A Dubaï, des criminels investissent dans la pierre en toute impunité
Au trente-septième étage de la Burj Khalifa, la plus haute tour du monde, Dzenis Kadric loue un appartement haut de gamme avec une vue imprenable sur Dubaï au prix fort. Le propriétaire ne le sait sans doute pas, mais son locataire, un ancien policier bosniaque, est membre d’un cartel dont le chef est considéré par les autorités américaines comme étant « l’un des trafiquants de drogue les plus actifs au monde ». Le trafiquant de drogue ne le sait probablement pas non plus, mais son bailleur est également visé par la justice.
Candido Nsue Okomo, ancien directeur de la compagnie pétrolière nationale de Guinée équatoriale, devenu par la suite ministre des Sports, est inculpé de détournement de fonds et de blanchiment d’argent par la justice espagnole. Cette situation surprenante est emblématique du Dubaï d’aujourd’hui, où se croisent criminels condamnés, fugitifs, personnalités politiquement exposées et oligarques placés sous sanctions.
Mais jusqu’au milieu des années 1990, la ville de 35 kilomètres carrés n’était que des dunes de sable. Il n’a fallu que quelques décennies pour qu’elle se transforme en une métropole démesurée. Une transformation en profondeur, portée par la stabilité d’un régime monarchique rigide, une situation géographique à la croisée des continents et par la volonté de trouver des sources de croissance pour le pétrole, qui finira inévitablement par s’épuiser.
L’émirat instaure alors des zones franches à la fiscalité très avantageuse, investit massivement dans des infrastructures ultramodernes et joue pleinement la carte du tourisme. Il a établi des lois autorisant les étrangers de posséder facilement un bien immobilier. Ces conditions économiques et fiscales attirent des capitaux du monde entier. Le secteur de la construction suit le mouvement.
Mais derrière les façades rutilantes de la ville se cache une réalité moins honteuse, révélée par une nouvelle fuite de données baptisée « Dubai Unlocked ». Ces informations cadastrales confidentielles détaillent comment l’immobilier des Émirats arabes unis sert de refuge à certains des criminels les plus recherchés et les plus insaisissables de la planète, qui profitent de la bienveillance des autorités envers l’argent sale qui afflue du monde entier – ou, du moins, de leur négligence. .
Certains des noms révélés par le fuir mènent directement aux niveaux les plus élevés du trafic de drogue. Un important trafiquant marseillais s’est ainsi offert, en 2021, pas moins de dix-huit appartements répartis dans deux tours du centre huppé de Dubaï, déboursant plus de 10 millions d’euros en quelques semaines. Cet héritage est inconnu de la justice française, qui a récemment condamné l’homme en question à de la prison ferme pour trafic de drogue. L’enquête judiciaire n’a pas établi l’existence de biens immobiliers aux Emirats financés par l’argent de la drogue, malgré de fortes suspicions. Toutefois, les enquêteurs français avaient contacté leurs homologues de Dubaï pour obtenir des informations sur l’aspect financier. En vain.
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