobre, elle a accueilli Hugo à 7h30 du matin dans sa maison de Marlenheim. Le bébé a bu son biberon et a roté deux fois « bizarre ». Allongé sur un matelas posé au sol (le lit parapluie était cassé), il pleurait. Elle fut partie quelques instants mais à son retour, Hugo était devenu « amorphe », « comme une poupée de chiffon ». Du lait sortait de son nez. Paniquée, elle « fortement secoué », « sans se tenir la tête ». Avant d’appeler le Samu à 8h35 « J’ai fait un mauvais geste, elle pleure. Oui, je l’ai secoué. Mais c’était pour lui faire reprendre ses esprits. Pas pour lui faire du mal.
Trois traumatismes sur l’enfant
Sauf que ça ne tient pas, les gendarmes avaient déjà répondu, lors de sa seconde garde à vue, en décembre 2013, après que le coroner ait rendu son rapport. Il a mis en évidence trois traumatismes sur l’enfant. Le premier serait dû à une secousse survenue aux alentours du 7 octobre. Le second aurait reçu un coup à la tête. Le troisième correspond au dernier épisode de tremblement, « très violent », OMS a été fatal. Face aux enquêteurs, Vanina Reysz a alors changé de version. Elle a ajouté qu’elle ne s’était pas sentie bien le 22 octobre et qu’elle avait rabaissé Hugo. in extremis sur le matelas. Lors de sa chute, la tête du bébé aurait pu heurter le mur. « Qu’est-ce qui nous fait croire aujourd’hui ? »le mielleux Antoine Giessenhoffer qui mène les débats à vive allure, sur un ton inutilement dur. Face à lui, Vanina Reysz est un mélange de sanglots et de distance, de responsabilité à demi-assumée – « Une A cause de moi, Hugo n’est plus là » – et des regards lointains.
Elle découvre que le destin persiste. Il y a à peine trois mois, elle siégeait du côté des parties civiles au procès de l’attentat du marché de Noël de Strasbourg. Le 11 décembre 2018, « un homme en noir » la poussa. En se retournant, elle vit Fabrice, son « coup de tonnerre » A 17 ans, le père de ses deux enfants tombe à terre. Touché par une balle au visage, il s’en sort miraculeusement. Depuis des années, les dossiers bougent côte à côte. Dans l’un, elle est la victime, dans l’autre, elle est accusée. Entre les deux, elle a tenté de reprendre sa vie en main, de passer des examens d’assistante dentaire. Les résultats sortiront en juillet, glisse-t-elle. Sans savoir si elle les recevra à la maison ou en prison. Au moment de la mort d’Hugo, Vanina Reysz « s’est occupé de tout ». Elle faisait le grand ménage « tous les mercredis et vendredis », elle rangeait les chambres, elle essuyait la moindre goutte d’eau sur le bord du lavabo. Elle a obtenu l’agrément pour devenir assistante maternelle en août 2012, ce qui lui a permis de rester avec ses enfants. De plus, elle s’occupait d’Adrien, quinze mois. Et Hugo, arrivé en septembre.
Là La vie de l’accusée est un peu à l’image de son intérieur : très rangée. Ses proches la décrivent comme « utile », « bienveillant »entièrement dédiée à sa famille. La mère d’Adrien répète qu’elle était « toujours calme, souriant ». Son neveu ne l’a jamais entendue élever la voix, même si « Les opportunités ne manquaient pas ». Les seules aspérités remontent à loin. Elle a raté son baccalauréat, a échoué ses études de sociologie et lorsqu’elle est devenue brièvement aide à domicile, on ne peut pas dire qu’elle ait laissé un souvenir inoubliable à ses employeurs : « Peu fiable et souvent absent. » Sans lâcher son mouchoir, elle insiste sur le fait qu’elle ne sait pas ce qui a pu se passer début octobre. Le premier épisode de tremblements pourrait être daté par les experts car ce jour-là, la nounou avait prévenu Lionel que Hugo n’allait pas bien. Le bébé a ensuite vomi de manière impressionnante dans la salle d’attente du médecin. Mais la seule fois où Vanina Reysz a eu un « mauvais mouvement », c’était le 22 octobre, soutient-elle. Et seulement « pour le réanimer ».
Une délibération rapide
Aux manettes, Jean-Sébastien Raul, professeur de médecine légale – qui est intervenu dans « 250 à 300 dossiers de bébés secoués » et participé à la rédaction des recommandations de la HAS – tient un bébé avec la tête tremblante. Dans le cas de Hugo, le degré de violence est estimé à « au moins 7 sur 10 » lequel « a immédiatement changé le comportement de l’enfant » et a créé un état « de mort apparente », montre–il a dit. Ni une chute de Vanina Reysz ni des manœuvres pour sauver l’enfant n’auraient pu causer des dommages tels qu’une hémorragie rétinienne. Caroline Rey-Salmon, pédiatre, est du même avis. Elle a cherché d’autres causes possibles – « pathologie infectieuse, déshydratation, coagulation, pathologie métabolique » – mais cela ne peut être qu’un “secousses violentes » s’est produit « après sa bouteille, sinon il n’aurait pas pu la prendre ». Pour donner une idée au tribunal, elle ajoute : « Quelqu’un qui voyait la scène disait : ‘Arrête, tu vas tuer cet enfant' ». Aux yeux du parquet, « la mère parfaite » n’a donc pas « n’a pas livré la vérité ». Il n’y a pas « aucun doute sur les violences qu’elle a commises et leur caractère volontaire », « peut-être exaspéré pour une raison connue d’elle seule. » Claire Vuillet requiert une peine de douze ans de réclusion criminelle.
Mercredi matin, en se retirant dans la salle des délibérations, les jurés ont emporté avec eux les longues minutes de l’appel au Samu, la voix essoufflée de Vanina Reysz tentant de sauver le bébé. « tout bleu »le compte à rebours infini du massage cardiaque et ses plaisirs, « Hugo chéri, chéri, respire ». Ils ont emporté une somme d’expertises qui disaient le contraire de l’accusée, de sa vie irréprochable, des controverses médicales et des exhortations de la défense : « D’autres hypothèses ont-elles été envisagées ? Qu’est-ce qui nous dit que ce n’est pas une autre personne, un autre proche qui, le 7 ou le 22 octobre, a commis des violences ?» Ils emportèrent avec eux deux jours de larmes et dix ans de chagrin. Cependant, à la surprise générale, ils revinrent à peine une heure plus tard. Une délibération si expéditive qu’elle prend des allures de record national.
De sa voix abrupte, devant des avocats indignés – « Alors, à quoi bon aller en procès ? » –, a annoncé Antoine Giessenhoffer : Vanina Reysz est condamnée à douze ans de réclusion criminelle. « La justice est une erreur séculaire qui exige qu’on donne à une administration le nom d’une vertu »« , a déclaré un grand juge, souvent cité par les avocats. A Strasbourg, cela a été prononcé dans un tourbillon, sans empathie ni considération, laissant chacun à sa tristesse. Vanina Reysz a été placée en détention, les mains menottées dans le dos. Ses avocats envisagent de faire appel et déposer une demande de libération. Au milieu des internes de deuxième année et de la foule des anonymes, Valérie et Lionel sont restés longtemps face à face. Puis ils sont revenus retrouver leurs deux petits garçons qu’ils n’ont jamais pu retrouver. confiez-le à n’importe qui. L., né deux mois après la mort d’Hugo, est suivi par un psychiatre car il est en retard et parle à peine. C’est le grand frère qui. « ne veut pas grandir ». E, en revanche, ne reste jamais silencieux. C’est le petit frère « qui porte la révolte ».