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A Courbevoie, un spectateur sabote le concert de Dee Dee Bridgewater à cause d’un keffieh…

A Courbevoie, un spectateur sabote le concert de Dee Dee Bridgewater à cause d’un keffieh…

Mercredi 27 novembre, la soirée parisienne du célèbre artiste de jazz américain a été interrompue par une femme perturbée par l’exhibition d’un symbole politique. Le concert n’a pas pu reprendre malgré l’intervention de la police. Explications.

Dee Dee Bridgewater en concert le 16 mars à Milan.

Dee Dee Bridgewater en concert le 16 mars à Milan. Photo Sergione Infuso/Corbis via Getty Images

Par Anne Berthod

Publié le 29 novembre 2024 à 18h17

M.En octobre, un drapeau palestinien brandi sur scène a conduit le propriétaire du Café de la danse à Paris à exclure officiellement les artistes israéliens et palestiniens de sa programmation – une mesure extrême et controversée qu’il a annulée le lendemain. Mercredi 27 novembre au soir, c’est un keffieh accroché au micro d’un musicien qui a semé la zizanie lors du récital de Dee Dee Bridgewater à l’Espace Carpeaux de Courbevoie (Hauts-de-Seine), provoquant son interruption et l’évacuation de cinq cents spectateurs par la police municipale.

La tournée européenne du chanteur et pianiste de jazz américain, venu présenter un répertoire de chansons de protestation avec son quatuor féminin (le bien nommé We Exist!), s’est jusqu’ici déroulé sans accroc. Chaque soir, Rosa Brunello, la contrebassiste italienne du groupe, accrochait un keffieh, ce grand foulard arabe traditionnel devenu l’emblème de la cause palestinienne, à son pied de micro. Le public n’a jamais semblé ému.

Le concert du 27 novembre, à Courbevoie, était la dernière des dix-sept dates françaises de Dee Dee Bridgewater. Mais alors que la diva de 74 ans chantait depuis une bonne quarantaine de minutes, une dame de la même génération assise au milieu du public l’insulta soudain sur la présence ostentatoire du carré de tissu noir et blanc, déclarant qu’elle a été troublé par l’exposition d’un tel symbole politique. Dee Dee Bridgewater s’apprêtait à chanter le très militant Bon sang du Mississippi, de Nina Simone : un hymne de la colère noire, écrit en 1963, en réponse à la ségrégation et à une série de meurtres racistes dans le Mississippi et l’Alabama.

Cette dame avait le droit d’exprimer sa désapprobation mais elle l’a outrepassé en prenant en otage une pièce entière.

China Moses, fille de Dee Dee Bridgewater

L’apostrophe du spectateur, alors qu’elle venait d’expliquer le contexte très politique de la chanson, l’a prise par surprise, mais le musicien a répondu calmement, en français, rappelant que dans un pays comme la France, surtout dans un lieu de culture, chacun était libre. de s’exprimer et elle n’était pas en mesure de restreindre le droit de parole de son musicien. Elle a repris sa chanson, soutenue par le public qui s’est mis à taper dans ses mains pour l’encourager. Fatigué! Les spectateurs avaient pris à partie la fauteuse de troubles et elle, au milieu des huées, a repris ses vitupérations avec encore plus de force.

Soucieuse de ramener le calme, Dee Dee Bridgewater a fini par demander à son contrebassiste de retirer le keffieh. Le musicien l’a immédiatement dénoué, mais ce geste de bonne volonté n’a pas suffi à calmer le spectateur ni à désamorcer la spirale. Car dans la foulée, le directeur artistique de l’Espace Carpeaux, Philippe Lignier, a jugé bon de prendre le micro. Sans doute cherchait-il avant tout à trouver un compromis, mais dire, au fond, qu’un concert n’était pas destiné à se transformer en forum politique, était pour le moins maladroit.

Dee Dee Bridgewater, le 11 novembre lors de son concert à Madrid. En arrière-plan, la contrebassiste Rosa Brunello porte son keffieh. Photo Oscar Gonzalez/Sipa USA/SIPA

Dans la pièce, la fille de Dee Dee Bridgewater, la chanteuse soul China Moses, a bondi. « J’aime beaucoup Philippe et dans la panique, ses paroles allaient sans doute plus loin que sa pensée, mais je ne pouvais pas le laisser le dire sans réagir. » A son tour, l’Américaine, chanteuse soul, actrice et animatrice radio sur TSF Jazz, est montée sur scène pour exprimer son désaccord. « Un keffieh est un signe culturel, qui a sa place dans un lieu de culture. Mais il doit aussi rester un espace de liberté, y compris politique. Cacher la dimension politique de la musique de ma mère serait nier toute sa carrière. »

« Cette dame avait aussi le droit d’exprimer sa désapprobationcontinue China Moses, mais elle est allée trop loin en prenant une pièce entière en otage. » Car ni China Moses, ni le directeur du film de Dee Dee Bridgewater, ni même son propre mari n’ont réussi à raisonner le spectateur. Isolée, de plus en plus agitée, elle a résisté avec de nombreuses gesticulations lorsque les agents de sécurité voulaient la faire quitter les lieux. Philippe Lignier a finalement appelé la police, qui s’est montrée également impuissante à contraindre cette vieille dame. Le reste du public a été évacué. Le septuagénaire, seul au milieu des tribunes, est resté assis près d’une heure avant de repartir.

Impossible, après cela, de reprendre le concert. « L’interruption définitive a été décidée d’un commun accord avec Dee Dee Bridgewater, Gérard Drouot Production et la mairie », précise Sandrine Peney, adjointe à la Culture à Courbevoie et présidente de CourbevoiEvent, l’entreprise publique locale dont dépend l’Espace Carpeaux. Les spectateurs, pour la plupart abonnés, seront tous remboursés. Le fauteur de troubles sera banni des lieux.

Mais sur la question du keffieh, le flou demeure. Au Café de la danse, une clause dans les contrats de location de sa salle interdit désormais toute « manifestation politique » sur scène, qu’il s’agisse d’un drapeau ou du symbole d’un pays. A la mairie de Courbevoie, Sandrine Peney n’envisage pas, en principe, de censurer un artiste. Prudente, elle voudrait néanmoins éviter, à l’avenir, « se retrouver devant le fait accompli », encourager les producteurs de concerts à  » prévenir  » d’éventuelles manifestations politiques. Une réponse ambiguë, qui soulève d’interminables questions.

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