à Kyiv, une amertume croissante envers l’Occident
Toute discussion sur le soutien occidental à l’Ukraine commence généralement à Kiev par un préambule d’expression de gratitude. Assise à la table d’un café bruyant de la capitale ukrainienne, l’énergique députée d’opposition Solomiia Bobrovska a cette fois choisi de s’en passer : « Nous avons vraiment cette impression que nos alliés attendent le moment où nous ne pourrons plus combattre et diront : ‘D’accord, nous avons fait tout ce que nous pouvions pour vous soutenir, maintenant vous devez négocier sur les conditions russes' », soupire l’élu, membre de la commission parlementaire chargée des questions de défense. Lorsque je vais à des conférences internationales, les politiciens occidentaux disent toujours les mêmes choses depuis 2022, que l’Ukraine gagne, que nous allons reconstruire l’Ukraine. Mais le problème est que l’Ukraine est en train de perdre. les Russes sont à l’offensive depuis des mois, et je n’ai pas besoin de vous raconter les problèmes auxquels nous risquons d’être confrontés cet hiver… »
De la gratitude oui, mais aussi de plus en plus d’amertume et de frustration pour caractériser la perception du rôle occidental en Ukraine. Kiev observe avec inquiétude depuis plusieurs semaines une campagne présidentielle américaine dont, à contrecœur, le pays est devenu l’un des thèmes.
Sur fond d’avancées russes significatives dans le Donbass, Volodymyr Zelensky a, cette année, multiplié les revers dans sa quête du soutien occidental : cinq mois de retard en début d’année pour le vote à Washington d’un important plan d’aide, annonce par Berlin d’un soutien qui sera réduit de moitié en 2025, hésitations sans fin à autoriser les forces ukrainiennes à frapper le territoire russe à l’aide de missiles occidentaux, ou encore accueil mitigé du plan de victoire présenté par Volodymyr Zelensky à toutes les grandes chancelleries occidentales cet automne. De quoi lasser un pays déjà plus incertain que jamais quant à son avenir.
« Malheureusement, nous sommes dépendants des Etats-Unis »
« Ce n’est pas une déception » assure, dans une salle de conférence austère d’un hôtel de la capitale, Mykhaïlo Podoliak, conseiller de l’influent chef du cabinet présidentiel. « Mais il y a un malentendu. Je ne comprends pas cette logique qui veut que l’agresseur puisse s’arrêter tout seul sans être puni. »
Frustration aussi des soutiens soumis aux aléas électoraux des pays occidentaux : «Il y a cette impression que toute élection à venir peut constituer un gros problème pour l’Ukraine, note le politologue ukrainien Yevhen Mahda. Aux Etats-Unis bien sûr, mais aussi en Allemagne, en République tchèque, en Pologne… »
Les débuts de désillusion se retrouvent en fait plus largement au sein de la population ukrainienne : la proportion de personnes pensant que « L’Occident en a assez de l’Ukraine et veut une paix défavorable à l’Ukraine » est ainsi passé de 15 % en septembre 2022 à 38 % aujourd’hui, selon une enquête de l’Institut international de sociologie de Kiev.
« Le soutien occidental est la pierre angulaire de l’optimisme des Ukrainiens » explique Anton Hroushetskiy, directeur de l’Institut. Dans un autre sondage réalisé en août par le Centre Razumkov, 40 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles pensaient que l’Occident ne soutiendrait pas l’Ukraine. « à long terme », 39,5% pensent le contraire.
De plus en plus omniprésente dans les discussions et déclarations des décideurs ukrainiens, cette amertume reste néanmoins largement confinée à ces mêmes discussions, l’Ukraine restant consciente de l’importance du soutien occidental. Et, à quelques semaines de l’élection présidentielle américaine, les dirigeants de Washington.
» Malheureusement, nous sommes dépendants des États-Unis, note Solomiia Bobrovska. Mais le problème est que cela sera compliqué, peu importe qui sera élu. Kamala Harris poursuivra sans aucun doute la politique de Joe Biden, sa tendance à prendre des décisions très lentes, et ce n’est pas une solution pour nous. » Car pour Kiev, l’enjeu est de parvenir à une intensification, plutôt qu’à un simple maintien, du soutien occidental dans les mois à venir.
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Le « plan de victoire » de l’Ukraine
Les cinq axes de « plan de victoire » par Volodymyr Zelensky présenté lors de la réunion ministérielle de l’OTAN à Bruxelles :
1. Inviter Kyiv à rejoindre l’OTAN.
2. Renforcez la défense avec la levée de « restrictions sur l’utilisation d’armes à longue portée sur tout le territoire ukrainien occupé par la Russie et sur le territoire russe ». Fourniture de « données satellite en temps réel ».
3. Déploiement en Ukraine de moyens de dissuasion non nucléaires.
4. Permettre aux alliés de bénéficier du potentiel de croissance économique de l’Ukraine.
5. Remplacer les contingents militaires américains en Europe après la guerre par des unités ukrainiennes.